PAR CHRISTIAN FRANCHET D’ESPÈREY*
CHRONIQUE. Nombreux sont les Français qui sentent confusément le manque qui habite la politique française.
Le référendum anglais, au-delà de son résultat spectaculaire, révèle un clivage profond entre la classe dirigeante et un fond populaire que l’irresponsabilité des élites a conduit à un réflexe patriotique. Cette fracture sociale et politique, que l’on retrouve dans une bonne partie des pays d’Europe, suscite une atmosphère délétère. En France, le président, dont on ne sait plus trop ce qu’il préside, n’a rien d’autre à déclarer, après le Brexit, qu’une phrase dans le genre : « C’est terrible ce qui nous arrive… »
En Angleterre, on le sait, le roi règne mais ne gouverne pas. Publiquement, il garde une neutralité politique absolue. Mais en cas de crise majeure, le souverain a des pouvoirs exceptionnels, comme, celui de refuser la dissolution du Parlement. Et même en temps ordinaire, son rôle est actif : selon la Common Law, il est « d’être consulté, d’encourager et d’avertir. » C’est à ce titre qu’Élisabeth II tient une réunion hebdomadaire avec son premier ministre. Ces entretiens, d’une importance cruciale, sont tenus secrets. Une certitude pourtant, la reine s’y exprime selon ces deux seuls critères : le bien commun des Britanniques et son expérience politique, qui porte sur plus d’un demi-siècle (imbattable 0. Pourquoi cette certitude ? C’est parce qu’elle incarne la nation tout entière. Quel autre souci personnel, idéologique ou partisan pourrait-elle avoir que le seul intérêt national ? Alors que le référendum sur l’UE a dressé deux camps l’un contre l’autre, elle demeure respectée de tous et seule garante de l’unité du pays : elle se situe au-dessus de la mêlée démocratique.
De fait, « la démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, elle ne se suffit pas à elle-même. Car il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent » – ou une absence, celle-là même que comble, en Angleterre, le souverain. C’est Emmanuel Macron qui fit cette observation dans un entretien tenu il y a un an. Il y prenait le temps d’une réflexion de philosophie politique, étonnante chez un politicien en fonction.
La reine Élisabeth Il demeure seule garante de l’unité du pays après un référendum qui l’à profondément divisé.
Nul ne sait s’il saura s’arracher à la gangue sociale-démocrate qui l’environne. Mais il a inventé une nouvelle manière de dire le manque qui habite la politique française depuis le 21 janvier 1793. Il ne va pas, pour autant, servir la messe de Louis XVI à Saint-Germain-l’Auxerrois. Mais il est l’un des innombrables Français qui n’ont pas besoin de se savoir « royalistes » pour ressentir profondément le besoin de « monarchiser » nos institutions, et même de « royaliser » le pays réel.
Encore ne faut-il pas confondre monarchie et monocratie. Dans une préface au petit livre de Frédéric Rouvillois sur l’encyclique Laudato si’ (La Clameur de la Terre, éd. J.C. Godefroy, 2016), on est sidéré de lire sous la plume de Chantal Delsol, qu’on a connue mieux inspirée, une série impressionnante de contresens sur la monarchie. Est-il nécessaire de rappeler que César, Bonaparte et le jacobinisme sont à l’opposé de la tradition royale française, fondée sur une décentralisation hérissée de libertés ? ■
* Rédacteur en chef de la Nouvelle Revue universelle
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