Par Péroncel-Hugoz
Resté fidèle à une vision de l’unité européenne où les Etats n’abdiquent pas leur souveraineté, Péroncel-Hugoz survole la situation actuelle de l’Ittihad Oropi*, sans négliger l’attirance traditionnelle de Rabat pour cette construction géopolitique commencée en 1957 avec le traité de Rome. Une remarquable analyse, évidemment vue de Rabat mais qui intéresse éminemment France et Europe … Lafautearousseau
Hassan II, régnant de 1961 à 1999, était orfèvre dans la langue des Frères Tharaud et d’Abdelkader Chatt** et il aimait de temps en temps jeter en pâture à la meute journalistique quelques aphorismes bien ciselés de ce type : « Le Maroc ressemble à un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d’Afrique, et qui respire, grâce à son feuillage, aux vents de l’Europe »***. Sur cette lancée, le feu roi émit en 1987 l’idée audacieuse selon laquelle Rabat devait être admis dans ce que l’on nommait alors « Marché commun » ou « Communauté économique européenne » ( 1957-1993), et depuis lors « Union européenne ».
DÉJÀ LE KHÉDIVE D’EGYPTE …
Cette intention de réunir un Etat arabo-musulman de la rive sud de la Méditerranée à des Etats de la rive septentrionale, euro-chrétienne, avait en fait été déjà formulée par le khédive Ismaïl-Pacha d’Egypte (régnant au Caire de 1863 à 1879), après l’ouverture du Canal du Suez en 1869, donc près d’un siècle avant que ne commence l’unification européenne proprement dite.
LE CAS TURC
Ces suggestions, un tantinet extravagantes, sont tombées à l’eau, même si cent liens de tous ordres ont été tissés au XXe siècle entre l’Europe occidentale d’un côté et les deux vieux Etats-nations d’Egypte et du Maroc, de l’autre. La proposition d’Hassan II fut officiellement repoussée – avec doigté – par Bruxelles en 1992. La Turquie, géographiquement située très majoritairement en Asie, vit sa candidature, déposée en 1987, regardée avec un peu plus de considération par les Européens, mais elle est pratiquement tombée en désuétude ces dernières années …
40.000 FONCTIONNAIRES ET 40.000 LOBBYISTES …
Quand on observe un peu l’état présent, très dépressif, de l’Union européenne, on ne peut que se féliciter, en tout cas pour le Maroc qui nous occupe ici, qu’aucun lien trop étroit avec l’Europe ne soit venu jusqu’ici ligoter le libre arbitre du Royaume chérifien. De toute façon, ne fait plus guère envie à l’extérieur le « monstre administratif » qui occupe en 2016 un bon morceau de Bruxelles : 40.000 fonctionnaires bardés de privilèges ; 40.000 lobbyistes papillonnant dans tous les coins; une myriade de splendides ambassades à travers le monde; de multiples institutions budgétivores éparpillées entre Belgique, France, Luxembourg, Allemagne, etc. ; pas de force armée, si ce n’est de facto celle, assez diminuée aujourd’hui, de la France.
27 ETATS HUMILIÉS PAR LE BREXIT
À la tête de ces 27 Etats, humiliés jusqu’à l’os en juin 2016, par la « désertion » inattendue du Royaume-Uni, on trouve un ancien chef du mini-gouvernement luxembourgeois, célèbre pour son « œuvre » au service de la défiscalisation secrète, lui-même successeur d’un ex-gauchiste portugais, ensuite mué en « expert » d’une banque new-yorkaise qui fut la complice notoire de la falsification des statistiques grecques …. Tout ça ne sent pas très bon malgré les couteux parfums de la « com », surtout si on ajoute aux tripatouillages financiers, l’incapacité des 27 de mettre sur pied une politique migratoire cohérente ; ainsi personne n’a osé à Bruxelles, « déranger » les richissimes et à demi-vides Etats pétroliers du Golfe arabo-persique pour leur suggérer de s’ouvrir, au moins un peu, à leurs frères réfugiés arabo-musulmans ; et par dessus tout ça, l’obsession anti-russe des 27, car certains dirigeants européens croient ainsi plaire à Washington, alors que cette capitale est en train, notamment sur l’Iran et la Syrie, de s’entendre avec Moscou, laissant les Européens tout déconfits.
Heureusement Rabat ne s’est pas laissé embrigader dans ces dérisoires querelles intereuropéennes, et a poursuivi, jusqu’ici sans éclats inutiles, et sans compromettre ses intérêts, sa coopération avec Moscou, avec Washington, avec Bruxelles. Pourvu que ça dure ! •
* L’Union européenne en arabe.
** Auteur en 1932 du premier roman francophone marocain : « Mosaïques ternies » (200 pages). Ce texte autobiographique captivant a été réédité en 2005 par les Editions casablancaises Wallada.
*** Phrase reprise et développée par Hassan II dans « le Défi », Albin Michel, 1976. Chapitre «L’arbre», page 189.
Lire : Le texte sur les relations euro-marocaines, publié en été 1999, par le futur roi Mohamed VI, après son stage diplomatique à Bruxelles, dans la revue française «Panoramiques». Tirage à part de ce numéro pour le Maroc, diffusé par Eddif.
Repris du journal en ligne marocain le360 du 16.09.2016
Mille fois d’accord !