Capture d’écran du film « Astérix et Obélix au service de Sa Majesté »
Par David Brunat
En invoquant « nos ancêtres les Gaulois », Nicolas Sarkozy a semé le trouble voire déclenché la foudre des historiens. David Brunat considère au contraire [Figarovox du 26.09] que l’ancien président de la République est – comme nous tous – un Romain qui s’ignore. Nous ne lui donnerons pas tort de dénoncer ainsi les simplifications et la démagogie inhérents à la démocratie à la française. Ni de rappeler nos racines latines. Nous trouvons seulement qu’il verse un peu trop dans l’excès inverse : notre fond gaulois est aussi une réalité qu’il n’est pas bon d’occulter. Même « le grand Bainville » – l’expression est d’Eric Zemmour – le note dans son Histoire de France : « Les Français n’ont jamais renié l’alouette gauloise et le soulèvement national dont Vercingétorix fut l’âme nous donne encore de la fierté. » Dans un contexte où nous, Français – avons tant besoin de retrouver les motifs de notre fierté, n’en écartons aucun, n’oublions pas celui-là. Fût-ce pour les besoins d’une tribune au demeurant excellente et fort utile. Lafautearousseau
Par Toutatis ! Que les dieux de Vercingétorix et de Diviciacos (druide gaulois tenu en haute estime par Cicéron et par César en personne) me gardent d’emboucher à mon tour la trompette de la controverse enflammée née des propos incendiaires de l’ancien président de la République sur « nos ancêtres les Gaulois » et autres aïeux tutélaires et symboliques.
Piètre historien mais virtuose de la manœuvre électorale et tribunitienne, Nicolas Sarkozy savait ce qu’il disait, ou plutôt savait pourquoi il le disait, lorsqu’il a vanté les origines gauloises communes et idéales des fils et filles de France. Le « roman national » autorise bien des libertés avec la vérité historique – c’est d’ailleurs le propre du roman d’avoir le droit d’inventer, de broder, de fantasmer.
Les historiens ont poussé les hauts cris. Ils étaient dans leur rôle. Sur le plan historique, Sarkosix a dit des âneries, mais avec l’excuse que ces âneries – asinus asinum fricat – furent propagées au XIXe par les pères barbus et cultivés de la IIIe République. Les historiens sérieux savent en effet que les Gaulois du début de l’ère chrétienne, disons deux générations après Vercingétorix, se sentaient romains. Qu’ils étaient romains. Que cette image d’Epinal de Gaulois farouchement épris de liberté, résistant à l’impérialisme de Rome, grands, vaillants, blonds, musclés comme Conan le Barbare, patriotes échevelés et même un poil nationalistes, est justement une image d’Epinal, un mythe forgé de toutes pièces entre 1870 et 1914 pour des raisons de propagande et pour faire bisquer Bismarck et le nouveau Reich, afin de contrer idéologiquement cette Allemagne nouvellement unie et assimilée aux envahisseurs romains, brutaux, impérialistes, impitoyables.
Il fallait alors de toute urgence s’inventer un passé de résistance, d’indépendance, de liberté originelle. Il fallait faire corps et faire nation, alors même que Vercingétorix lui-même n’a jamais rêvé d’une quelconque « nation gauloise » et que, très vite, la culture celte disparut complètement, absorbée par une romanité hégémonique et du reste parfaitement acceptée par les élites gauloises, qui servirent dans les armées romaines et envoyèrent leurs fils étudier à Rome.
Je voudrais juste profiter de ces propos de tribune électorale – propos populaires et plébéiens au sens premier et latin – pour rappeler à quel point notre héritage commun – héritage non biologique, non génétique, mais culturel, symbolique, politique et social – est profondément romain.
Comme tous ses compatriotes, Sarkosix s’exprime dans une langue qui dérive directement du latin. Les mots français d’origine gauloise sont rares (truite, ruche, javelot, chamois …), y compris ceux qui illustrent « l’esprit gaulois », à commencer par le précieux et polysémique « con » (utilisé par ex. dans la locution : « Casse-toi, pauvre con »), qui vient tout droit du latin cunnus.
La carrière qu’a embrassée Sarkosix parallèlement à ses mandats politiques, celle d’avocat (advocatus), doit beaucoup aux Latins et à leur système juridique, et presque rien aux anciens Gaulois.
Surdoué du cursus honorum politique, Nicolaus fut longtemps le premier édile de Neuilly et plusieurs fois ministre (et il n’est pas inutile de se souvenir que minister signifie en latin « celui qui sert » …). Il s’est toujours plu à se présenter comme un homo novus s’étant élevé tout seul à la force du poignet, aux forceps, en passant sous les fourches caudines de l’establishment. Il a donné ses ordres à ses préfets et influencé le Sénat. Il a aussi fait figure de Brutus en prenant jadis parti électoralement contre son ancien mentor Chirac. Il a savouré un triomphe en 2007 mais approché de la Roche Tarpéienne en 2012. Las ! Peu désireux d’imiter le sage Cincinnatus, il a snobé l’Aventin et il piaffe d’impatience de redevenir César.
Ce tribun du peuple offre un magnifique mélange d’histrion et d’imperator, comme l’antique scène romaine en produisit tant. Et regardez comme il chérit cette République – Res publica – qu’il prétend incarner mieux que quiconque et dont il n’a de cesse de reprendre la tête !
Bref, ce chef de guerre qui prétend lutter pour les couleurs gauloises sous l’étendard mythiquement unificateur de la Gaule est un Romain qui s’ignore. Alors qu’il s’apprête à en découdre dans ces périlleuses primaires (encore un terme latin dans le village gaulois !), il rêve certainement de s’exclamer à l’exemple du grand César, modèle de tous les ambitieux : Veni, vidi, vici. « À moi la pourpre impériale, et au diable ce loser de Vercingétorix étranglé dans une prison romaine ! Puissent Juppé, Fillon et tous les autres subir le même sort », se dit-il peut-être dans son for (= forum) intérieur, sans le proclamer urbi et orbi.
Bref, en un mot comme en mille, ce Gaulois-là, accro aux frissons transgressifs du Rubicon et aux enivrantes couronnes de laurier, tient plus de Sarkosus que de Sarkosix.
Le 24 septembre, dans un discours à Perpignan, il en a remis une couche et célébré, outre ses chers Gaulois, « nos ancêtres les rois de France, les Lumières, Napoléon, les grands républicains, les tirailleurs musulmans, les troupes coloniales mortes au Chemin des Dames, etc. ». Soit. Mais dans cette liste à la Prévert, pas un mot, pas une allusion sur les Romains. Rayés de la carte mentale de cet ingrat.
Il sera cependant peut-être d’accord avec l’idée selon laquelle « la vertu de la race, c’est la noblesse » (« Generis virtus nobilitas »). Ce fut la maxime d’un empereur romain, le successeur de Caligula et le prédécesseur de Néron: l’empereur Claude. Aussi appelé, excusez du peu, le « divin Claude » (Claude, comme le nom de l’associé de Sarkosus avocatus). Né l’an 10 av. J.C. à Lyon, ou Lugdunum, capitale des Gaules. Fondée par un Romain, Lucius Plancus (joli patronyme !), lieutenant de César et gouverneur de la Gaule chevelue.
Tout cela, il est vrai, est à s’arracher les cheveux pour qui n’aime pas à s’embarrasser de détails historiques superflus. Dans son désir ardent de reconquérir la titulature suprême, Sarkosus est prêt à raser gratis et à faire table rase (tabula rasa) de l’héritage romain. Sa garde prétorienne le soutiendra jusqu’au bout. D’autres, (très) nombreux, soupirent et sifflent : « Quousque tandem abutere, Nicolaus, patientia nostra …»?
Par Jupiter, ils sont fous, ces Romains qui se prennent pour des Gaulois ! •
Normalien et philosophe de formation, David Brunat est écrivain et conseiller en communication.
excellent bravoooooooooooo
C’est un très bel article mais c’est aussi se donner beaucoup de mal pour quelqu’un qui n’en vaut pas la peine!
Parce que vous croyez que c’est pour Sarkozy ou x ou y que l’auteur se donne ce mal ?
J’ai bien ri. Et j’aurais ri encore plus si ma culture latine était aussi riche que celle de David Brunat!
globalement sympathique et drole. mais,en tant que passionné par les Celtes et plus particulierement par les Gaulois j’émettrais une réserve. M. Brunat écrit que « Les Romains……..deux générations aprés Vercingetorix,se sentaient Romains.Etaient Romains ». Ce qui est au moins partiellement faux,surtout en ce qui concerne la deuxième affirmation. Cette question merite mieux que cet énoncé brutal,lapidaire. Elle est complexe. Il est vrai qu’avec Paul Valery il faut bien admettre que « tout ce qui est simple est faux, mais tout ce qui est compliqué est inutilisable…. » Néanmoins on attend d’un Normalien davantage de vraie culture et d’esprit de mesure sur le sujet dont il parle …… M. Brunat aggrave son cas quand il dit, que l’esprit de résistance a l’envahisseur est « un mythe forgé de toutes pieces entre 1870 et 1914 » ,que « Vercingetorix lui-meme n’a jamais revé de Nation gauloise » car la il dit des sottises ,pour etre poli , avec une toute petite part de vérité dans la premiere affirmation .Non dans le terme de mythe,carrément stupide,mais a cause de la réelle utilisation de la résurgence du « celtisme »pendant cette periode (avec bien des excés et des erreurs,chez les romantiques notamment) mais qui datait déja d’un siècle au moins, et fut une des passions de Napoléon III (Avant 1870, M. Brunat……)….. La place me manque pour justifier mes propos. Je conseille aux personnes interessées un trés remarquable ouvrage : » Les peuples fondateurs a l’origine de la Gaule » de F. Regnier et J.P. Drouin chez Yoran Embanner. Et toutes les oeuvres de Venceslas KRUTA..
Une étude scientifique récente a montré que dans un échantillon « representatif » de la population française actuelle, excluant les Basques et les Corses ,mais pas les populations immigrées en France depuis un siècle et demi,avec une trés forte accélération depuis une quarantaine d’années pour un groupe particulier ( Que de mauvais esprits , comme Monsieur Azouz Begag évaluent a prés d’un quart des « Français » soit quinze millions) l' »haploide celte » était retrouvé chez 38% des individus.. Un gros tiers ou la moitié des Français selon l’une ou l’autre des options que l’on peut élire.
Voila pour la filiation « ethnique ». Pour le culturel se reporter notamment aux ouvrages ci-dessus.
Vous aurez noté que nous avons fait la même réserve en introduction de cette tribune. Vous l’avez développée. Merci !