Par Alexis Feertchak
Après que le pape François a dénoncé la présence de la théorie du genre dans les manuels scolaires, provoquant la « colère » de Najat Vallaud-Belkacem, Bérénice Levet, philosophe, confirme que cette idéologie est bien présente à l’école. Nous n’allongerons pas cet entretien déjà long par lui-même – et très important [Figarovox – 04.10] : Disons seulement que Bérénice Levet va bien au delà de cette constatation et pose des principes ontologiques, anthropologiques et sociétaux en opposition frontale avec la pensée et la société modernes ou post-modernes, y compris lorsque, in fine, elle se permet une forte et juste critique des positions du Saint-Père en matière d’immigration et de mondialisation, jugées de nature déconstructionniste au même titre que la théorie du Genre … Une liberté de ton et d’esprit, une lucidité de fond qui intéressera les contre-révolutionnaires que nous sommes. Lafautearousseau
Dimanche 2 octobre, le pape s’en est pris « au sournois endoctrinement de la théorie du genre » que propageraient les manuels scolaires. La théorie du genre existe-t-elle en tant qu’idéologie ?
La théorie du genre ? Ça n’existe pas, nous tympanise-t-on, à commencer par Najat Vallaud-Belkacem. La seule expression légitime serait « études de genre » qui aurait pour avantage de respecter la pluralité des travaux. Mais pour qu’il y ait des études de genre, encore faut-il que ce petit vocable de genre ait été conceptualisé, théorisé. Or, lorsque nous parlons de théorie du genre, nous n’affirmons rien d’autre. Judith Butler se définit elle-même comme théoricienne du genre. Il a été forgé afin d’affranchir l’identité sexuelle du sexe biologique. Au commencement est la neutralité, en quelque sorte, et seule la machine sociale vous « assigne » à une identité – ce que l’on retrouve dans les manuels.
Il faut bien comprendre que le vocable de « genre » ne sert pas simplement à distinguer le donné naturel et les constructions culturelles, mais à les dissocier. Simone de Beauvoir est restée, aux yeux des promoteurs du genre, comme en retrait par rapport à sa propre intuition. Lorsqu’elle dit « On ne naît pas femme, on le devient », le Genre lui réplique, puisqu’on ne naît pas femme, pourquoi le deviendrait-on ? En l’absence de tout étayage dans la nature, on doit se jouer de toutes les identités sexuées et sexuelles. « Le travesti est notre vérité à tous », dit Judith Butler. Ce petit vocable de genre soutient en outre – et c’est là qu’il est instrument de lutte – que les différences sexuelles sont construites mais construites par des mâles blancs hétérosexuels donc selon un ordre exclusivement inégalitaire.
Voilà le message qui est délivré à la jeunesse. « Le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle, ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin »,apprennent les lycéens dans le manuel Hachette. Pour aiguiser leur rage, les convertir à la cause de la déconstruction, il convient de les convaincre que ces représentations sont inégalitaires.
On raille le Pape, parce qu’il ne suffirait pas d’apprendre ces axiomes pour ipso facto aspirer à changer de sexe. Sans doute et la différence des sexes ayant un fondement dans la nature, contrairement à ce que soutient le Genre, tout comme l’hétérosexualité, quand bien même on cherche à les chasser, elles reviennent au galop, mais l’enfant ou l’adolescent est un être fragile; si on le persuade que tout est construit, alors la tentation est grande de s’essayer à toutes les identités et toutes les sexualités. La question dans les cours de lycées est désormais : « Alors, tu es bi, hétéro, homo ? ». Je rapporte dans mon livre des paroles d’adolescents qui nourrissent un véritable sentiment d’infériorité de se sentir « désespérément » hétérosexuels.
Le Pape a raison de dire que l’endoctrinement se fait sournoisement, car le Genre avance toujours masqué : c’est au nom de l’égalité, du respect des différences, que s’opère la déconstruction du masculin et du féminin. C’est au chapitre « l’égalité homme-femme », ou plutôt selon l’injonction de Najat Vallaud-Belkacem, « l’égalité femme-homme » , que l’élève apprend que le masculin et le féminin sont de pures conventions, et qu’il lui appartient de s’en délier. Le Genre se veut notre nouvel Évangile, il vient nous annoncer la bonne nouvelle que les identités sexuées et sexuelles n’étant que des constructions, elles peuvent être déconstruites. L’enseigner dans les établissements scolaires, c’est fabriquer une armée de soldats de la déconstruction.
Les propos du pape François sont forts. Il parle notamment de « guerre mondiale pour détruire le mariage » et de « colonisation idéologique » destinée à « changer les mentalités ». Comprenez-vous ces mots historiquement lourds de sens ?
Ils ont une vérité. Le projet de « changer les mentalités » définit le programme des progressistes depuis la décennie soixante-dix.
Le Genre travaille à disqualifier les représentations du masculin et du féminin qui sont des significations partagées, héritées, et qui cimentent une société. Le Genre est le dernier avatar de cette grande offensive menée contre la civilisation occidentale depuis les années soixante par le structuraliste Michel Foucault ou Jacques Derrida. La filiation est d’ailleurs revendiquée par les adeptes du Genre.
Les formulations du Pape sont sans doute excessives mais là encore il y a une certaine vérité. Le genre est un militantisme, et la gauche y est acquise ainsi qu’une bonne partie de la droite. En étendant le mariage à des couples de même sexe, la loi Taubira en destituait le sens, qui n’est pas de consacrer l’amour mais la procréation et la filiation. Et dessinait le cadre pour une reconnaissance de la « filiation » aux homosexuels.
Quant à la colonisation idéologique, les promoteurs du Genre entendent bien investir les esprits à travers le monde, semer le trouble dans le Genre, c’est-à-dire dans les identités sexuées, et défaire le Genre – pour reprendre les titres programmatiques de deux ouvrages de Judith Butler – et bon nombre de pays d’Amérique du Sud se laissent séduire.
Le souverain Pontife a également déclaré : « La théorie du genre continue à être enseignée, alors que c’est contre les choses naturelles ». Cette évocation d’une nature humaine est-elle devenue un tabou aujourd’hui ?
En effet. La rébellion contre le donné naturel et le consentement comme fondement de la légitimité définissent le projet moderne. L’homme doit « se rendre comme maître et possesseur de la nature » et les seuls liens légitimes sont ceux que le sujet contracte volontairement. Or, l’identité sexuelle n’est pas choisie par le sujet, elle est donc perçue comme oppressive. Naître, c’est recevoir, recevoir un corps, une histoire, un passé hypertrophie de la volonté. Nous sommes endettés par nature, dit magnifiquement l’anthropologue Marcel Hénaff.
Cette récusation de toute forme de donné naturel nous voue à une abstraction dont Merleau-Ponty nous invitait à méditer les conséquences pour la condition humaine : « Une ontologie qui passe sous silence la Nature s’enferme dans l’incorporel et donne, pour cette raison même, une image fantastique de l’homme, de l’esprit et de l’histoire ».
La nature ne décide pas de tout cependant. « On naît femme et on le devient ».
Najat Vallaud-Belkacem a réagi au micro de France Inter. Elle s’est dite « peinée » et « très en colère » par ces paroles « légères et infondées ». Elle a précisé qu’il n’y avait pas de « théorie du genre – qui d’ailleurs n’existe pas – dans ces livres ». Que pensez-vous de la réaction du ministre de l’Éducation nationale ?
Comme toujours avec Najat Vallaud-Belkacem, justifiant par là même le surnom de Pimprenelle que lui a donné François Hollande, elle croit endormir les consciences en pratiquant la dénégation systématique.
Elle sait parfaitement que les postulats du Genre sont enseignés dans les établissements scolaires. Elle aurait même pu se défausser en incriminant un de ses prédécesseurs, Luc Chatel. C’est en effet sous la présidence de Nicolas Sarkozy, en 2011, que l’enseignement du Genre a été introduit dans les manuels de « Sciences de la Vie et de la Terre » des classes de Terminales.
Les spécialistes du déni nous objectent que le Genre n’est pas enseigné à l’école primaire, au collège puisque le mot ne figure nulle part. Peut-être, mais là n’est pas la question. Ce qui est bel et bien diffusé, ce sont les postulats du Genre, et pas seulement dans et par les manuels. Les livres lus dès le Primaire, dont les élèves doivent rédiger une fiche de lecture, en sont les émissaires. C’est d’ailleurs, ce qui m’avait conduite à me pencher sur cette question du Genre, lorsqu’en 2012, mon neveu qui était alors en classe de CM1, est rentré de l’école avec pour devoir la rédaction d’une fiche de lecture consacrée à un ouvrage de David Wallians, Le Jour où je me suis déguisé en fille. Cet ouvrage d’une indigence littéraire qui aurait dû suffire à l’écarter d’une institution censée transmettre la langue et l’art d’écrire – mais les lectures scolaires n’ont plus d’autres finalités que de former des indignés et surtout pas des héritiers -, véhiculait un des axiomes majeurs du Genre : l’identité sexuée, le masculin et le féminin ne sont que des conventions, des normes imposées, travaillant précisément à « normaliser » les individus. Le Genre et la gauche s’emploient ainsi à déconstruire, à défaire les représentations, les significations qui cimentent une société. Sans doute le masculin et le féminin sont-ils, en partie, dans la continuité du donné naturel cependant, construits – chaque civilisation compose sa propre partition sur cet invariant – mais ces représentations constituent un lieu commun au sens littéral, les membres d’une même société s’y retrouvent, elles tissent un lien. Observons que cette même gauche n’a qu’un mot à la bouche « créer du lien social ».
Najat Vallaud-Belkacem invite le Pape à consulter les manuels scolaires. Non seulement il vérifiera que l’idéologie du Genre imprègne bien les chapitres consacrés à l’égalité des sexes, mais surtout, lorsqu’il parle de manuels, il entend assurément les programmes scolaires dans leur entier. Bon nombre de professeurs n’ont guère besoin de directives ministérielles pour inscrire à leur programme des ouvrages qui sont les vecteurs de cette idéologie. Les spectacles destinés aux écoles sont également édifiants.
Najat Vallaud-Belkacem a rappelé qu’elle avait déjà rencontré le pape et qu’elle était pleine de « respect » à son endroit. Comment comprenez-vous cette ambivalence de la gauche qui admire le pape François sur les sujets sociaux, économiques, migratoires et écologiques, mais le condamne sur les questions sociétales ?
Ambivalence du Pape non moins, si vous me le permettez. Le Genre et l’idéologie sans-frontiériste, à laquelle le Pape demande aux nations européennes de se convertir en matière d’immigration, relèvent de la même logique : le combat contre le principe de limite, de frontière – frontière entre les nations comme entre les sexes, refus des limites que nous fixe la nature.
Toutefois, les déclarations du Pape contre le Grand Capital séduisent assurément la gauche mais l’accord se fait sur l’écume, non sur les fondements. L’anthropologie chrétienne est une anthropologie de la finitude. L’homme est créature de Dieu; pour le chrétien, il n’est pas, comme le sujet moderne, au fondement de lui-même. L’individu comme absolu est étranger à la philosophie vaticane. •
Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie au Centre Sèvres. Son dernier livre La théorie du genre ou le monde rêvé des anges, publié chez Grasset en novembre 2014, vient de sortir dans une version « Poche » chez Hachette avec une préface inédite de Michel Onfray.
A lire aussi dans Lafautearousseau …
Il est contre la « colonisation idéologique » : François, Janus aux deux visages…
Bérénice Levet « se permet une juste et forte critique des positions du Saint Père en matière d’immigration…. » écrivez-vous.
Je lis dans Le Lévitique 19, 33-34: « Quand un émigré viendra s’installer chez toi, dans votre pays, vous ne l’exploiterez pas; cet émigré installé chez vous, vous le traiterez comme un indigène, comme l’un de vous; tu l’aimeras comme toi-même; car vous-mêmes avez été des émigrés dans le pays d’Egypte . C’est moi, le SEIGNEUR, votre DIEU. »
Je lis dans Matthieu 25, 29 : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » et, concernant les réprouvés lors du Jugement dernier: « J’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli (Mt 25, 43)
Actuellement, dans nos pays occidentaux, arrivent de très nombreux étrangers fuyant la famine et la guerre « sainte » menée par le soi-disant « ‘état islamique », exploités souvent abominablement par des « passeurs », rendant effroyables les conditions de leur fuite.. Penseriez-vous acceptable que le chef de l’Eglise catholique nous conseille de rejeter ces malheureux à la mer?
Comment donc doit agir un chrétien selon vous, puisque vous vous affirmez chrétiens -sauf erreur de ma part-?
Le fil des commentaires répondra peut-être plus en détails à votre légitime question.
Voici de premiers et brefs éléments de réponse :
1. Dans les deux textes tirés des Ecritures que vous citez, il est remarquable que l’étranger y est nommé au singulier. Il s’agit d’une invitation de morale individuelle.
2. Dans le cas de millions de migrants, s’ajoutant aux millions d’étrangers déjà accueillis au cours des quarante dernières années, nous avons affaire à un problème politique – ou sociétal ou les deux – et si l’on veut de morale sociale ou politique.
3. Le devoir de charité envers notre peuple, notre nation, notre civilisation, est aussi un devoir légitime. Qui peut et doit primer en cas de péril.
4. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique reconnaît aux Nations, aux Etats qui les gouvernent, la faculté de fixer le nombre d’étrangers qu’il est possible d’accueillir dans ladite nation sans mettre en péril ses équilibres fondamentaux, son identité et l’ordre public. Les possibilités d’accueil ne sont en effet pas illimitées. Surtout s’agissant de migrants de civilisation et religion étrangères aux nôtres, voire hostiles ou même agressives.
5. S’agissant de la France, il nous paraît évident que le seuil de tolérance à une telle immigration est dépassé depuis longtemps.
Le devoir de charité doit donc aujourd’hui s’exercer prioritairement envers les membres de notre propre communauté nationale. Présents, passés et futurs.
Bonjour
Je rajouterai ceci : plutôt que de déplacer les problèmes après avoir bien pris conscience aujourd’hui de nos limites d’accueil , n’est il pas préférable d’aider les populations dans le besoin directement sur place avec les moyens adéquats et disponibles ?
C’est cela pour moi la Charité. Aider l’autre sans se perdre non plus.
En effet, le but de chaque homme n’est il pas de vivre heureux et en paix sur sa propre terre dans le respect de son identité ? Cela favorise ainsi la diversité et la richesse du monde, permettant ainsi des échanges fructueux entre les peuples !
D’accord avec Louis de Frottè.
La situation du Proche-Orient est catastrophique mais pas unique au monde.
On ne peut pas accueillir chez soi tout ce qui souffre, de la guerre ou de la faim ou de la cruauté des hommes ou de la nature sur cette planète. L’Histoire est tragique. Il faut le savoir.
D’accord avec Louis de Frotté….mais ma femme connaît personnellement une famille chrétienne irakienne qui a quitté brusquement son domicile en pleine nuit devant l’avancée de l’état islamique à Mossoul en août 2014. Cette famille est recueillie à Agen depuis un an et quelques mois. Une autre famille chrétienne irakienne comprenant un vieillard de 90 ans handicapé a perdu un fils (tué par l’E.I.), un autre fils s’est installé en région parisienne, le dernier fils de 20 ans s’adapte avec l’aide d’une association œcuménique locale; les parents déjà âgés comptent sur lui. Enfin est arrivée une famille musulmane celle-ci, syrienne, pour des raisons plus ou moins semblables; le jeune homme chrétien irakien sert d’interprète entre les membres de l’association et la nouvelle famille…
« Le but de chaque homme n’est-il pas de vivre heureux et en paix sur sa propre terre dans le respect de son identité? « Eh oui!
Mais comment réaliser cet idéal dans des conditions de guerre d’extermination? Et que peuvent faire des personnes de bonne volonté même dans un cadre associatif sinon l’accueil fraternel?
Les éléments de réponse que donne le blogmestre relèvent du simple bon sens.S’il est clair,pour un chrétien de devoir, par charité et amour fraternel,aider et accueillir l’étranger,le malheureux,le voyageur,ce devoir personnel ne doit pas s’exercer au détriment de ce qu’il doit d’abord à sa famille,à son entourage et à sa patrie.
Et le devoir de tout État,quel qu’il soit,est d’abord et avant tout de protéger sa population.A l’égard des étrangers c’est ce que l’on appelait sous l’Ancien régime le droit des gens qui doit dicter sa conduite:c’est ainsi que l’étranger qui venait se réfugier en France était réputé libre et devenait,s’il le voulait,sujet du roi.Mais cette tradition d’accueil ancienne,et caractéristique du Royaume Très
Chrétien,n’a jamais été jusqu’à inviter les Barbaresques à venir mettre en danger les populations…