LA FAMILLE ROYALE CHERIFIENNE
Par Péroncel-Hugoz
Notre confrère Peroncel-Hugoz, longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, a publié plusieurs essais sur l’Islam, et il travaille maintenant à Casablanca pour le 360, l’un des principaux titres de la presse francophone en ligne au Royaume chérifien. Il tient aussi son Journal d’un royaliste français au Maroc, dont la Nouvelle Revue Universelle a déjà donné des extraits. Nous en faisons autant, depuis janvier 2016, en publiant chaque semaine, généralement le jeudi, des passages inédits de ce Journal. LFAR •
SAMEDI 25 AOUT 2012, RABAT
Grand mariage à Rabat, dans la haute bourgeoisie et plus précisément chez la fille d’une ex-concubine de Mohammed V, autorisée à se remarier après le décès du sultan-roi, en 1961. C’est donc la petite-fille de la ci-devant « dame du Palais » qui épouse un jeune homme de bonne famille.
Plusieurs milliers d’invités : la plupart des hommes sont en complet-veston gris ou noir, cravatés tout aussi tristement, sans barbe (trop religieux), rarement avec moustache (trop populaire, trop aâroubi (1). Seuls les serveurs sont en jabadors (2) et calots blancs, et le maître de cérémonie en djellaba jaune paille (la tenue traditionnelle masculine idéale mais qui, en ville, n’est plus guère portée que pour la grande prière du Vendredi).
Mais quelle revanche de la marocanité, de l’Orient, des couleurs, des fleurs, du côté féminin ! Mon plaisir, ce soir, outre l’orchestre jouant les classiques de la musique arabe (Oum Kalsoum, Fayrouz, Abdelwahab plus quelques airs de chansons marocaines), les nems halal aux fruits de mer et autres spécialités du cru ou marocanisées, mon très grand plaisir ce sera de voir arriver, se placer, saluer, en quelque sorte « défiler » un millier d’invitées, de la fillette à la bisaïeule, toutes revêtues du caftan, sorte de robe-manteau à grandes manches et traîne obligatoire, obligeant ces dames à l’élégant geste, lorsqu’elles marchent, de soulever un peu cette longueur qui est le propre du caftan de Cour dit aussi Makhzénien (3).
Les créateurs de caftans sont doués d’une imagination sans limite, et certains sont localement célèbres, comme Ouaknine, un Juif de Casa (les tailleurs israélites ont jusqu’à récemment joué un rôle au Palais, l’un d’entre eux publiant même d’intéressants Mémoires (4).
Aussi, ce soir, aucun doublon (ce qui se voit parmi les clientes de la haute couture à Paris ou Milan), pas une seule invitée portant le même caftan que sa voisine ! Et quelle avalanche de motifs ! Toutes les couleurs, sauf le noir (abandonné à la mode européenne qui s’en repaît depuis des lustres ad nauseam), tous les motifs et surtout, surtout, toutes les fleurs de la création, souvent en gros motifs et portés même carrément par des grands-mères : glycines, anémones, tulipes, roses, pivoines, pensées, arums, fleurs d’oranger ou de citronnier, coquelicots, bleuets, marguerites, canas, bignones, lauriers roses, bougainvillées etc. etc…
Le tout d’un éclat, d’une fraîcheur, d’une variété jamais vus de ma vie dans un parterre féminin. •
1. Aâroubi : « petit arabe, campagnard », équivalent de « pécnod » en français
2. Jabador : costume masculin traditionnel marocain avec pantalon semi-bouffant et veste brodée
3. De « Makhzen », gouvernement avec référence à la Royauté. Le mot « magasin », en français, vient de Makhzen
4. Les couturiers du sultan, itinéraire d’une famille juive marocaine, par Albert SASSON, Editions Marsam, Rabat, 2007
excellent papier, comme toujours…
A propos : on écrit » péquenot « , pas pécnod
Tres bien