CHRONIQUE D’ÉRIC ZEMMOUR sur Figarovox du 5.10 : Le quinquennat Sarkozy vu par Patrick Buisson fait grand bruit. Mais n’y a-t-il pas erreur sur l’ouvrage ? C’est ce que Zemmour expose ici avec toute la force, toute la verve de son talent. Des cyniques, des faibles, des inconstants, il y en eut aussi dans l’ancienne France. Ce qu’ils avaient de capacités pouvait néanmoins servir un Roi, qui, lui, par nature et position, incarnait la nation, en servait les intérêts parce qu’ils étaient aussi les siens. La croix de Buisson, c’est aussi, c’est surtout, d’avoir cru pouvoir tirer un bien d’un Système qui ne le permet pas. Il a échoué avec Sarkozy, il eût échoué – peut-être pour d’autres raisons – avec tous les autres. La République à la française est un Système en soi détestable et irréformable. La France ne pourra renaître qu’en en changeant. Peut-être est-ce cette conviction qui manque encore à Buisson et Zemmour pour être de grands politiques. Lafautearousseau.
Les plus grands livres sont souvent les récits des belles défaites. Le cardinal de Retz gagna l’immortalité littéraire en relatant ses vains exploits face à la rouerie supérieure du cardinal Mazarin ; le duc de Saint-Simon atteignit les sommets en contant, contrit, qu’il ne parvint jamais à remettre son ami le duc d’Orléans dans le droit chemin de la vertu chrétienne. Patrick Buisson, à l’instar de ses inégalables modèles, aime les mots rares et l’imparfait du subjonctif; il a lui aussi la dent dure et l’ironie qui cingle comme une cravache contre le « cynisme d’oligarque décontracté d’Alain Minc » ou « la subtile et distinguée Roselyne Bachelot »; ou encore le récit de ce déjeuner, rencontre revisitée de la belle et la bête, entre NKM et notre auteur, à l’issue duquel la belle demanda à la bête qui en resta coite de la conseiller en vue de la prochaine présidentielle.
On rit souvent en lisant La Cause du peuple. Il faut dire qu’avec Sarkozy, notre auteur tient un tempérament comique d’exception. On le savait déjà pour avoir lu les livres innombrables que ses ministres se sont empressés d’écrire sur son quinquennat; le magnétophone n’est pas l’apanage exclusif de notre auteur. Sarkozy apparaît bien une nouvelle fois en clone de Louis de Funès, par ses tics, mimiques et grimaces dignes de La Folie des grandeurs (« Je veux mourir riche. Blair me dit qu’il se fait payer 240.000 dollars par conférence. Je dois pouvoir faire mieux ») ou ses flèches acérées contre ses ministres tous transformés en Bourvil dans Le Corniaud. De Funès était un tyran qui devenait tout miel aussitôt que sa « biche » apparaissait. Buisson nous décrit ainsi les entrées de Carla Bruni au cours des réunions de cabinet, lui passant la main dans les cheveux ou l’arrachant à ses devoirs en épouse impérieuse : « La République je m’en fous, la politique je m’en fous, l’Élysée, je m’en fous. Ce que je fais, c’est pour toi et pour toi uniquement parce que franchement, on a de l’argent, on a tout ce qu’il faut pour être heureux, pourquoi donc aller se faire déchiqueter par ces hyènes ? ». Celui que Buisson appelle cruellement « l’époux de Mme Bruni » se révèle alors tel qu’en lui-même: « Le chef né pour “ cheffer ” était en réalité un fragile séducteur subjugué par ses conquêtes, un faux dur submergé par un état permanent de dépendance affective, une âme malheureuse qu’habitait non pas le dur désir de durer, mais celui d’être aimé. Ce mâle dominant vivait sous l’empire des femmes ». Ce n’était pas Bonaparte, mais le général Boulanger. Ce n’était pas du voyeurisme, mais de la politique.
« L’échec du quinquennat réside dans la dramatique inadéquation entre son fort tempérament instinctif et son irrépressible besoin de reconnaissance médiatique et affective. L’homme public, malgré l’appel qu’il sentait sourdre en lui, fut toujours contraint par l’homme privé, ses passions, ses désordres, ses coupables faiblesses pour l’air du temps et les fragrances de la modernité ». On rit avant que d’en pleurer. « Le sarkozysme n’était au fond que la continuation du giscardisme et du chiraquisme par d’autres moyens. » Sarkozy a été élu parce qu’il a répondu au besoin identitaire d’un peuple qui se sent dépossédé de sa culture, de son mode de vie, de son territoire, de sa nation même. Mais au-delà des slogans de campagne, il n’y aura rien. Toujours plus d’immigrés, toujours plus d’éloges du métissage, du multiculturalisme. Toujours plus de subventions aux associations antiracistes. Toujours pas de référendums, d’appels au peuple, en dépit des suppliques réitérées de notre auteur. Toujours plus de rodomontades, de compromis, de renoncements. « En fait de grand timonier, on a eu un grand timoré. »
Un mot à droite, un acte à gauche, telle fut la ligne suivie par Sarkozy. « Un ludion : un objet creux et rempli d’air soumis par des pressions successives à un incessant va-et-vient. » Un ludion médiatique. Adoré et honni par les médias. Ses rapports avec ces derniers résument on ne peut mieux l’ambivalence sarkozienne. Un regard acerbe, féroce, et souvent lucide sur la gent journalistique, comme son portrait à la serpe de Jean-Michel Apathie : « C’est un militant de gauche bas de plafond et dépourvu du moindre talent. Il porte la haine sur son visage. Et dire qu’il a osé évoquer l’installation d’une baignoire dans mon nouvel avion ! Pourquoi pas un court de tennis ou un four à pizza ? »
Mais c’est Sarkozy qui se soumet toujours à la doxa médiatique, cette idéologie dominante libérale-libertaire, faite d’individualisme, d’hédonisme et de victimisme compassionnel. Cette idéologie dominante, héritée de Mai 68, Sarkozy ne peut la défier qu’en paroles, mais jamais en actes, car il en est une des incarnations les plus abouties.
Il y a méprise. Il y a quiproquo. Il y a maldonne. Le dernier livre de Patrick Buisson est présenté partout comme une charge contre Nicolas Sarkozy; un amour déçu pour les uns, une attaque politique pour les autres. Les médias en profitent pour refaire le sempiternel procès en sorcellerie de l’ancien président. Il y a erreur sur la personne. Les médias devraient élever une statue à Sarkozy: il fait semblant de les affronter pour mieux mettre en œuvre leur idéologie bien-pensante.
Il y a erreur sur l’ouvrage. L’homme sur lequel s’acharne Patrick Buisson, celui avec qui il est le plus impitoyable, n’est pas Nicolas Sarkozy, mais Patrick Buisson. C’est Sarkozy qui a perdu la présidentielle de 2012, mais c’est Buisson qui a échoué. Échoué à imposer sa fameuse « ligne Buisson » autrement que par quelques discours de campagne; échoué à transmuer un bon candidat en un monarque présidentiel; échoué à faire de l’Élysée une base de reconquête idéologique et politique pour une droite chère à son cœur, mélange de légitimisme traditionaliste catholique et de bonapartisme. Échoué plus profondément à arracher la France aux miasmes de la postdémocratie occidentale qui écarte et méprise le peuple au profit (dans tous les sens du terme) d’une oligarchie financière et juridique.
Ce fut le drame intime de Patrick Buisson d’avoir été le conseiller politique d’un président « qui n’était pas son genre ». Ce livre est sa confession et sa quête éperdue d’absolution. Ce livre est sa croix. •
Patrick Buisson, Perrin, 438 p., 21,80 €.
Le livre de Patrick Buisson est excellent et il faut en recommander la lecture. Ce n’est pas un pamphlet contre Sarkozy même si les portraits et les anecdotes sont souvent au vitriol.
Buisson n’est pas un romancier ou un mémorialiste ; c’est un historien et un essayiste. Ce livre est d’abord, à mon avis, une réflexion sur le pouvoir avec en toile de fond le mandat de Sarkozy qui permet à Buisson de rendre plus vivante sa réflexion politique et philosophique.
De surcroît, c’est très bien écrit et très riche en références philosophiques et littéraires. Je n’en ai pas encore achevé la lecture mais c’est assurément un livre important car c’est l’œuvre d’un des meilleurs analystes de la vie politique française.
Sarkozy, Blair, Clinton et tous ces politiciens à la retraite (temporaire ?) qui ont occupé les sommets de l’Etat ne font pas des conférences pour la bonne cause, sans quoi ils les feraient gratuitement, Non, ils les font pour la bonne caisse : la leur.
Et pour le reste, je ne peux en dire plus car je n’ai pas (encore?) lu le livre de P. Buisson, mais ce commentaire d’E. Zemmour est, comme d’habitude, pétri d’intelligence et incite à lire un livre que, sinon, on aurait négligé comme tout acte de règlement de compte politicien.