Les prochaines échéances électorales seront dominées par les populistes, explique l’éditorialiste François Lenglet dans Tant pis ! Nos enfants paieront (Albin Michel), un livre où il retrace la généalogie de la profonde mutation idéologique en train de s’opérer, du libéralisme au protectionnisme.
Vous expliquez que les inégalités entre générations n’ont jamais été aussi criantes. Est-ce un phénomène inédit ?
C’est d’abord un constat. Pour la première fois dans l’histoire, les seniors profitent – malgré des disparités importantes – de revenus et de conditions de vie bien supérieurs à toutes les autres tranches d’âge. C’est une inversion inédite, observable dans la plupart des pays mais qui est plus marquée encore en France que chez nos voisins. Les grands bénéficiaires de cette inversion sont ceux qu’on appelle les « baby-boomers », nés dans les années 1940 et 1950.
Cette génération s’est intégrée sans difficulté sur un marché du travail en pleine santé, grâce à la croissance exceptionnelle des Trente Glorieuses. Elle s’est enrichie en achetant à faible prix un patrimoine immobilier avec des créances remboursées en monnaie de singe, grâce à l’inflation. Elle a organisé un état-providence financé à crédit grâce auquel elle prend – ou prendra – une retraite dans des conditions de confort sans précédent.
En quoi cela a-t-il un impact sur les générations suivantes ?
Parce que les règles ont changé. Nicolas Sarkozy et François Hollande, nés au mitan des années 50, sont les meilleurs représentants de cette génération de favorisés qui a toujours su tirer profit de circonstances avantageuses. Faut-il expliquer autrement le changement radical d’environnement économique au début des années quatre-vingt ? Un renversement opéré sous l’impulsion de la banque centrale des états-Unis, bientôt imitée par la plupart des pays : on remonta d’abord les taux d’intérêts pour favoriser l’épargne et on désindexa ensuite les salaires des prix afin de juguler l’inflation, destructrice de dette.
C’est ainsi que le modèle des Trente Glorieuses, fondé sur l’investissement, laissa la place au modèle actuel, fondé sur la rente et le capital. Depuis trente ans, les jeunes et les travailleurs doivent donc supporter non seulement leurs emprunts privés, mais aussi le poids de la dette publique qui n’a jamais été aussi élevée. Dette qui sert, en particulier, à financer la retraite, la santé et autres transferts à destination des seniors ! C’est tout le problème qui se pose actuellement dans la gestion des crises, particulièrement en Europe. On voit bien que la préoccupation principale est de préserver la valeur des dettes accumulées et, in fine, du capital.
C’est le cas de la Grèce…
La Grèce est un cas d’école d’erreur économique. Et d’erreur majeure… D’un côté, on lui interdit de s’endetter davantage et, de l’autre, sa compétitivité est structurellement obérée par une monnaie qui ne correspond pas à son niveau de spécialité. C’est dramatique. Les crises asiatiques ont été surmontés à l’aide de dévaluations qui ont fait baisser le coût des exportations, ramené la croissance et permis à l’économie de redémarrer en quelques mois. Rien de tel pour la Grèce qu’on maintient à tout prix dans la zone euro pour qu’elle s’acquitte de dettes… qu’elle est bien incapable de rembourser !
Si la Grèce aurait intérêt à sortir de l’euro pour dévaluer sa monnaie, la solution ne pourrait-elle pas s’appliquer pareillement à la France ?
L’histoire, le contexte, les économies ne sont pas comparables. Sortir de la monnaie unique ne résoudrait pas tous nos problèmes comme par magie. En France, les promoteurs d’une sortie de l’euro en font le préalable au financement d’un programme absurde de distribution généralisée et d’allocations en tout genre. Soyons sérieux. On ne répare pas le moteur d’une voiture en changeant les pneus ! En revanche, il est certain que l’euro a aggravé nos faiblesses.
Quid des questions de compétitivité ou de la montée en gamme de notre économie ? L’union monétaire a été bâtie sur des illusions, sans tenir compte des déterminants de long terme de la croissance. Il est d’ailleurs de plus en plus probable que la zone euro ne subsiste pas telle qu’on la connaît. Des sorties, des changements de périmètre et d’organisation sont à prévoir à court terme. Mais la génération libérale qui l’a mise en place s’y accrochera, même si c’est au mépris de l’évidence. On l’a vu avec la Grèce.
Sauf que les partis hostiles à l’Union et à la monnaie unique ont le vent en poupe. D’une façon générale, les positions protectionnistes, souverainistes, voire nationalistes, se multiplient…
En effet, c’est d’ailleurs la thèse principale de mon livre. La prochaine présidentielle sera dominée par ceux qu’on appelle les populistes. C’est vrai pour la France, mais c’est le cas partout dans le monde et cela n’a rien d’étonnant. La crise financière a donné le sentiment que les règles de l’économie mondialisée n’étaient pas les mêmes pour les petits et pour les gros. La période de très forte mondialisation qui l’a précédée a accru les inégalités entre ceux qui profitent de l’ouverture, les plus qualifiés et les plus mobiles, et les autres, qui en subissent les conséquences en termes de revenu et d’emploi.
Elle a créé des désordres, déstabilisant les communautés par une immigration incontrôlée sur laquelle se focalisent les peurs. Ajoutez à cette potion amère les attentats qui sont venus renforcer le sentiment d’insécurité générale et vous obtenez tous les ingrédients d’une très forte poussée de populisme. Populisme qui exacerbe le ressentiment des citoyens contre l’impunité dont semblent jouir les responsables de la crise : les élites mondialisées et leur libre-échangisme.
D’aucuns prétendent que le phénomène n’est que passager. Est-ce votre sentiment ?
Absolument pas. Les crises économiques et migratoires ont cristallisé une révolution idéologique progressive, comparable à celle déclenchée par le libéralisme il y a cinquante ans. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère idéologique où le besoin de protection est plus fort que le désir de liberté. Maints exemples en attestent. Je pense par exemple à l’usage des nouvelles technologies, hier symboles de la mondialisation et de l’ouverture au monde et aujourd’hui de plus en plus utilisées comme des outils de surveillance.
Si l’on vous suit bien, vous nous annoncez le Front national au pouvoir ?
Pas nécessairement. Généralement, les partis populistes cèdent le pas à partir du moment où les partis traditionnels comprennent les peurs qui sont à l’origine de leur extension. Ils s’approprient les thèmes populistes mais avec leur humanisme, ce qui change quand même la donne. C’est ce qui se passe au Royaume-Uni, avec la nouvelle orientation des Conservateurs. Teresa May a une très grande intelligence du Brexit et répond exactement au bon niveau pour couper l’herbe sous le pied des populistes.
Ce n’est pas encore le cas sur le continent, d’où les scores énormes des populistes en France et, désormais, en Allemagne. Mais le corset craque de partout. Schengen explose. Que la Commission européenne mène une enquête sur Barroso est aussi le signe d’un changement d’époque, comme la récente polémique sur les travailleurs détachés, inimaginable il y a seulement cinq ans. Nous vivons actuellement l’exact contraire de la fin des années quatre-vingt qui, avec la chute du mur de Berlin, fut le sommet de la vague libérale et mondialisante portée par une génération de « baby-boomers » alors dans la maturité de son âge. D’autres générations montent aujourd’hui en puissance et elles n’ont pas les mêmes aspirations.
Vous établissez un parallèle entre la situation actuelle et les années 30. L’histoire est-elle un éternel recommencement ?
Il y a des récurrences, des phénomènes qui se reproduisent à intervalles réguliers et dans des formes relativement similaires. C’est le cas, grosso modo, tous les quatre-vingt ans, ce qui correspond à peu près à la durée d’une vie humaine. Comme si les mêmes erreurs étaient commises dès que les témoins de la catastrophe précédente n’étaient plus là. Même si l’intégralité du schéma n’est pas forcément réplicable, les similitudes sont frappantes entre la situation actuelle et la crise des années trente ou celle de 1873 : crise financière, longue période de stagnation, montée des populismes, reflux de la mondialisation, retour des frontières… Tout cela met vingt ans à se matérialiser. Le temps que la génération qui a créé les conditions de la crise quitte le pouvoir et soit remplacée par une autre.
Le retour du protectionnisme, est-ce la fin de la mondialisation ?
C’est plutôt le protectionnisme qui se mondialise ! On pense toujours que la mondialisation est un phénomène récent, linéaire et irréversible. Rien n’est plus faux. Nous sommes au cœur d’un processus démarré il y a 500 ans, qui connaît avancées et reculs. La première réaction à la mondialisation, dans une période de grandes découvertes à l’origine de fortunes inouïes, c’est la Réforme de Luther dont un texte très important est une critique féroce du commerce international. Libre-échange ou protectionnisme, il n’y a jamais de victoires définitives. En la matière, il n’y a pas de loi éternelle. L’un et l’autre progressent et régressent alternativement en fonction des époques, des intérêts nationaux et du degré de tolérance des peuples à l’ouverture. Or le nôtre, et c’est rien de le dire, est de plus en plus faible… •
Tant pis ! Nos enfants paieront, de François Lenglet, éditions Albin Michel, 240 pages, 18€
Monsieur Lenglet est un quadra qui ne peut qu’analyser que ce qu’il a vécu. Parler des Papy boomers , des trente glorieuses, des retraités aisés riches propriétaires c’est une image d’epinal portée par les bobos parisiens. Ceux qui sont nés avant , pendant et juste après la guerre et l’occupation, suivi de la libération par les Américains ont en mémoires d’avoir vécus dans des baraquements, puis être allé à l’école en portant son morceau de bois pour ce chauffer, puis de rester couvert au Lycée, avec la canadienne de toile rembourrée, pendant les cours d’hiver. Ensuite tous ces jeunes ont travaillé dur pour reconstruire la France, routes, autoroutes, barrages hydrauliques , centrales nucléaires, avions, bateaux, » le France » etc,N’oublions pas les deux ou trois ans passés en Algérie. . La loi Foncière des années 1970 a ouvert des territoires à la construction de maisons individuelles. Ces papys et ces mamies ont investi dans les briques, souvent en construisant eux même leur maison, à la campagne, parce que le modernisme des matériaux le permettait. Jusqu’ à leur retraite, vers les années 2000, ils ont construit un pays, que les politiques de la république démolissent, le chemin de fer, les routes, l’électricité, l’agriculture, l’automobile, les industries nationales et locales, Les enfants paieront ce que leurs élus on cassé. Combien de retraités vivent dans leur maison, (que vous leur reprochez et que vous envisagez d’imposer) avec une retraite inférieure au minimum vital Ces vieux n’avaient pas le matériel informatique et téléphonique de dernière innovation, ils ont vécu la reconstruction de la France….Un sage Africain disait de nous : « vous courrez après le temps et l’argent, vous ne prenez plus le temps de regarder autour de vous et de respirer la joie de la nature. »
Mais »Le Cosquer », Lenglet ne parle pas des enfants nés avant ou pendant la guerre, mais bien des » baby-boomers », nés dans les années 1940 et 1950″. Et il faut reconnaître que nous (je suis né en 1947) n’avons connu qu’une période dorée : trop jeunes pour connaître les restrictions, trop jeunes pour aller nous battre en Algérie…
La vie dorée de nos années de jeunesse, celles où il n’y avait ni chômage, ni terrorisme, ni drogue… nous en avons tellement eu marre que nous avons fait mai 68, révolte de jeunes gavés… (je le sais bien, j’en étais !)…
François Lenglet n’est-ce pas cet « économiste » ultra-libéral qui vient nous faire des cours de rhétorique économique, sur C dans l’Air, et autre médias arrimés aux Atlantistes ? Ce n’est pas étonnant qu’il fustige les générations de baby boomer qui dans leur majorité depuis 2008, voient leur retraite revus à forte baisse.
Mais que monsieur Lenglet viennent nous parler avec autorité de la crise et de la dette ne manque pas de sel, oubliant juste de préciser que cette crise de 2008 est due à la dérégulation des banques, due aux opérations financières douteuses qui d’ailleurs ont emporté Madoff et compagnie, et que des officines « privées » désignées de facto par les banques en question, étranglent les Etats avec une dette tout à fait factice ! Exemple la Grèce et les pays européens les plus fragiles ! Cette dette est fabriquée, tout comme l’opinion publique est fabriquée par des journalistes dont le manque d’impartialité saute aux yeux ! Nous en avons en ce moment un exemple avec la Syrie, Poutine et les élections américaines ! De grâce que ces faiseurs de tintamarre médiatique se taisent !
Peut-être, Bergeronnette que vous devriez lire ici ce que dit Lenglet ici – quoiqu’il a pu dire en d’autres temps – et actualiser votre jugement.
Ne confondons pas les jeunes nés en 1937-1940 avec ceux nés en 1947-1950 ,Il y a dix ans de vie, celle de la sortie de la guerre, celle du changement profond dans la philosophie des gens . En ces dix années d’après guerre le monde à changé brutalement, connu les Américains. Oui les jeunes nés en 1940 ont connu les restrictions et à vingt ans (58-63)ils partaient à la guerre d’Algérie n’ayant pas encore acquis d’automobiles, seul le scooter faisait fureur « de vivre ». Les jeunes nés en 1950 ont fait la révolution bourgeoise de 68.Le seul avantage à mes yeux a été la libération des femmes enfin des jeunes filles, Mais cette jeunesse a rejeté les règles qui géraient notre société, le tutoiement qui veut effacer le cadre hiérarchique qui se défausse de sa responsabilité de donneur d’ordre. Je ne porte pas jugement mais c’est un fait. Un monde a existé avant 50, nous étions encore dans un monde colonial et nous avons reconstruit ensemble le pays Se référer uniquement aux années d’après soixante huit rétrécit les études sociales sur 48 ans… et donc sur peu de chose, envers l’immensité de l’histoire des hommes de ce pays.