Par Mathieu Bock-Côté
L’essai de Patrick Buisson a déclenché les passions, mais sous l’angle des confidences à l’endroit de l’ancien président. Mathieu Bock-Côté, pense au contraire que La cause du peuple est d’abord et avant tout un livre d’analyse politico-philosophique de notre époque [Figarovox, 18.10]. Cette chronique brillante – et selon toute vraisemblance pertinente pour qui n’a pas encore lu le livre de Patrick Buisson – porte, elle aussi, son regard très en profondeur non seulement dans l’essentiel de cet ouvrage mais aussi dans les maux dont souffrent nos sociétés – la société française tout particulièrement – et dans les perspectives et conditions d’une possible renaissance. Il y a là de très belles et très sûres réflexions qui intéressent au premier chef les royalistes, les patriotes et, au delà, tous les Français qui selon l’expression de Thierry Maulnier « persistent à aimer la France et à ne pas désespérer d’elle ». Lafautearousseau
« Un brulot ». Un « livre à charge ». Un « règlement de comptes », ajoutèrent certains. C’est ainsi qu’on a accueilli La cause du peuple (Perrin, 2016), le dernier livre de Patrick Buisson, en prenant bien la peine de rappeler, comme à l’habitude, tout son parcours idéologique, comme s’il fallait mettre en garde le commun des lecteurs contre lui. Ces mises en garde faites, on a tout fait pour réduire cet ouvrage à une compilation de confidences et d’indiscrétions, comme s’il se livrait à la manière d’un petit tas de secret sur la Sarkozie. En gros, ce serait un livre de ragots. Comment ne pas voir là une autre preuve que la plupart du temps, les journalistes ne lisent pas vraiment les livres dont ils parlent ? Ou s’ils les ont lus, qu’ils se fichent bien de l’essentiel. Ou alors, peut-être ont-ils décidé d’enterrer celui qu’on veut à tout prix faire passer pour un mauvais génie ? Chose certaine, ils ne se sont pas intéressés à l’analyse de notre situation historique que Buisson a pris la peine d’élaborer sur plus de 400 pages, avec un bonheur d’écriture indéniable: on se contentera d’y coller une sale petite étiquette radioactive pour en faire un infréquentable personnage. Le vrai pouvoir de la gauche médiatique, c’est de décerner des certificats de respectabilité auxquels on prête encore de la valeur.
Et c’est dommage. Très dommage. Car La cause du peuple est probablement un des livres les plus importants parus ces dernières années – j’ajouterais, un des plus passionnants. Si Buisson joue à sa manière le rôle du chroniqueur des années Sarkozy, qu’il a accompagné de 2005 à 2012 en voulant en faire le héraut de la France telle qu’il se l’imagine, il nous propose surtout, dans cet ouvrage, une puissante analyse de notre temps. Il croise la psychologie politique, la philosophie politique et l’anthropologie politique et son regard va très en profondeur. Il s’agit de faire un portrait de l’époque à travers la présidence d’un homme qu’il aurait souhaité frappé par la « grâce d’État » mais qui n’est jamais vraiment parvenu à faire quelque chose de son incroyable énergie, comme s’il était paralysé par son désir de reconnaissance par les branchés et les élégants, représentés à ses côtés par son épouse. Sarkozy, pour Buisson, est d’abord l’histoire d’un talent gâché, d’une immense déception. C’est l’histoire d’un homme qui aurait préféré l’agitation à l’action, en confondant l’hyperactivité médiatique et le travail de fond. Il n’aura pas su saisir la part sacrée du politique, la symbolique sacrificielle du pouvoir. Le pouvoir devait le conduire dans la jet-set mondiale où il jouirait, enfin riche, de son ascension sociale parfaitement réussie.
On le sait, Patrick Buisson a été grand stratège du sarkozysme électoral en 2007, c’est-à-dire d’une campagne misant sur la transgression du politiquement correct en mettant de l’avant la notion d’identité nationale, longtemps concédée par la droite « républicaine » à la droite populiste. Buisson en était convaincu : il fallait mener la guerre culturelle à une gauche depuis trop longtemps hégémonique dans le monde des idées. Mais cette notion n’avait rien d’un hochet rhétorique chez lui. Au contraire, à travers elle, il était possible de renouer avec la part conservatrice de la droite et plus fondamentalement, de sortir d’une vision strictement économique de l’homme, qui passe souvent pour la seule rationnelle, surtout à droite, où on croit répondre aux besoins de l’âme humaine avec une approche strictement comptable. L’identité nationale ouvrait, pour Buisson, sur la part symbolique et anthropologique de la communauté politique : cette part, qui se dérobe à l’artificialisme sociologique, est probablement la plus importante. L’identité nationale permettait de faire une brèche dans une mythologie progressiste glosant sans cesse sur les valeurs républicaines pour mieux occulter l’identité historique de la France.
C’est cette part que Buisson cherchera à mettre de l’avant pendant cinq ans, en invitant Nicolas Sarkozy à se l’approprier. Qu’il s’agisse de la question de l’autorité de l’État, de l’immigration ou des questions sociétales, Buisson revient toujours à la charge en rappelant une chose fondamentale : le peuple français fait une expérience pénible de sa désagrégation. Ce constat est vrai pour l’ensemble des peuples occidentaux. Il voit ses symboles s’égrener, ses repères se brouiller, son identité s’émietter. Il se sent de plus en plus devenir étranger chez lui. Ses aspirations profondes sont étouffées, et mêmes déniées. On les présente comme autant d’archaïsmes ou de phobies alors qu’il s’agit d’invariants anthropologiques que la civilisation avait traditionnellement pris en charge et mis en forme. La vocation du politique, nous dit Buisson, est d’abord conservatrice: il s’agit de préserver une communauté humaine, qui est une œuvre historique vivante, et non pas toujours de la réformer pour l’adapter à la mode du jour. Il y a dans le cœur humain un désir de permanence qu’on doit respecter. Lorsqu’on le nie, on pousse l’homme à la solitude extrême, puis à la détresse.
Buisson souhaite reconstituer le peuple français, et pour cela, il croit nécessaire de renouer politiquement avec lui. Alors que les élites ne savent plus défendre une souveraineté de plus en plus vidée de sa substance, il faut aller directement au peuple pour reconstituer une véritable puissance publique. C’est en puisant directement dans la légitimité populaire que Buisson entend régénérer le pouvoir, le déprendre des nombreuses gangues qui l’enserrent comme le droit européen ou international ou encore, les nombreux corporatismes qui entravent la poursuite de l’intérêt général. Mais, ajoute-t-il, la gauche ne pense pas trop de bien de ce retour au peuple, puisque depuis très longtemps, elle se méfie des préjugés du peuple, qui se montre toujours trop attaché à ses coutumes : elle rêve d’une démocratie sans le peuple pour la souiller de ses mœurs. C’est l’histoire du rapport entre le progressisme et le peuple dans la modernité. Dans le cadre de la campagne de 2012, Buisson cherchera quand même à convaincre Nicolas Sarkozy de miser sur une politique référendaire qui pourrait faire éclater le dispositif annihilant la souveraineté. Il n’y parviendra pas vraiment, même s’il poussera le président-candidat à renouer avec une posture transgressive.
Mais un peuple n’est pas, quoi qu’en pensent les théoriciens des sciences sociales, une construction artificielle qu’on peut créer et décréer par décret. Et c’est en puisant dans son histoire qu’il peut renaître, en retrouvant ses racines les plus profondes. L’histoire est chose complexe : les formes qu’elle a engendrées peuvent se métamorphoser, renaître, et c’est dans cette optique que Buisson revient sur la question des racines chrétiennes de la France. Formée dans la matrice du christianisme, la France s’est couverte au fil de l’histoire d’églises, avant de les déserter assez brutalement au vingtième siècle – il faut dire qu’on a aussi cherché violemment à lui arracher ses racines chrétiennes avant cela. Dans un monde marqué par l’esprit de conquête d’un certain islam, par une immigration massive et par une déliaison sociale de plus en plus brutale, la France est prête à se réapproprier son héritage chrétien à la manière d’une « ressource politique immédiatement disponible » (p.322). Le catholicisme s’offre non plus nécessairement comme une foi mais comme une culture ayant permis aux Français d’accéder à la transcendance et vers laquelle ils peuvent se retourner à la manière d’une identité civilisationnelle.
On me pardonnera de le redire, mais on aurait tort de voir dans cet ouvrage essentiel une bête charge contre un homme désaimé. En fait, quiconque recense La cause du peuple est condamné à ne rendre que partiellement compte de l’exceptionnelle réflexion qui s’y trouve. Buisson, en fait, fait le portrait de la misère d’une époque qui a le culot de se croire presque irréprochable alors qu’elle pousse les hommes à la misère affective et spirituelle et finalement, à une solitude si violente qu’elle représente peut-être la pire misère qui soit. En creux, il formule un programme de redressement qui est moins fait de mesures ciblées que d’un appel à renouer avec une idée de l’homme autrement plus riche que celle qui domine en modernité avancée : il n’y aura pas de réforme politique sans réforme intellectuelle et morale, dirait-on. L’homme politique ne doit plus voir devant lui une société flottant dans un éternel présent où se meuvent des individus bardés de droits mais un peuple historiquement constitué. Et il doit moins se présenter comme un habile gestionnaire du présent que comme un homme incarnant le passé, le présent et l’avenir d’une civilisation.
Si Nicolas Sarkozy savait parler et faire de bons discours, il ne savait finalement pas incarner sa fonction et encore moins son pays. À lire Patrick Buisson, c’était un comédien de talent qui n’avait pas de vocation sacrificielle. Buisson a échoué a en faire le grand homme qu’il aurait peut-être pu être. Pouvait-il en être autrement ? On comprend pourquoi la figure du général de Gaulle hante les pages de La cause du peuple. Mais il ajoute : « de n’avoir pas réussi la mission que je m’étais donnée ne prouve rien. D’autres, je le sais, viendront après moi pour dire et redire que ne font qu’un la cause du peuple et l’amour de la France » (p.442). Un pays dure tant que dure dans le cœur des hommes le désir qu’il persévère dans son être : la flamme de la résistance doit toujours être portée pour un jour le faire renaître mais il arrive qu’ils soient bien peu nombreux à la maintenir. Ce qui habite Patrick Buisson, manifestement, c’est l’espérance d’une renaissance française.
La cité a quelque chose de sacré : à travers elle, l’homme fait l’expérience d’une part essentielle de lui-même, qui le transcende, qui le grandit, qui l’anoblit. « Aimer la France, dit-il, ce n’est pas aimer une forme morte, mais ce que cette forme recèle et manifeste d’impérissable ». Et Buisson ajoute : « Ce n’est pas ce qui mourra ou ce qui est déjà mort qu’il nous faut aimer, mais bien ce qui ne peut mourir et qui a traversé l’épaisseur des temps. Quelque chose qui relève du rêve, désir et vouloir d’immortalité. Quelque chose qui dépasse nos pauvres vies. Et qui transcende notre basse époque. Infiniment » (p.442-443). La cité est gardienne d’une part de l’âme humaine et elle ne saurait bien la garder sans un véritable ancrage anthropologique. Mais elle ne saurait, heureusement, se l’approprier complètement et il appartient aux hommes qui croient à la suite du monde de la cultiver, d’en faire le cœur de leur vie, pour transmettre ce que l’homme ne peut renier sans se renier lui-même, pour honorer ce qu’on ne saurait oublier sans s’avilir intimement. •
« Un peuple n’est pas, quoi qu’en pensent les théoriciens des sciences sociales, une construction artificielle qu’on peut créer et décréer par décret. »
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007). Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique, vient de paraître aux éditions du Cerf.
Pour tous ceux qui veulent bien comprendre l’évolution de la société et de la vie politique françaises depuis 50 ans, il est impératif de lire ce livre. Dans l’analyse, Buisson va plus loin que Zemmour ; c’est moins spectaculaire mais plus profond et plus fin.
Le livre contient également de très nombreuses références à des auteurs et des livres. La partie « témoignage » de l’intérieur a permis à Buisson de rendre son essai plus vivant en se mettant dans la situation d’un mémorialiste.
Les « journaleux » ont présenté ce grand livre comme un brûlot et une vengeance pour en amoindrir l’intérêt et la portée. Petite technique bien rodée du journalisme de caniveau et démonstration de leur mesquinerie et de leur nullité.
Donc, sans hésitation, il faut acheter « la cause du peuple » et le lire.
J’approuve tout à fait ce que dit l’auteur. La Cause du peuple est un livre de réflexions fondamentales, l’anecdote – très souvent à charge – contre Sarkozy ne servant qu’à illustrer la réflexion et l’analyse. Et bien évidemment, Buisson est l’objet d’une offensive personnelle de dénigrement. J’ai même noté qu’un documentaire sur lui était programmé sur une chaîne publique de TV dans les jours qui viennent.
Et, concernant la personnalité de Sarkozy, j’invite tout particulièrement à lire le dernier chapitre du livre de Buisson, intitulé «Le crime de Caïn». Il y a là un essai de compréhension en profondeur, qui ne va pas sans quelque compassion.
Un livre fondamental donc, que je fais lire autour de moi.
2016 est une année passionnante!
je vais encore emettre un avis assez discordant. Pas totalement. Je crois volontiers Bock-Coté, que j’apprécie beaucoup. Donc Buisson a écrit un livre plein de vérités interessantes.Soit! Je ne le lirai pas ,pas plus que je n’ai lu ce lui de Villiers .D’abord parceque je pense qu’ils n’ont pas grand-chose a m’apprendre. Pretentieux? Peut-etre , mais depuis mes 18 ans (j’en ai 75 ) je me penche sur l’Histoire de ma patrie d’origine (qui n’est pas ma patrie charnelle , disparue) ,sur les évènements qui s’y déroulent ,et sur les hommes et femmes qui y ont joué et/ou y jouent un role. Avec une seule méthodologie ,acquise peu a peu :s’en tenir aux FAITS ,pas aux mots ……ni aux livres……Buisson a conseillé Sarkozy dés le début des années 2000 . Elu ,Sarkozy crée un ministere de l’Identité Nationale et nomme Eric Besson a sa tete .Celui déclare d’emblée : » La France n’est ni un peuple ,ni une langue,ni un territoire ,ni une religion,c’est un conglomérat de peuples qui veulent vivre ensemble. Il n’y a pas de Français de souche,il n’y a qu’une France de métissage » (La Courneuve,5 janvier 2010) .Réaction de Sarkozy : néant. de Besson ? Néant..
Sous Sarkozy ,chaque année entrent 200000 immigrés en France, etc,etc…..
Besson attend 2016 ,bien tardivement , pour publier son livre vertueux et riche en reflexions d’une exquise finesse et pénétration ,en totale contradiction avec tout ce qu’il a accepté pendant les annéespassées auprés de Sarkozy .Aprés que celui-ci lui aie signifié définitivement qu’il ne ferait plus partie de son équipe? Je constate une coincidence.Prés de soixante ans de mensonges,de falsifications ,de tromperies suivis au jour le jour m’ont rendu impitoyable avec le personnel politique. A la lumiere des faits ,simplement.
L’article de Monsieur Bock-Côté me donne envie de lire le livre de Patrick; Buisson. Je le remercie pour son éclairage différent et précieux.
J’ai l’impression que Monsieur Portier confond Eric Besson et Patrick Buisson. Deux personnages pourtant très différents.
Oui, manifestement, Richard Portier s’est emmêlé les pinceaux entre Besson et Buisson.
Sur le fond, il oublie que le diable porte pierre et que – s’il est intelligent – fût-il une fripouille – il peut être judicieux de s’enquérir de ce qu’il a à dire.
Mais s’il n’en a pas envie, après tout, à son âge et au mien, on est fondé à lire ou relire selon son bon plaisir,
désolé mais ce n’était qu’une faute de concentration !A la fin j’ai écrit Besson au lieu de Buisson ,c’est exact mais cela ne change rien quant au fond de mon propos…….ce que ,a mon sens,tout lecteur attentif au fond plus qu’a la forme aurait du comprendre……..
Mais nous avions bien compris. C’était évident. Pas un problème…
C’est exactement ce que je me proposais d’écrire…
L’ouvrage de Buisson est l’occasion d’une vidéo « explicative » sur le site du Nouvel Obs, dont le titre est : : Pourquoi faut-il s’interesser du retour de Maurras ?
C’est à l’adresse :
http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20161006.OBS9446/maurras-buisson-le-fantome-du-nationalisme-integral.html
Voici le texte d’introduction :
Patrick Buisson fait son retour en librairies. Et derrière lui, reVoici donc le fantôme dont Buisson a toujours revendiqué la filiation : Charles Maurras.
Bien sûr, ailleurs à droite, officiellement au moins, on condamne un parrainage aussi compromettant. Il est compliqué de se revendiquer du gaullisme et de tresser des couronnes à un homme condamné à la Libération.
Comment ne pas voir pour autant dans certaines obsessions identitaires du moment une filiation avec l’idéologie phare du père de l’Action française ?
Jusqu’à peu, pourtant, Charles Maurras (1868-1952) n’était plus grand-chose d’autre qu’une vieille icône d’une certaine extrême droite, celle des royalistes au crâne rasé qui défilent pour Jeanne d’Arc en chantant « catholiques et français toujours ».