par Louis-Joseph Delanglade
C’est donc à Berlin que M. Obama a décidé de faire ses adieux aux partenaires européens des Etats-Unis. M. Hollande a certes été convié, mais au même titre que Mme May ou MM. Rajoy et Renzi, c’est-à-dire pour être reçu par un couple Obama-Merkel qui avait affiché la veille de leur venue à tous sa profonde complicité. Voilà qui dit tout sur une réalité bien désagréable et qui prouve que rien n’a au fond changé depuis un demi siècle et « l’Europe germano-américaine » que dénonçait alors le mensuel AF-Université. Le constat de la presse française est d’ailleurs unanime et sans appel : Berlin est le centre de l’Europe, Berlin est la capitale de l’Europe.
Certains font mine de déplorer un état de fait qui nous obligerait à admettre que Berlin est non seulement la capitale de la première puissance économique de l’Union (ce qui est vrai) mais aussi la capitale culturelle de l’Union (ce qui est discutable); mais c’est pour mieux en reconnaître la légitimité, légitimité conférée par le respect allemand des sacro-saints « idéaux et […] valeurs dont l’Europe se réclame » (M. Guetta, France Inter) – par exemple en capitulant sans condition devant l’invasion des migrants. M. Obama l’a bien dit, lui qui, ravalant l’Europe au rang de certains autres continents ou sous-continents, dénonce « la montée d’une sorte de nationalisme sommaire, d’identité ethnique ou de tribalisme ».
On objectera évidemment que l’élection de M. Trump va rebattre les cartes. Voire ! L’Allemagne et les Etats-Unis partagent un même attachement, en grande partie dû à la prégnance de leur commune filiation « libéralo-protestante », au capitalisme marchand et, pis, à la financiarisation de l’économie. Ces deux pays sont deux (très) grandes puissances économiques bien faites pour s’entendre et se compléter comme le prouve le développement de leurs échanges (les Etats-Unis sont ainsi devenus cette année le premier partenaire commercial de l’Allemagne, dépassant la France).
La faillite de l’actuelle Union européenne, conjuguée au vide nouveau auquel laisserait place le « désengagement » promis par M. Trump, nous place dans une alternative quasi existentielle : le sursaut ou le déclassement. Le bon sens nous dit que, seule, la France ne pèserait pas lourd et qu’elle a besoin de constituer avec d’autres (dont l’Allemagne) un ensemble crédible. Encore faut-il ne pas se dissoudre dans un tel ensemble – sinon à quoi bon ? Reprocher sa force et son dynamisme à l’Allemagne n’a par ailleurs aucun sens. Il nous faut, en revanche, pour mettre à profit (en jouant de nos quelques atouts) l’opportunité du changement de donne probable en Europe, entamer un processus de rééquilibrage de notre rapport « économique » à l’Allemagne. Cela passe évidemment par la reconstitution d’un tissu économique (industriel, agricole et commercial) aujourd’hui « sinistré ». D’aucuns pensent même à renouer avec « l’ ardente obligation du plan » (De Gaulle, 8 mai 1961). Voilà qui demanderait des choix au politique et des efforts au pays. Au moins le cap serait-il donné. •
La France (puissance nucléaire) seule, ne pèse pas lourd ? Et que pèse alors le Royaume-Uni seul ?
« Demandez le programme Fillon »
Quant aux US et l’Allemagne ce sont des Anglo-Saxons .. Normal que le Club Méditérranée n’en fasse pas partie !
Le Royaume-Uni n’a jamais été une puissance proprement européenne; de par ses liens historiques outre-mer qu’elle a su maintenir mieux que nous et de par son rapport quasi congénital avec les Etats-Unis.
C’est le couple franco-allemand qui aurait pu être – et a été un temps – le socle d’une Europe des Etats qui eût été positive. L’atlantisme allemand ne l’a pas permis. Et, aujourd’hui, le décrochage économique et même politique de la France par rapport à l’Allemagne le permet encore moins. C’est en ce sens que pour l’instant la France ne pèse pas lourd face à son voisin. Sa puissance nucléaire, tant qu’elle n’a pas à s’employer, apparaît aux yeux de ses partenaires plutôt théorique.
Rien ne dit que cette disproportion des forces des deux pays durera toujours ni même longtemps. L’Allemagne a ses problèmes, notamment son effondrement démographique. Il n’est même pas dit qu’elle conservera encore longtemps sa cohésion politique et sociale. Elle n’en a pas toujours bénéficié et pourrait bien entrer dans une nouvelle ère de déséquilibres internes qui éroderaient sa puissance économique, notamment industrielle.
Mais faut-il tabler sur l’affaiblissement de nos voisins plutôt que de redresser la France ? Theresa May met en place en ce moment un plan de réindustrialisation de la Grande-Bretagne. Et LJD me semble avoir raison de suggérer que la France devrait en faire autant. Une DATAR nouvelle formule serait sans-doute fort utile à cet égard qui romprait avec la politique mondialiste et l’appétit de délocalisation des vingt ou trente dernières années.
Dans notre pays, pour tendre vers de tels objectifs, une volonté politique, une impulsion de l’Etat, est indispensable. Aurons-nous l’une et l’autre ?
Oui mais Trump ne sera pas Obama. Et les paradigmes en vigueur ces trente dernières années changeront sans-doute. L’Allemagne aussi pourrait en pâtir Ce qui ne sera pas le cas de Poutine et de la Russie dont des esprits très peu politiques nous prédisaient l’effondrement imminent il y a ou trois ou quatre ans … Fillon aura raison d’en tenir compte. S’il tient sa ligne, ce qui reste à prouver.
Je n’aime pas beaucoup le persiflage de Cincinatus à l’endroit de la France. Ce n’est pas ainsi que l’on traite son pays, même ou plutôt surtout, s’il est en difficulté. Que des Allemands en usent n’est déjà pas du meilleur goût. Que des Français reprennent leurs moqueries à leur compte l’est encore moins.
A l’époque où l’Allemagne était à genoux, où elle avait les reins cassés, où le rideau de fer la coupait cruellement en deux, l’aurais-je moquée ? Je crois que j’aurais eu le tact et le respect de ne pas le faire.
Or la France, aujourd’hui, est loin d’être dans la situation de l’Allemagne d’alors.
Cela fait toujours plaisir quand les masques tombent, permettant ainsi de fixer une photographie qui en réalité n’était floue que pour les phraseurs européistes, ou les naïfs.
L’épisode faussement urticant d’une NSA américaine écoutant le gouvernement allemand occupa quelques courts paragraphes d’un livre bien plus inquiétant. Quand la bannière étoilée laisse en place 41.000 soldats sur le sol allemand, avec l’assentiment (à la demande ?) des autorités de ce pays, quand au lendemain de chacune de ses élections la chancelière se précipite à Washington dans la semaine qui suit, il n’y a guère de doute sur le pion essentiel qu’est Berlin pour la stratégie mondiale des puissants des bords du Potomac.
Pour ne rien oublier, rappelons avec le professeur Soutou (La guerre de cinquante ans, la guerre froide) qu’une des raisons (pas la seule) qui convainquit De Gaulle de quitter le commandement intégré de l’Otan fut le peu de rigidité qu’il sentait chez les Allemands en face de l’Armée Rouge.
Lors d’une réunion récente des Experts sur BFM Business, 30 Septembre dernier, meneur de débat Mathieu Jolivet, le professeur Christian Saint-Etienne, européiste convaincu et actif, a eu des propos très durs contre mme Merkel, retraçant son rôle pervers contre la construction européenne. Ce que pour ma part je ne déplore pas, mais démontre simplement que Berlin fait passer ses intérêts en premier. Et que ceux qui rêvent d’une construction européenne en ménageant Mutti sont sur une dangereuse fausse route. La duplicité de la dame n’est plus à chercher, nous l’avons sous les yeux. Sa « diplomatie » avec la Turquie a conduit à une invasion dont nous n’avons aucune certitude qu’elle est terminée. Et que Pascal Lorot de l’institut Choiseul voit dans la dernière livraison de la revue Conflits, comme le fossoyeur de l’Europe. On ne peut qu’être interloqué qu’il n’existe apparemment aucune relève.
Au total évitons de porter crédit à une propagande qui voudrait que l’Amérique devienne isolationniste. Rien n’est plus faux, et ils ne lâcheront pas leurs positions en Europe pas plus qu’ils ne les lâchent au Moyen Orient.
LJD a bien vu que cet événement est le sujet majeur de ces quinze derniers jours. Gémissons sur la disparition de la diplomatie française avec un quai d’Orsay réduit à abriter «les disparus de Saint Agil». Notre France ne le mérite pas …
Janus et le baiser de la mort
Janus se pare des vertus qu’il méprise, et montre le côté qui l’arrange à ceux qu’il veut leurrer. Obama est de cette sorte, non par inclination, ce serait lui faire un honneur à son intelligence dont il n’a d’ailleurs que faire, mais par obligation en quelque sorte professionnelle. Sa visite à Berlin n’a évidement pas pour but de soutenir la chancelière pour sa réélection, mais de mettre une touche finale à une politique européenne des Etats Unis qui ne vise rien moins que la maitrise d’une Europe sous tutelle pour les cinquante prochaines années. L’équation démocrate américaine s’est développée durant ses deux mandats, à l’aide de trois grands principes qui ont forgés la diplomatie Obama pour être le bras armé géopolitique de la Trilatérale et une partie du complexe militaro-industriel américain. Premier principe une Europe utile est une Europe faible, il convient donc d’en détruire l’outil industriel, et les institutions, à la fois par la mondialisation et son transfert de compétences, et par une immigration de basse compétence, justifiée au nom des principes humanistes, Le grand adversaire mondial, la Russie, visant un même objectif d’affaiblissement sur ce théâtre d’opérations, ne devant pas s’y opposer. Second principe, une Europe faible se doit de rester dans le giron américain, pour assurer un marché de débouchés pour ses produits, au moyen d’accords commerciaux désarmant les Etats, tout en promotionnant un libre échange permettant l’écrasement de la concurrence par les prix, du fait d’un marché américain intégré et bénéficiant d’économies d’échelle inatteignables par des marchés nationaux européens soigneusement entretenus dans leurs division par les réglementations, notamment fiscales. Troisième principe, l’Europe doit rester le porte-avions terrestre, donc pouvant être sacrifié, de la défense avancée des Etats Unis dans une guerre non nucléaire préventive contre les ambitions Russes, pérennisant dans le même temps une politique de « containment » qui a toujours été au cœur de la doctrine américaine de défense terrestre vis-à-vis de la Russie. En allant à Berlin, Obama ne fait qu’appliquer ces principes, dans le plus grand mépris politique pour les européens, en choisissant la puissance du Hinterland, réceptacle de son « shrimp coktail », comme un interlocuteur apparemment privilégié, par ce que cela ne coute rien, et que cela n’engage à rien, en passant aux autres le message de leur insignifiance, donc en les divisant encore un peu plus, tout en sachant parfaitement que l’Allemagne est déjà engagée – tant par son immigration irréfléchie, que la décomposition d’une Europe qu’elle ne saurait maitriser sans les Etats Unis – dans son déclin sociologique, politique, et ultérieurement économique, avec son propre consentement, du moins celui de ses dirigeants actuels. Que les Hollande et consorts aillent, toute honte bue, boire un calice qu’ils ont accepté depuis des années, n’a rien d’étonnant, puisqu’il en va de leur survie, que la profondeur de leur sidération stratégique, porte au rang de graal personnel et politique. Cependant, l’élection de Trump, pourrait bouleverser ce scénario démocrate américain, d’une Europe idéalement post-historique, et sous contrôle, sans défense, et socialement instable, ruinée par les politiques de compensations sociales, à la fois divinement sous assistance américaine pour sa survie économique, et aux porte d’une Russie sous la menace de défenses américaines avancées. En effet, cette élection, rompant par son changement de cap, un unanimisme construit et de circonstance, est de nature à favoriser l’émergence de sursauts nationalistes par la prise de conscience des peuples européens de leur fragilité et de leur vulnérabilité. En tout état de cause, cela créerait de l’instabilité, cependant toujours favorable aux puissances intégrées, et cela prendra du temps, le temps suffisant pour les affaires, grâce aux politiques d’endettement, aux hommes liges, et le maintien sous assistance par les fondations adéquates, de personnels politiques utiles et obéissants, pour le plus grand bien des projets des maitres, et de leurs serviteurs consentants. Le Choix d’Obama pour Berlin ressemble bien au baiser de la mort, flatteur et plaisant dans une amicale létalité. Mais les peuples peuvent être surprenants, et ils n’ont cure de leurs dirigeants lorsqu’ils se fâchent.
La France ne pèse pas lourd ne me paraît pas une formule acceptable, même vis-à-vis de l’Allemagne.
La France siège au Conseil de sécurité et non l’Allemagne, c’est la deuxième puissance économique européenne et elle n’a pas besoin de l’Allemagne pour peser lourd, seulement d’une volonté et d’un courage politique à la tête de l’Etat pour faire entendre sa voix et défendre ses intérêts qui manifestement ne sont pas ceux de « l’Union » européenne.
Cher DC
La France ne pèse pas lourd me paraît être une formule qui nous blesse mais qui – pour l’heure – est hélas réaliste.
Vous avez raison d’écrire : « La France n’a pas besoin de l’Allemagne pour peser lourd, seulement d’une volonté et d’un courage politique à la tête de l’Etat pour faire entendre sa voix et défendre ses intérêts » mais c’est – hic et nunc – justement ce qui lui manque principalement pour peser lourd. On ne peut pas faire comme si « volonté et courage politique à la tête de l’Etat » étaient réunis. Ce n’est pas le cas. Bien-sûr, la France pèserait lourd si elle en disposait !
Cher Anatole,
Je partage tout à fait votre point de vue, mais je ne suis pas sûr que l’emploi de cette formule par Louis-Joseph Delanglade ait eu la même signification.
Ce serait à lui de préciser sa pensée, à savoir la France ne pèse pas lourd par manque de volonté et de courage politique de ses dirigeants, ou par ce que sans l’Union européenne, elle ne pèserait pas lourd, ce dont je ne suis pas d’accord.
Pertinent tour d’horizon appuyé sur une solide documentation. Je me permettrai simplement de ne pas limiter votre étude à la seule période Obama. Ce que vous dites est une constante des intérêts américains. Avec un certain périmètre pendant les cinquante ans de guerre froide, puis un autre périmètre à peine modifié depuis ces vingt cinq dernières années. Bien sûr souligner le rôle de la Trilatérale, donc de son créateur, le véritable inspirateur de la politique étrangère américaine, quelque soit l’occupant du bureau ovale. Par les lois de la biologie, le sieur Zbigniew Brzezinski est en train de quitter la scène (88 ans), mais son Grand Échiquier reste le livre de chevet des secrétaires d’Etat. N’attendons pas de changements révolutionnaires malgré les discours d’estrades du nouveau président américain. Il va falloir à la France une énergie farouche pour parvenir à se faire entendre à nouveau. Avec une crédibilité largement détériorée, sur le fond et dans la forme.