Le cheikh Abdesselam Yacine
Par Péroncel-Hugoz
Notre confrère Péroncel-Hugoz, longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, a publié plusieurs essais sur l’Islam, et il travaille maintenant à Casablanca pour le 360, l’un des principaux titres de la presse francophone en ligne au Royaume chérifien. Il tient aussi son Journal d’un royaliste français au Maroc, dont la Nouvelle Revue Universelle a déjà donné des extraits. Nous en faisons autant, depuis janvier 2016, en publiant chaque semaine, généralement le jeudi, des passages inédits de ce Journal. LFAR •
JEUDI 13 DECEMBRE 2012, RABAT
Le Net nous apprend que le cheikh Abdesselam Yacine est décédé ce jour à Rabat. Il avait fondé en 1973 le mouvement islamique, politique et social, Adl Wa Ihsane, Justice et Bienfaisance. Il se disait Idrisside, descendant donc de la première dynastie chérifienne, qui fonda le Maroc musulman étatique et dynastique, autour de l’an 800. Les deux premiers Idrssides, Idriss 1er et Idriss II sont devenus les saints protecteurs du Maroc, à Moulay-Idriss et à Fez.
Le défunt se disait « républicain » (c’est surtout sa vibrionnante fille Nadia qui est anti-monarchique) mais en même temps il rêvait d’être le calife du Maroc voire de l’Islam sunnite entier… Il contestait aux Alaouites la commanderie des croyants et dans sa lettre ouverte à Hassan II, « L’Islam ou le Déluge » (1974), il disait parler d’égal à égal, si ce n’est de supérieur à subordonné, au père de Mohammed VI, qui le fit un temps enfermer comme détraqué.
Néanmoins il avait des partisans qui, en 2011, participèrent durant quelques mois aux manifs gauchardes des villes marocaines. Le Palais les court-circuita avec ses réformes, appuyé sur la robuste et durable popularité du monarque actuel. Lequel fit remettre le cheikh en liberté en 2000, sans reconnaître son mouvement, mais en le tolérant assez largement…
Les réactions marocaines francophones, en majorité, sont plutôt hostiles à Cheikh Yacine, du type : « Ne comptez pas sur moi pour sangloter ! ».
Si Justice et Bienfaisance ne trouve pas de nouveau chef charismatique (Lalla Nadia ferait peut-être l’affaire, comme Marine succédant à Le Pen ?) ce sera peut-être tout bénéfice pour Justice et Développement, le parti islamique au pouvoir à Rabat depuis 2011, avec la bénédiction royale, et auquel le « yacinisme » pouvait porter ombrage*.
Deux choses importantes mais peu connues sur Cheikh Yacine : il fut, de profession, inspecteur de français ; il fut formé – d’abord, religieusement, par les fameuses confréries de Boutchiches, à présent très en vogue et très royalistes… •
* Note de 2016 : Finalement, Nadia a été écartée et Yacine a été remplacé par un autre vieux cheikh, qui ne fait guère parler de lui.