Par Pierre de Meuse
Les éditorialistes ont unanimement approuvé la décision prise par François Hollande de gracier totalement Jacqueline Sauvage pour le meurtre de son mari Norbert Marot. Cette unanimité est partagée par l’ensemble des partis politiques, FN compris, par les voix de Marine Le Pen, Florian Philippot et Gilbert Collard, mais non, à notre connaissance de Marion Maréchal-Le Pen. Tous estiment que cette grâce était indispensable et tous déplorent qu’elle soit si tardive. Comme nous ne sommes retenus par aucune discipline de parti ni aucune réserve, nous prenons la liberté de prendre la parole pour nous désolidariser de cette inhabituelle convergence.
De quoi s’agit–il, en effet ? Le 10 septembre 2012, Jacqueline Sauvage (65 ans) a tué son mari qui lui tournait le dos, assis sur la terrasse de son appartement de Selle sur le Bied, en train de boire de l’alcool, de trois coups d’un fusil de chasse, qu’elle avait préalablement chargé. Dans ses déclarations, la meurtrière a expliqué qu’elle s’était disputée avec son mari au sujet de leur entreprise commune de transports, proche de la faillite, que son mari l’avait frappée, puis s’était retiré sur la terrasse où elle l’avait rejoint pour le tuer. Jacqueline Sauvage fait état de « 47 années de violences conjugales », constatées quatre fois en cinq ans, mais jamais concrétisées par des plaintes. De plus ses filles font état, post actu, de comportements incestueux de leur père, sans qu’aucune plainte n’ait été déposée auparavant. Un élément important et certain réside dans le fait que le fils du couple s’est suicidé la veille du meurtre, (sans rapport direct avec l’affaire) mais elle prétend ne l’avoir appris qu’après la mort de son mari. Malgré les incertitudes (réelles) du dossier, il ne fait aucun doute que la victime a bien été un homme alcoolique et violent, et que la vie familiale en a bien été gravement dégradée. Ces faits auraient motivé l’octroi quasi-automatique de circonstances atténuantes en faveur de la meurtrière, si ses défenseurs l’avaient demandé. Cependant les avocates n’ont pas voulu plaider coupable, choisissant de se fonder sur la légitime défense afin de faire acquitter leur cliente.
Il faut ici remarquer que le domaine de la légitime défense a connu depuis 70 ans une réduction en peau de chagrin, sous l’effet d’une jurisprudence constante, que des lois sont venues valider. D’abord par la notion de proportionnalité : la défense doit être proportionnée à l’attaque. Il faut aujourd’hui qu’une personne soit menacée de manière certaine dans sa vie pour avoir le droit de se défendre. Mais aussi une menace sur les biens n’est plus considérée comme exonérante, malgré le caractère traumatisant des vols. En blessant un cambrioleur occupé à vous détrousser, vous vous exposez à la prison et à l’indemnisation à vos frais des malfaiteurs pour leur dommage corporel. Tel est l’état de droit existant, dans toute son absurdité. Cependant les avocates féministes voyaient bien que Mme Sauvage ne pouvait invoquer ni l’urgence ni l’imminence d’un danger mortel – le mari était occupé à s’imbiber- ni la proportionnalité, puisqu’on n’a pas pu retrouver sur l’auteur du meurtre les traces probantes de brutalité. Comme elles voulaient que leur cliente ressorte libre de l’audience, elles ont soutenu la théorie d’une « légitime défense différée », permis de tuer reconnu exclusivement aux femmes battues.
Or il se trouve que deux cours d’assises et deux juges d’application des peines, en première instance et en appel, ont refusé d’accepter ce privilège donné au beau sexe, au nom de l’égalité des droits. Alors les avocates, appuyées par les organisations féministes et les médias, ont soulevé l’opinion, faisant monter la mayonnaise de la compassion pour exiger une grâce effaçant la culpabilité et la sentence. C’est chose faite aujourd’hui. On peut s’attendre à une floraison de propositions de lois ayant pour but d’étendre la limite de la légitime défense au profit exclusif de catégories humaines supposées victimes par nature. A noter d’ailleurs que les policiers réclament également un privilège similaire.
Bien évidemment, cette décision déplaît aux magistrats. Ainsi la présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM), Virginie Duval s’indigne d’ « une nouvelle atteinte à l’indépendance de la justice par l’exécutif » Et de l’incompétence, voire de la lâcheté des hommes politiques. Pas un seul instant, les magistrats ne montrent quelque lucidité sur l’évolution inique de cette légitime défense. La critique reste corporative. Pourtant il y a une évidence injustice dans la condamnation à 10 ans de prison ferme du buraliste de Lavaur, Luc Fournié, qui a tué un cambrioleur introduit nuitamment dans son magasin, après avoir vainement attendu la force publique qu’il avait prévenue quinze minutes plus tôt. Cette absurdité ne porte pas au respect de la profession de justice. Dans le Figaro, Robert Redeker a le courage d’écrire : « Les affaires Sauvage et Fournié s’offrent à l’observateur en tête-bêche, l’une se reflétant dans l’autre comme en des miroirs inversés : dans la première affaire, l’idéologie dominante semble prendre parti pour la meurtrière par autodéfense, insistant sur sa qualité de victime, alors que dans la seconde, elle prend clairement parti pour le cambrioleur, renvoyant le buraliste qui s’est défendu au statut de criminel sans excuses. Suivant leur distance par rapport aux discours en vogue concernant les problèmes sociétaux, il existerait de bons crimes par autodéfense, celui de Madame Sauvage par exemple, et de mauvais, dont celui de Monsieur Fournié fournit un échantillon. Une grande partie de ceux et celles qui se dressent pour soutenir Madame Sauvage, meurtrière de son mari, condamnent en se pinçant le nez Monsieur Fournié, meurtrier de son cambrioleur. » Et Robert Redeker termine son article en mettant le doigt sur le mal purulent : « Les Français n’en pourront neutraliser les effets délétères que du jour où ils s’essaieront à une approche moins passionnelle, moins polluée par l’idéologie, des situations d’autodéfense. »
Une autre revendication des magistrats est l’abolition du droit de grâce, au motif que l’exécutif s’arroge des prérogatives qui n’appartiennent qu’à l’ordre judiciaire. Il s’agirait donc selon eux de faire disparaître un archaïsme. Or, dans son principe le droit de grâce n’est pas un apanage de l’exécutif, mais de la souveraineté qui n’est pas divisible, et qui n’est pas compatible avec la dictature des idéologies. Dans la conception traditionnelle de l’Etat français, le roi est chef de guerre, juge suprême et père nourricier. Il n’est donc pas extérieur à la Justice, mais son gardien. La grâce n’est donc pas une négation du Droit, elle en est le dernier recours, celui où se confondent la règle et l’équité. Hélas, la démocratie idéologique est corruptrice de tout lien social. •
Très clair et pénétrant article, cher Pierre ! Tu dis tout avec cohérence, lucidité et précision.
Un seul bémol : dans l’état d’hystérie « Sauvage » de l’opinion, une prise de position de Marine – qui n’aurait pu être exposée avec la rigueur, donc la relative longueur – de ton raisonnement ne pouvait être autre que celle qu’elle a été.
Il y a des moments où il faut hurler avec les loups, sauf à demeurer solitaire. L’élection est à quatre mois et nous aurons à avaler d’autres couleuvres…
Mais bravo encore pour ce propos !
Merci Monsieur de Meuse pour votre article qui donne des lumières intéressantes sur cette affaire Sauvage et sur la légitime défense.
Je ne connais presque rien de l’affaire Sauvage, aussi je préfère m’abstenir de prendre parti pour ou contre l’octroi de la grâce présidentielle totale qui a été accordée à Mme Sauvage.
Mais combien de personnes qui prennent bruyamment parti pour ou contre en manifestant avec force banderoles peuvent prétendre connaître les faits ? Comme vous le soulignez, cette affaire relève de l’idéologie. Dans le cas de M. Fournié, l’déologie dominante pro-victime cambrioleur était contre lui. Dans le cas de Mme Sauvage, l’idéologie féministe de la « légitime défense différée » contre l’auteur masculin de violences conjugales lui a été favorable, malgré le caractère audacieux et légalement contestable au vu des faits que vous relatez de la défense soutenue par son avocat;
ça me rappelle le procès de BOBIGNY, qui servira d’entrée en matière pour légaliser l’IVG. En France, le fait devient un droit dès qu’une mise en scène fait passer les coupables pour des innocents.
Il faut, en effet, remercier Pierre de Meuse, de cet excellent article.
Je pense qu’il faut étendre la notion de légitime défense, notamment à la défense de ses biens et que le voleur pris en flagrant délit doit assumer le risque d’être blessé ou tué et que celui qui se défend ou défend d’autres personnes ou ses biens est dans un cas de légitime défense et, à ce titre, n’a pas à être inquiété.
Aujourd’hui, la victime l’est deux fois, une première fois par les agresseurs et une seconde par la Justice!
Les faits que vous relatez, à mon avis, devrait tous relever de la légitime défense sans discussion possible .
Cent fois d’accord : la légitime défense des biens va devenir une nécessité et doit trouver une traduction juridique.
Je ne crois pas qu’il soit facile de blesser ou tuer quelqu’un qui s’introduit chez soi et je ne suis pas certain que j’aurais la détermination de le faire si c’était le cas.. Je compte bien que je pourrais avoir cette réaction – qui me choquerait au sens physique du terme – mais je pense que je n’aurais aucune restriction intellectuelle ou morale à le faire…
Cent fois d’accord : la légitime défense des biens va devenir une nécessité et doit trouver une traduction juridique.
Je ne crois pas qu’il soit facile de blesser ou tuer quelqu’un qui s’introduit chez soi et je ne suis pas certain que j’aurais la détermination de le faire si c’était le cas.. Je compte bien que je pourrais avoir cette réaction – qui me choquerait au sens physique du terme – mais je pense que je n’aurais aucune restriction intellectuelle ou morale à le faire…