René Grousset, « un immense historien »
Par Eric Zemmour
CHRONIQUE – A propos d’une histoire universelle écrite au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, par un immense historien. La réédition bienvenue d’un chef-d’œuvre lumineux [Le Figaro – 14.12.2016]. Zemmour la commente en la comparant aux réalités et aux idées en vogue aujourd’hui. Passionnant. LFAR
L’histoire monde est à la mode. Nos historiens contemporains jouent à saute-mouton avec les frontières, les civilisations et les époques. Entre mépris du « roman national » et adaptation à la mondialisation, leur démarche se veut transgressive et se croit originale. Ils nous trompent et se trompent. Leurs prédécesseurs ne les ont pas attendus. On se souvient bien sûr de la somptueuse histoire du capitalisme de Fernand Braudel. Moins connu, mais non moins talentueux, René Grousset nous a légué, lui aussi, une histoire universelle, mais où le politique et le culturel sont privilégiés. Elle est écrite au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce qui explique sans doute l’impression crépusculaire de fin du monde qui s’exprime dans le titre choisi : bilan de l’histoire.
Cette réédition est fort judicieuse. On a toujours intérêt à lire les historiens des temps passés. Il n’y a pas de progrès en histoire, seulement de nouvelles approches, répondant aux questions que les contemporains se posent. Les textes des grands historiens du passé sont en eux-mêmes une borne historique. Leur prose claire et élégante fait honneur à la langue française, et honte au jargon abscons et prétentieux des universitaires d’aujourd’hui. Leur liberté de ton et d’expression leur donne rétrospectivement une allure iconoclaste à nos yeux et nos esprits hantés par les menaces judiciaires du politiquement correct.
René Grousset serait aujourd’hui accusé d’islamophobie, car il ne fait aucune distinction entre islam et islamisme ; de germanophobie quand il analyse l’histoire allemande comme le retour récurrent « des mauvais rêves qui montent par moments de son tempérament de demi-barbare à son cerveau de civilisée » ; ou encore de complotisme, lorsqu’il explique les motivations avant tout commerciales de l’entrée en guerre des États-Unis du président Roosevelt : « Mais les marchés se fermaient. L’autarcie allemande, l’autarcie soviétique, l’autarcie japonaise… posaient à l’hôte de la Maison-Blanche les plus graves problèmes. » Il serait cloué au pilori par toute l’Université française pour son plaidoyer pourtant fort convaincant sur les Croisades.
René Grousset est tout pourtant sauf un franchouillard borné. Ayant rejoint le général de Gaulle à Londres, il ne dissimule pas sa gratitude envers « nos amis » anglais et américains ; même le régime stalinien de l’URSS est gratifié d’un éloge qui sonne curieusement à nos oreilles nourries d’antitotalitarisme : « un régime qui donne en stabilité, une continuité d’action, tout ce qu’on recherchait naguère en régime monarchique. » René Grousset fut par ailleurs conservateur en chef des musées Guimet et Cernuschi ; et a voué une grande part de son œuvre à la connaissance des cultures orientales.
Un fou d’Asie, de son histoire, de son art, de sa civilisation, à la manière d’un Chirac mais qui ne se sentirait pas obligé de renier les racines chrétiennes de la France et de l’Europe. Au contraire. Il n’hésite pas à présenter les religions asiatiques comme un christianisme inachevé : « La spiritualité des foules d’Asie et le mérite de leur enquête philosophique restent immenses, leurs virtualités chrétiennes infinies. » On comprend mieux en le lisant l’essor des spiritualités indiennes parmi la jeunesse occidentale des années 1960, et la progression des conversions au catholicisme dans la Chine d’aujourd’hui.
Grousset est un esprit universel justement parce qu’il est français : « qu’il s’agisse de Bossuet ou de Voltaire, notre esprit classique, suivant les habitudes cartésiennes qui constituent son intime essence, simplifie pour mieux comprendre, et, pour être sûr de dominer le réel, le ramène d’office à l’aspect le plus général… l’esprit français légifère dans l’universel. » Pour le meilleur et pour le pire.
Avec notre auteur, c’est pour le meilleur et sa capacité de dégager des lois historiques qui valent pour tous les pays et tous les temps : « À bien lire l’Histoire, aucune civilisation n’est détruite du dehors sans s’être tout d’abord ruinée elle-même, aucun empire n’est conquis de l’extérieur, qu’il ne se soit préalablement suicidé. »
Grousset est un adepte de la « théorie des grands siècles » : chaque nation incarne successivement l’esprit du temps et donne alors ce qu’elle a de meilleur. Puis passe le relais à d’autres, quand le temps du déclin est venu. La France a eu le privilège d’avoir deux grands siècles : le XIIIe et le XVIIe. Et « nos deux plus grands siècles nationaux sont ceux où la discipline latine a été chez nous la plus forte ». On transmettra à Najat Vallaud-Belkacem…
Notre auteur n’a pas attendu Huntington pour raisonner en termes de conflits de civilisations. Et son explication par les décalages chronologiques parle étonnamment à notre époque : « L’islam date ses éphémérides du quatorzième siècle de l’Hégire, et il est exact que nombre de ses fidèles vivent encore à l’époque de notre trecento… ce décalage chronologique constitue pour l’humanité le plus grave péril. La plupart de nos malheurs viennent de ce que les peuples, ne vivant pas à la même époque, n’obéissent pas ni à la même logique, ni à la même morale. Combien de guerres a causées ce dénivellement culturel !»
Grousset n’a pas non plus attendu les théoriciens du « monde plat » pour déceler les virtualités unificatrices et belliqueuses à la fois de la technique : « Tous les peuples désormais se touchent… des peuples que nous venons de voir séparés par des abîmes psychologiques et culturels devront vivre en étroite symbiose, cohabiter dans une maison commune aux parois soudain resserrées, aux cloisons abattues. »
Même la menace du réchauffement climatique ne lui est pas inconnue, qu’il nomme poétiquement « lente saharification de la planète ».
René Grousset n’est pas un prophète ; seulement un grand historien. Un esprit universel, mais enraciné. Une âme ouverte sur toutes les spiritualités de l’univers mais qui reste un chrétien. Une race d’hommes disparue. •
Bilan de l’histoire. René Grousset, Desclée de Brouwer, 387 p., 20,90 €
ENFIN RÉÉDITÉ-LIRE P 22 ANCIENNE ÉDITION : LE SUICIDE DE RÔME-( ÉCRIT EN 1946) -D´ACTUALITÉ -P 287: LE BARBARE DANS LA CITÉ-FÉDÉRÉS ET RIPUAIRES.TOUT EST Á RELIRE…