Le traité de Maastricht fête ses vingt-cinq ans ce mois-ci et Eric Zemmour dresse ici comme un bilan synthétique de ces vingt-cinq années, à travers la monnaie unique, l’euro, qui fut, de fait, ce que ce traité instituait de plus important et de plus concret. On connaît la suite que Zemmour résume excellemment. LFAR
C’est l’anniversaire le plus discret de l’année. Pas de bougies ni gâteau. Le traité de Maastricht fête ses vingt-cinq ans et tout le monde regarde ailleurs. Les anciens partisans du « oui » n’en sont pas particulièrement fiers ; les anciens partisans du « non » n’ont pas envie de célébrer une défaite.
La monnaie unique s’est pourtant installée dans la liste brève des grandes monnaies mondiales ; mais l’euro n’est toujours pas parvenu à contester au dollar son rôle de monnaie de réserve. Les chantres du oui promettaient une période de croissance et la fin du chômage ; la zone euro est la région du monde où la croissance est la plus faible. Les concepteurs de la monnaie unique assuraient qu’elle favoriserait « la convergence » des économies européennes ; elle a au contraire accentué les divergences.
Nos experts avaient oublié une loi économique élémentaire : dans une zone unifiée, chaque pays se spécialise dans ce qu’il a de meilleur; l’industrie la plus productive (l’Allemagne) devient l’usine de la zone ; les plus doués dans les services (France, Espagne) développent toujours plus de services ; et les mieux dotés en belles plages et en patrimoine culturel (Italie, Grèce) attirent toujours plus de touristes. Seule une politique de change peut permettre de contrebalancer ces évolutions inexorables : c’est ainsi que Pompidou a forgé les grands groupes industriels français à l’abri d’une monnaie dévaluée. La monnaie unique est une machine conservatrice qui rend beaucoup plus difficiles les changements de cap économique.
C’est pour cette raison que l’euro qui était conçu comme un outil de paix a provoqué une résurgence des conflits entre nations. L’industrie allemande a réduit en miettes la concurrence de ses rivales française et italienne. La production industrielle de cette dernière a baissé de 20 % depuis l’introduction de l’euro. La seule solution pour compenser ces effets structurels serait une redistribution entre vainqueurs et perdants. Mais les Allemands refusent avec véhémence cette « union de transferts ».
Un échec économique
L’euro est donc un échec économique, mais est avant tout un symbole politique, celui d’une plus grande unification du continent européen. Cette monnaie fut voulue par les Français et imposée aux Allemands qui connaissaient, eux, les lois économiques. Mitterrand voulait s’emparer du deutsche mark, la « bombe atomique » allemande.
Mais c’est l’Allemagne, qui ne voulait pas de l’euro, qui en profite le plus : son industrie règne sans partage sur le continent et exporte mieux grâce à une monnaie plus faible que ne le serait le seul mark.
Mais le bon temps s’achève pour les Allemands. Trump veut fermer le marché américain aux voitures allemandes tandis que la politique accommodante de la Banque centrale européenne exaspère les épargnants allemands qui accumulent des économies guère rémunérées.
L’euro s’est avéré une tragique erreur économique ; mais s’en débarrasser pourrait en constituer une plus tragique encore. C’est l’ultime argument des partisans de l’euro. Alors, comme on dit à Bruxelles : happy birthday ! •
Article paru dans Le Figaro Magazine du 17 février 2017 – Repris ici de La semaine de Magistro
l’Europe est bien triste anniversaire je me suis sentie trahie ce jour !
et c’est comme cela que l’on perd de l’affect a ce qui devrait unir les hommes !
Eric Zemmour,
j’admire le courage et la rigueur de votre pensée mais vous parlez d’économie en littéraire.
Il n’est pas exact que « la monnaie unique spécialise les pays dans les activités pour lesquelles ils sont les mieux doués » car la réalité est pire. Si nous prenons l’exemple de la Grèce, l’Euro y impose des prix dissuasifs pour les touristes alors que par le passé une dévaluation de la drachme était un signal pour venir profiter de vacances abordables dans un pays où nous étions sûrs de pouvoir consommer des spécialités grecques à foison car ce pays n’était pas encore noyé sous des denrées importées, car trop coûteuses à l’époque.
La spécialisation des productions par pays, est l’argument invoqué par les libre-échangistes ultra-libéraux pour nous fourguer la mondialisation destructrice des emplois locaux, dans une surenchère à la baisse du moi-disant social et environnemental. C’est cette compréhension qui peut expliquer l’engouement instinctif pour les monnaies locales, vues comme un moyen de faire renaître l’activité ici et maintenant par une monnaie et une économie au service des hommes, plutôt que de voir des individus contraints à l’oisiveté obèse d’un troupeau au service de l’argent-roi.
Un grave contresens a été imposé à la planète concernant la fonction de l’économie qui avait été inventée par les hommes pour servir les hommes, les affairistes – qui ont substitué le marketing au lien social – ont parfaitement réussi à graver dans les esprits la proposition inverse, à savoir que l’économie aurait pour objectif de soumettre l’homme à la loi de l’argent ! Il est urgent d’inverser la vapeur pour encourager les différentes régions du monde à aller vers plus d’autonomie en vue de satisfaire au mieux leurs propres besoins par la mise en valeur des ressources locales, naturelles et humaines plutôt que d’assister à leur rapide disparition par la folie du libre-échange planétaire. En outre, le principe de l’autonomie alimentaire de chaque pays serait essentiel pour que la planète puisse faire face à l’explosion démographique.
Pour en revenir à l’Euro il serait tout à fait possible de la convertir en monnaie commune en parallèle avec la création de monnaies locales, c’est à dire nationales, et ceci, sans graves inconvénients. Selon un scénario décrit par Frédéric Lordon (« la malfaçon »), il suffirait pour cela que le monopole des changes soit donné à la BCE selon un dispositif calqué sur le modèle du Bancor proposé par Keynes comme monnaie commune mondiale permettant le réajustement des monnaies nationales par une chambre de compensation, ce qui aurait permis d’éviter le drame du parasitisme planétaire du dollar.
Bruno Lafeuille