Ce qu’Alain Minc appelait « le cercle de la raison » s’enthousiasme pour la campagne d’Emmanuel Macron. Le succès du candidat d’En marche ! est pourtant, en tous points, déraisonnable. C’est ce que Vincent Trémolet de Villers expose ici avec finesse et lucidité [Figarovox, 13.03]. Un journaliste et un intellectuel de la jeune génération, de plus en plus présent dans les médias, presse, radios et télévisions, où il exprime souvent, sur des sujets essentiels, des idées que nous partageons … En la circonstance, Macron c’est sans-doute irrationnel, mais c’est aussi un danger pour la France. LFAR
« Un fou, c’est celui qui a tout perdu, sauf la raison. » Le phénomène Macron donne curieusement envie de renverser la phrase de Chesterton. Les applaudissements frénétiques, les admirations extatiques de ses partisans laissent penser qu’ils ont perdu la raison, mis leur esprit critique en jachère pour laisser pousser les mille fleurs de la passion. Le paradoxe est que le fondateur d’En marche ! est soutenu par ceux-là mêmes qui se méfiaient des foules qui chavirent, des slogans qui claquent, des facilités médiatiques.
Alain Minc, parrain politique du jeune prodige, avait tracé les contours, au siècle dernier, du « cercle de la raison ». C’était lors d’une autre élection présidentielle et ce fameux cercle entourait Édouard Balladur. Aux impératifs européens, atlantistes avec une teinte timidement progressiste, s’ajoutait le culte des experts, du droit, des chiffres. La politique était une chose trop sérieuse pour la laisser aux bateleurs d’estrade, aux sourires hollywoodiens, aux combinaisons acrobatiques. Précision, constance, distance formaient la trinité de la compétence. Aux foucades des Berlusconi de tous poils, on préférait l’austérité d’un Jacques Delors, politique dévoué et sacrifié à l’intérêt supérieur de la Commission.
Et puis… Et puis les mêmes, comme emportés par les foules, les flashs qui crépitent, ont troqué leurs costumes sombres pour le tee-shirt coloré du helper d’En marche ! Ceux qui se défiaient du culte de la personnalité soutiennent sans complexe un candidat qui s’expose chaque semaine dans les journaux, se casse la voix, étend les bras en croix et ne renie pas sa « dimension christique ». La politique, pour eux, c’était le « champ du possible » : c’est de la « magie », proclame Emmanuel Macron. Le pouvoir devait se désencombrer des fantasmes qui l’accompagnent : c’est « une mystique », poursuit le fondateur d’En marche ! La démagogie, c’était dire au peuple ce qu’il voulait entendre : « Je vous aime, farouchement », lance le jeune homme à la foule en délire.
Le cercle de la raison écoute, sagement assis, en rang serré, les discours interminables du n + 1 qui « invite » « celles et ceux » des participants à « cheminer », pour « débloquer » la société et « ensemble », « avancer » vers une société « apaisée », « ouverte » pour que « chacune et chacun » trouvent une place. Selfies, cris du public, l’étrange psychologie des foules en marche ne semblent pas gêner ceux qui fustigeaient, il n’y a pas si longtemps, les tentations populistes des meetings populaires.
Ces défenseurs ardents de la vie de l’esprit ne se sont pas plus émus devant Révolution, l’ouvrage d’Emmanuel Macron dont la quatrième de couverture donne pour seul texte une photo plein sourire du candidat !
De la même façon, ces pointes fines des démonstrations chiffrées, des courbes et des clés de répartitions font campagne pour un candidat qui se vante de préférer la vision au projet, l’incarnation aux propositions, l’immaturité à la sagesse et l’inexpérience à l’habitude de l’exercice du pouvoir.
Quelle majorité à l’Assemblée ? On s’arrangera le moment venu ! Et la proportionnelle, ce n’est plus dangereux, la proportionnelle ? Il faut de tout pour faire un Parlement. Et les réformes, il faut des réformes ? On exonérera 80 % de la population de la taxe d’habitation ! Comment gouverner avec dans le même camp Robert Hue et Alain Madelin, Patrick Braouezec et Renaud Dutreil ? Si tous les gars du monde voulaient se donner la main, vous répondra-t-on.
Nous ne sommes pas dupes et aucun des soutiens d’Emmanuel Macron ne l’est vraiment. Dans cette affaire, le syndrome du Guépard, « il faut que tout change, pour que rien ne change », joue à plein. Plutôt que de chanter les bonheurs de la globalisation, on l’habillera de tricolore : Jeanne d’Arc annonce Jean Monnet, la culture française n’existe pas, mais le Puy du Fou vaut le déplacement. Comme dans le Canada de Trudeau, tout concourt à l’apparition d’« une humanité réconciliée, délivrée de ses différences profondes, où les identités pourraient circuler librement et sans entraves dans un paradis diversitaire » (Mathieu Bock-Côté). Il arrive toutefois que l’on s’y perde. On songe alors au Soulier de satin : « C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant, et c’est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle. » Ne cherchez plus à comprendre: Macron, c’est irrationnel. •
Vincent Trémolet de Villers est rédacteur en chef des pages Débats du Figaro et du FigaroVox
C’est compréhensible nous sommes dans une époque d’apparences et Macron c’est du cinéma , il est le jeune premier idéal. C’est un excellent comédien : regards tournés vers le ciel, déclarations romantiques sentiments exaltés ; un célèbre empereur aurait dit : » comediante tragediante » car l’un cache l’autre. En effet le programme et les discours sont trop flous, trop versatiles pour être sérieux mais les spectateurs charmés retrouvent leurs enthousiasmes de jeunesse une lueur d’espoir et l’impression fugitive du renouveau. .
Qui dit « non » à Jeanne d’Arc déguisée en Bonaparte ?