Par Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté, démontre ici [Figarovox, 20.03], comment les affaires ont « vidé la campagne de sa substance politique ». Comment est en quelque sorte volé – sans-doute momentanément – le travail de réflexion de tout un pan de l’intelligence française en réaction contre les trahisons du Système. Nous n’avons pas sa confiance dans la capacité qu’aurait eu François Fillon à incarner et traduire dans les faits cette réflexion traditionaliste dans son fond, indépendamment des problèmes éthiques qui ont soulevé sur sa personne même de légitimes soupçons. La rupture de la droite ou prétendue droite française avec le Système en tant que tel nous semble trop incertaine et trop peu radicale pour mériter cette confiance. Sur le fond des choses, sur la trame de ses analyses et de sa pensée, nous nous considérons néanmoins en accord. Mathieu Bock-Côté est devenu un penseur incontournable du courant antisystème et, en ce sens, antimoderne. Lafautearousseau
On l’a dit : l’élection présidentielle de 2017 semblait imperdable pour la droite. Mais rien ne se passe jamais comme prévu en politique et la fragilisation de la campagne de François Fillon depuis quelques semaines est telle qu’il semble de moins en moins certain de participer au deuxième tour de la présidentielle, où pourraient se retrouver face à face Emmanuel Macron et Marine Le Pen, dans un duel exacerbant comme jamais les tensions et les passions françaises. La chose est d’autant plus dramatique que la candidature Fillon, avant son effondrement, semblait offrir une sortie par le haut à un pays en crise, avec un conservatisme décomplexé qui savait toutefois ne pas être histrionique. Il semblait y avoir là un débouché politique raisonnable à l’exaspération populaire. Le conservatisme semblait la meilleure manière d’éviter le populisme. On ne réécrira pas l’histoire, mais il se pourrait bien qu’une défaite de la droite à la présidentielle soit un jour considérée comme un moment gâché dans l’histoire française.
L’observateur de la campagne ne pourra s’empêcher, néanmoins, d’y voir un incroyable détournement de démocratie, qui va bien au-delà du sort de François Fillon. Depuis cinq ans, la France était prise de convulsions politiques. Le quinquennat de François Hollande aura poussé jusqu’au bout la reprogrammation terra-noviste de la gauche. Paradoxe ? L’homme qui voulait renouer avec un socialisme en lutte contre la finance aura achevé sa conversion aux questions identitaires et sociétales. En cela, il aura été fidèle à son inspiration mitterrandienne. Mais ces questions ne sont pas insignifiantes : au contraire, elles réfèrent à l’idée de l’homme sur laquelle on fait reposer la cité. À travers elles, on aura assisté à une repolitisation de grands segments de la population qui s’apprêtait à vivre la présidentielle de 2017 à la manière d’une querelle entre visions du monde. La présidentielle devait mettre en scène de grands projets et les Français trancher entre eux comme rarement ils auraient eu l’occasion de le faire dans leur histoire récente. Le peuple français aurait ainsi confirmé sa vocation de peuple politique par excellence.
Mais ce n’est pas ce qui arrive. L’élection se vide de sa substance politique et le système médiatique, effrayé depuis quelques années par la montée des thèmes conservateurs qui alimenteraient la « droitisation » de la France, reprend le contrôle de la vie démocratique en définissant ses thèmes.
L’élection présidentielle ne porte plus sur le fond des choses. La France se fait voler son élection présidentielle. On pourrait aussi parler d’une élection présidentielle avortée : la poussée conservatrice ne sera pas traduite politiquement. La quête de la transparence éthique, qui n’est évidemment pas condamnable en elle-même, écrase le politique et étouffe un conflit qui aurait pu mettre en scène de manière féconde les contradictions du pays en renouvelant les grands termes de la polarisation politique. Et qu’est-ce qu’une élection présidentielle sans substance politique, sinon une mascarade faite pour dégoûter l’homme ordinaire de la chose publique ?
Le combat des visions et des programmes ne parvient plus à prendre forme. Les aspirations profondes du pays sont de nouveau déportées vers les marges politiques ou condamnées à l’émiettement électoral. Ce n’est pas un problème absolument nouveau, toutefois : cela fait une trentaine d’années qu’il y a en France une dissociation grave entre l’offre et la demande politiques ce qui a favorisé de nombreuses jacqueries électorales, généralement autour de l’enjeu européen, et la recherche d’une troisième voie qui n’est jamais vraiment parvenue à se faire une place dans un système partisan bloqué. De Séguin à Chevènement en passant par Pasqua et de Villiers, ils auront été nombreux à chercher à reformuler les termes du jeu politique, sans vraiment y parvenir. La poussée du Front national, au-delà de son rachitique électorat d’origine, s’inscrivait aussi dans ce contexte. Le décalage entre le pays et son système politique s’accentuera.
Nous sommes témoins d’un détournement de démocratie à grande échelle. La France bouillonnait politiquement depuis 5 ans. Des grandes manifestations autour des questions sociétales aux enjeux essentiels remués par la multiplication des attentats islamistes, en passant par le déploiement de la question identitaire et la nécessaire remise en question d’un multiculturalisme ne disant pas son nom et de l’immigration massive, l’élection devait non seulement donner un nouveau président à la France, mais un nouveau cap au pays. Ce ne sera probablement pas le cas, et la protestation populaire peinera à se convertir en politique de redressement. Cela doit être d’autant plus insupportable pour un grand pan du pays que la droite, à travers le travail de nombreux essayistes et intellectuels, avait mené un authentique travail de renouvellement programmatique. Ces débats refoulés ne disparaîtront pas. Il ne suffit pas de cesser de parler d’une question pour la faire disparaître – la politique n’est pas un pur exercice de communication. Ils risquent toutefois d’entraîner un pourrissement de la vie politique française et de séparer le pays en deux camps irréconciliables. L’impuissance politique est mortifère pour la démocratie.
La politique trouve sa grandeur lorsqu’elle permet de saisir les grands enjeux d’une époque et de les traduire en options intelligentes et raisonnables offertes à la population. Elle devient médiocre et détestable lorsqu’elle met en scène seulement de petites guerres de clans en lutte pour un pouvoir qui sert moins à servir qu’à se servir. Il y a un tel décalage, en ce moment, entre l’importance des enjeux qui devraient être au cœur de la présidentielle et la manière dont elle est menée qu’elle pourrait radicaliser comme jamais le dégoût des Français pour une classe politique qui s’acharne à ne pas être à la hauteur de l’histoire. Personne n’en sortira gagnant. •
Passe-t-on son temps à polémiquer sur la couleur dont on va repeindre la coque d’un navire qui est en train de sombrer ?