Les juges ont fait couper la tête de Louis XVI
PAR JACQUES TRÉMOLET DE VILLERS
Si nous étions animé par une sorte de patriotisme corporatif qui lutte pour le gouvernement des juges, et, par là-même, pour la considération accrue des « auxiliaires de justice » que sont, selon la loi, les avocats, nous devrions être dans un état de contentement extrême.
Que ce soit aux États-Unis d’Amérique, au Royaume-Uni ou chez nous, en France, l’autorité judiciaire, pouvoir indépendant de l’élection, animé par la seule considération de sa légitimité propre – « les clercs en ce que se connaissant » disait l’Université de Paris qui envoya Jeanne d’Arc au bûcher – est en passe de dominer le monde.
À Washington, les juges – ou un juge – bloquent le décret sur l’immigration du Président nouvellement élu. À Londres, les juges exigent du Premier ministre qu’il soumette au Parlement ses décisions consécutives à la sortie de l’Union européenne. En France, ils jettent l’ombre de leur pouvoir sur les données de l’élection, car, en permettant – ou non – à François Fillon d’être candidat, ils commandent toute la destinée politique de la France pour les cinq ans à venir.
C’est à une longue et profonde méditation que nous invite ce regard sur les rapports entre les juges et l’État. Nous savons que, chez nous, quand ils se sont opposés frontalement à l’autorité royale, ce sont eux, les juges, qui ont eu le dernier mot. D’abord, c’était le Parlement de Paris et ses avocats, dont un certain d’Anthon, devenu Danton. Ensuite, ce furent les mêmes, ou leurs neveux, transformés en juges révolutionnaires. Peu importe ! Ce sont les juges qui font couper la tête à Louis XVI, devenu Louis Capet. Ce sont eux qui mettent fin, dans le sang, à une tradition politique millénaire. Par eux, l’idéologie du moment triomphe de ce que Louis XIV appela « la facilité du bon sens » qui fut l’art politique d’où est sorti ce chef-d’oeuvre qui vit toujours, le Royaume de France.
Il faut des juges ! C’est évident ! Comme il faut aussi des prêtres. Mais que chacun reste à sa place ! Que les juges soient les instruments principaux de la paix publique, de la concorde entre les citoyens, en « rendant à chacun ce qui lui est dû ». Que les prêtres célèbrent les Saints Mystères et annoncent aux foules et aux personnes la Parole de Dieu. Mais que les politiques, dont la fonction est aussi nécessaire que les deux premières, car sans la « tranquillité de l’ordre » dont ils doivent être les artisans, ni les juges, ni les prêtres ne peuvent remplir leur fonction, aient la liberté de leur action !
Dans notre système actuel, seul le peuple est juge des politiques et son jugement s’exprime par les urnes et pas autrement !
Un paradoxe suprême – un oxymore comme on aime le dire – domine notre avenir. La révolte du « pays réel » contre le « pays légal », intuition prophétique de Charles Maurras à la naissance du siècle dernier, est en train de gagner, sinon le monde, au moins la partie la plus éclairée de l’univers. Et la traduction politique de cette révolte se fait dans les urnes, par le suffrage universel direct. •
Les conventionnels qui ont envoyé Louis XVI à la guillotine se sont autoproclamés juges mais ne l’étaient pas tous.
LE JUGEMENT DES JUGES
Ceux qu’on enferme dans le froid, sous les serrures solennelles,
Ceux qu’on a de bure vêtus, ceux qui s’accrochent aux barreaux,
Ceux qu’on jette la chaîne aux pieds dans les cachots sans soupiraux,
Ceux qui partent les mains liées, refusés à l’aube nouvelle,
Ceux qui tombent dans le matin, tout disloqués à leur poteau,
Ceux qui lancent un dernier cri au moment de quitter leur peau,
Ils seront quelque jour pourtant la Cour de Justice éternelle.
Car avant même de juger le criminel et l’innocent,
Ce sont les juges tout d’abord qu’il faudra bien que l’on rassemble.
Qui sortiront de leurs tombeaux, du fond des siècles, tous ensemble,
Sous leurs galons de militaire ou leur robe couleur de sang,
Les colonels de nos falots, les procureurs dont le dos tremble.
Les évêques qui, face au ciel, ont jugé ce que bon leur semble,
Ils seront à leur tour aussi à la barre du jugement.
Quand la trompette sonnera, ce sera le premier travail !
Mauvais garçons, de cent mille ans vous n’aurez eu tant de besogne
Pour tuer ou pour dérober vous n’aviez guère de vergogne,
Mais vous avez bien aujourd’hui à soigner un autre bétail
Regardez dans le petit jour, c’est le chien du berger qui grogne,
Il mord leurs mollets solennels, et le fouet claque à votre poigne.
Rassemblez les juges ici dans l’enceinte du grand foirail.
Pour les juger, je vous le dis, nous aurons sans doute les saints.
Mais les saints ne suffisent pas pour énoncer tant de sentences.
Ceux qu’on a jugés les premiers, autrefois, pendant l’existence,
Comme il est dit au Livre Vrai, ne seront jugés qu’à la fin.
Ils jugeront d’abord le juge, ils pèseront les circonstances.
A leur tour alors d’écouter l’attaque autant que la défense.
Les juges vont enfin passer au tribunal du grand matin.
Les tire-laine dans la nuit, les voleurs crachant leurs poumons,
Les putains des brouillards anglais accostant les passants dans l’ombre,
Les déserteurs qui passaient l’eau happés dans le canot qui sombre,
Les laveurs de chèques truqués, les nègres saoûls dans leurs boxons,
Les gamins marchands d’explosifs, les terroristes des jours sombres,
Les tueurs des grandes cités serrés par les mouchards sans nombre,
Avant d’être à nouveau jugés feront la grande Cassation.
On les verra se rassembler, montant vers nous du fond des âges,
Ceux qui, les raquettes aux pieds, parmi les neiges du Grand Nord
Ont frappé au bord des placers leurs compagnons les chercheurs d’or,
Ceux qui, dans la glace et le vent, au comptoir des saloons sauvages
Ont bu dans les verres grossiers, l’alcool de grain des hommes forts,
Et qui, négligents de la loi, confondant l’oubli et la mort,
Ont rejeté les vieux espoirs de gagner les tièdes rivages.
Ils s’assiéront auprès de ceux qui ont tiré dans les tranchées,
Et puis qui ont dit non, un jour, fatigués des années d’horreur,
Des soldats tués pour l’exemple et des décimés par erreur,
Et près des durs, des militants de toutes les causes gâchées,
De ceux qui tombent en hiver sous les balles des fusilleurs,
De ceux qu’enferment aux cachots les polices des Empereurs,
Et des jeunesses de partout par leurs chefs en fuite lâchées.
Oui, tous, les soldats, les bandits, on leur fera bonne mesure
Ne craignez pas, hommes de bien, ils seront jugés eux aussi.
Mais c’est à eux, pour commencer, qu’il convient de parler ici,
Car la parole est tout d’abord à ceux qui courent l’aventure,
Et non à ceux qui pour juger se sont satisfaits d’être assis,
De poser sur leur calme front leur toque noire ou leur képi,
Et de payer d’un peu de sang leur carrière et leur nourriture.
Les adversaires d’autrefois pour ce jour se sont accordés,
Les justes traînés au bûcher sont auprès des mauvais enfants,
Car les juges seront jugés par coupables et innocents.
Au-delà des verrous tirés qui d’entre eux pourra aborder ?
Qui verra ses lacets rendus, sa cravate et ses vêtements
Socrate juge la cité, Jeanne signe le jugement,
Et à la Cour siègent ce soir la Reine et Charlotte Corday.
Ils passeront, ils répondront, aux tribunaux des derniers jours,
Ceux-là qui avaient tant souci de garder leur hermine blanche,
Et les cellules s’ouvriront, sans besoin de verrou ni clenche.
À la cour du Suprême Appel, ce n’est pas les mêmes toujours,
O frères des taules glacées, qui seront du côté du manche.
Les pantins désarticulés attachés au poteau qui penche
Se dresseront pour vous entendre, ô juges qui demeuriez sourds.
Et ceux qui ont passé leurs nuits à remâcher leurs mauvais rêves,
Les pâles joueurs de couteau, les héros morts pour leur combat,
Les filles qui sur le trottoir glissent la drogue dans leur bas,
Ceux-là qui pendant des années ont perdu leur sang et leur sève
Par le juge et par le mouchard, et par Caïphe et par Judas,
Ils verront le grand Condamné. roi des condamnés d’ici-bas,
Ouvrir pour juges et jurés le temps de la grande relève.
Robert Brasillach
Poèmes de Fresnes
13 janvier 1945
Fusillé le 6 Février 1945
Et comme on rappelle avec juste raison la rupture de cette tragédie que furent les tueries de notre sordide révolution, nous relisons Camille Desmoulins envoyé à la guillotine par son grand ami Robespierre : « Ce sont les tyrans maladroits qui se servent des baïonnettes, l’Art de la tyrannie consiste à faire la même chose avec des juges »
Merci à Jean-Louis Faure.
En relisant le Jugement des juges, en se le redisant, c’est toujours la voix, l’accent de Pierre Fresnay que l’on entend. Merveilleux poète et merveilleux interprète.