Par Emmanuel Dubois de Prisque
Une chronique que nous avons aimée parce qu’elle dit la vérité et qu’elle la dit avec talent [Causeur, 5.04].
Ce que Christine Angot a raté lors de « L’Emission politique » sur France 2 il y a dix jours, Philippe Poutou l’a réussi hier soir sur BFM, RMC et CNews. Grâce à sa légitimité d’ouvrier, il a réussi à déstabiliser ceux que les médias poursuivent de leur vindicte depuis le début de cette triste campagne. Contrairement à Christine Angot, Philippe Poutou a la hargne sympathique.
Lorsqu’il s’agit de taper sur Le Pen ou Fillon, il dit tout haut ce que tous les people pensent tout haut. C’est très bien, mais ce n’est pas pour cela que ces mêmes people voteront pour lui plus tard. Après tout, cela fait longtemps que le NPA ne sert qu’à ça : exécuter les basses œuvres de la bien-pensance, tandis que celle-ci adopte une ligne toujours plus postindustrielle. Philippe Poutou est l’idiot utile des liquidateurs de la classe ouvrière dont il fait partie. Ceux qui aujourd’hui proposent vraiment de la défendre, que ce soit par un accent mis sur l’investissement productif ou sur un protectionnisme intelligent, sont cloués au pilori : ceux qui ne voient l’industrie que comme un long chemin de croix dont l’économie virtuelle ou le revenu universel viendra nous libérer, sont au contraire chouchoutés par les médias…
Quand Boucheron oint Poutou
Ce matin sur France Inter, Philippe Poutou a même reçu l’onction de la nouvelle star du monde intellectuel français : Patrick Boucheron. Invité par Patrick Cohen pour nous expliquer ce qu’il faut penser de questions aussi graves que celle du statut de la vérité dans notre monde en miettes, Patrick Boucheron a prétendu pour cela s’appuyer sur la pensée de Michel Foucault. Curieux, alors même que Foucault fut le principal fossoyeur du concept de vérité, en affirmant que la vérité n’existait que comme « effet de vérité » et non pas en elle-même. C’est d’ailleurs dans une certaine fidélité à cette conception purement performative de la vérité que Patrick Boucheron a produit récemment son Histoire mondiale de la France, tentative sans doute réussie de planter le dernier clou dans le cercueil de notre roman national. Inviter Boucheron à nous aider à lutter contre le monde de la « post-vérité », c’est un peu comme inviter un enthousiaste héritier du pyromane en chef que fut Michel Foucault à nous expliquer comment éteindre un incendie.
Soljenitsyne-Poutou, même combat ?
Mais ce dernier, sans trop le reconnaître ouvertement, a retourné sa veste à la fin de son existence. Il propose en exemple, dans son tout dernier cours, intitulé Le Courage de la vérité, l’attitude des anciens Grecs et des premiers chrétiens face au pouvoir, à travers la figure du parrèsiaste, celui qui ose dire et incarner la vérité, fût-ce au péril de sa vie. La parrhèsia est un concept omniprésent dans le Nouveau Testament. Son succès dans le christianisme est inséparable de la déchirure dans l’ordre politique dont le Christ est responsable, lorsqu’il instaure l’ordre du monde et celui de Dieu. Cela, Boucheron s’est bien gardé de nous le rappeler, se contentant, lorsqu’il s’est agi de nommer des figures de parrèsiastes, de passer sans transition et sans craindre le ridicule d’Alexandre Soljenitsyne à Philippe Poutou. Voilà donc le monde dans lequel nous nous trouvons : le courage de la vérité autrefois incarné par Soljenitsyne est aujourd’hui incarné par Philippe Poutou. Hier, le courage de la vérité consistait à oser parler face aux loups, aujourd’hui, pour Patrick Boucheron, cela consiste à hurler avec eux. •
Emmanuel Dubois de Prisque
Chercheur associé à l’Institut Thomas More