Par Aristide Leucate
Plus que quelques jours et nous serons fixés sur les deux outsiders qui auront réussi à accéder au second tour de l’élection présidentielle. Il ne sera proposé ici aucun pronostic, tant les imprévus et autres surprises peuvent toujours survenir, en application de cet aphorisme, souvent vérifié, selon lequel « lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité
» (Arthur Conan Doyle). Toutefois, pouvons-nous, sans risque de nous tromper, prophétiser que quel que soit l’heureux élu, rien ne changera positivement pour la France et les Français.
Commençons par observer que les onze candidats revendiquent ne pas faire partie du « Système
» et se présentent même comme « anti-Système
». Il ne s’agit, rien de moins, que d’un effet d’annonce apophatique (ou, si l’on préfère, un discours récurrent centré sur le déni) dont le but est prosaïquement d’attirer le chaland dans les mailles piégeuses de son filet électoraliste. Le plus troublant, en apparence, réside dans le fait qu’aucun d’entre eux ne semble partager une définition commune de ce qu’ils dénoncent…
À chacun son système
L’on n’est guère avancé, sauf à considérer avec Alain de Benoist que « les choses s’éclairent si on ajoute un adjectif
». En effet, « les maurrassiens s’en prennent au système démocratique, les antilibéraux au système capitaliste, les écologistes au système productiviste, les tenants de la théorie du genre au système familial
». Cependant, poursuit-il, « si le mot Système est vague, cela correspond aussi à son caractère intrinsèquement englobant
». Et de poursuivre : « Une critique anti-Système est toujours une critique globale. Elle peut viser le couple droite-gauche, le système des partis, la classe politique dans son ensemble, ou encore ce qu’on appelle l’Establishment, la Caste, la Nouvelle Classe, les élites, etc. Dans tous les cas, on s’en prend à un tout dont les parties font système.
» (Monde & Vie, mars 2017) S’emmurant, plus que jamais, dans une logique d’enchérissement permanent, le Système démo-représentatif n’est jamais à court d’imagination ; partant, nos onze concurrents renforcent la résilience du Système qu’ils vitupèrent, démontrant, par là même, qu’ils en font partie. C’est dire que l’on ne doit raisonnablement rien attendre du futur gouvernement du quinquennat à venir.
Nécessité de la monarchie
Le régime républicain perdurera, aucun des candidats en lice n’ayant prévu de rappeler un prince dynastique sur le trône vacant. L’enjeu n’est pas que de principe – il n’a même, d’ailleurs, rien à voir avec un quelconque principe –, attendu précisément que la preuve a été maintes fois administrée, notamment par la République elle-même, que cette dernière était proprement nocive à la France. Le maître de l’Action française, Charles Maurras, a écrit une multitude de belles et fortes pages s’attachant à démonter l’écheveau républicain de façon à démontrer la nécessité politique et vitale de la monarchie : « Dans l’état présent des nations, les royaumes, les empires, les républiques se plaignent tous du gaspillage financier : ce gaspillage sort de la confusion générale du Parlement et du Souverain.
[…] La Monarchie existe par sa propre force, sua mole stat. Elle n’a pas besoin de consulter à chaque instant un prétendu souverain électeur.
[…] Précisément parce que son principe ne l’oblige pas à harceler les gens, à aller les sommer constamment de la trouver belle. La République est une religion. La Monarchie est une famille. Celle-ci n’a besoin que d’être trouvée acceptable. Celle-là exige que l’on suive ses rites, ses dogmes, ses prêtres, ses partis.
» (Mes idées politiques, 1937) Contre la démesure sans fin des partis, ferments de stériles divisions, la monarchie a pour elle la vertu rare de la tempérance.
La souveraineté sauve
Il ne s’agit point d’une clause de style, mais de la claire et haute conscience du souci primordial de la politique qu’avait génialement entrevu Pierre Boutang dans Reprendre le pouvoir : le salut. « Il y a souci lorsqu’émerge une possibilité de perdre ou de sauver
», soulignait-il. Ce souci est inhérent à l’exercice du pouvoir dont « la nature
[…] est de sauver
» ; « celui qui sauve – les autres et les pauvres, le peuple, donc –, celui qui est en situation de garder sauf, exerce un pouvoir légitime devant quoi les clercs, les “intellectuels” n’ont pas plus à se prosterner qu’à prendre des airs dégoutés
», précise Boutang. Dans sa quête du « secret
» politique, le même remarquait judicieusement que cet acte de sauver avait quelque cousinage étymologique avec le mot salut : « ancienne monnaie (salus nummarius) ainsi nommée parce que sa légende portait “salus populi suprema lex esto”
». De première part, l’on voit combien est irréductible le lien entre le pouvoir et le peuple et que ce lien ne peut être soumis aux caprices et humeurs, par définition inconstants et variables, de la seule volonté, même et surtout générale. De seconde part, comment rester aveugle à cette homologie entre ce salus nummarius et la prérogative régalienne, héritée de Jean II le Bon, de battre monnaie, soit après le droit de lever l’ost (l’armée) et celui de rendre justice, le signe le plus tangible, le plus visible, sinon le plus éclatant de la souveraineté ? Patiemment, la monarchie française a fini par comprendre qu’en aliénant ce souverain bien, elle se condamnait à la servitude.
Que n’a commis, pourtant, la République en se donnant sans retenue, ni solide contrepartie, et avec une imprudence consommée, à l’oligopole de Bruxelles ? Ce faisant, elle a considérablement alourdi les autres malheurs français, là où la monarchie, sans probablement les éviter, les aurait assurément tempérés. Parmi les candidats animés de la farouche volonté de s’extirper de l’hydre européo-mondialiste, combien parviendront réellement à leurs fins ? L’invocation des mânes gaulliennes risque, indubitablement, de s’avérer inopérante. Le temps manquera, des pesanteurs de toutes sortes se feront irrémédiablement sentir, sans parler des obstacles qui se multiplieront comme les pains christiques.
L’État a perdu le peuple
Mais en perdant le pouvoir, l’État a aussi perdu le peuple. Celui-ci est devenu parfaitement abêt, gâté par une société d’abondance où le principe de plaisir – analysé par Zygmunt Bauman comme le « le fait d’avoir des sensations, voire même d’en espérer de nouvelles, que l’on a tendance à vivre comme un plaisir
» –, s’est substitué à l’éthique de la responsabilité, pour parler comme Max Weber. La constance avec laquelle, scrutins après scrutins, nos contemporains – bien que progressivement gagnés par une lassitude confinant à la lucidité – pérennisent, volens nolens, le système démocratique sans jamais s’émanciper de son Église républicaine, est un indicateur fiable de l’état de liquéfaction avancée de la société actuelle. Le naturaliste américain Henry-David Thoreau ne cessait de s’étonner de cette « bien étrange époque que celle ou les empires, les royaumes et les républiques viennent mendier à la porte d’un simple particulier et s’installer à ses côtés pour débiter leurs doléances
» : « je ne peux pas prendre un journal sans trouver quelque lamentable gouvernement, aux abois et en fin de course, qui vient intercéder auprès de moi, lecteur, afin que je vote pour lui qui m’importune autant qu’un mendiant italien
» (Essais, 2007). À méditer… •
Paru dans l’Action Française 2000 du 20 Avril 2017