Par Vianney Passot
Cet entretien est paru le 17.05 dans Figarovox, ainsi résumé : « Quelques jours seulement après son élection, Emmanuel Macron a rencontré Angela Merkel en début de semaine. Coralie Delaume explique pourquoi les projets du nouveau président pour l’Europe inquiètent beaucoup les Allemands. » Bien plus importante est l’affirmation reprise en titre : « Macron est fédéraliste, quand les Allemands deviennent souverainistes. » Empêchement rédhibitoire si la chose est avérée ! Et il ne nous étonnerait pas qu’elle le soit. Malgré l’affaiblissement du politique, nous restons, de facto, à l’heure des nations, et d’une certaine façon, à leur retour. Que le mot lui plaise ou non, Macron se trouvera face au nationalisme allemand. A cet égard, l’écart qui ne cesse de se creuser, depuis 1989, entre la France et l’Allemagne, notamment, bien-sûr, en matière économique, rend de plus en plus improbable la stabilité et la pérennité du couple qu’elles sont censées former, et sans lequel, d’ailleurs, toute réelle avancée européenne n’est guère réalisable. Les réalités plus fortes que l’idéologie ? C’est l’évidence. Lafautearousseau
Pour son premier déplacement à l’étranger en tant que président, Emmanuel Macron s’est rendu ce lundi à Berlin pour rencontrer la chancelière allemande Angela Merkel. François Hollande, en 2012, s’était aussi rendu en Allemagne immédiatement après son élection. Comment expliquez-vous cette hâte du président fraîchement élu à traverser le Rhin ?
C’est devenu une figure obligée pour tout président français, au nom du « couple franco-allemand ». A vrai dire, Emmanuel Macron s’était déjà rendu en Allemagne deux fois durant sa campagne, une fois en janvier, une fois en mars. La seconde fois, Angela Merkel l’avait reçu. Deux autres candidats avaient fait le voyage: François Fillon et Benoît Hamon.
Mais c’est Macron qui avait annoncé la couleur de la façon la plus claire, en disant son projet de « faire des réformes pour regagner la confiance de l’Allemagne ». Sans jamais expliquer pourquoi ni comment nous aurions perdu ladite confiance. En ne respectant pas les critères de convergence surveillés par la Commission dans le cadre du « semestre européen » ? L’Allemagne, dont l’excédent commercial (à 8,3% du PIB !) est supérieur depuis sept ans maintenant à la norme communautaire mais qui n’est jamais sanctionnée pour cela, ne les respecte pas non plus.
Entend-on jamais dire, pour autant, que l’Allemagne doit réaliser des réformes pour « retrouver la confiance de la France » ? Ce serait pourtant urgent. Le président de l’exécutif européen Jean-Claude Juncker a certes affirmé récemment que « les Français dépensent trop ». Mais le FMI, lui, soutient que les Allemands dépensent trop peu. Dans son dernier rapport sur l’économie germanique sorti en début de semaine, le Fonds estime que la République fédérale doit rapidement augmenter les salaires de ses travailleurs et le montant de ses investissements publics, d’une part pour relancer la demande européenne, mais également pour contribuer à relancer une demande mondiale apathique. Ça fait des années que le FMI demande cela, des années également que les États-Unis insistent là-dessus. Donald Trump s’est d’ailleurs montré particulièrement explicite à ce sujet au début de son mandat.
Le fait que la France ait renoncé à essayer d’infléchir l’Allemagne dans ce sens montre qu’elle ne joue plus du tout son rôle en Europe, et qu’elle est totalement à la remorque de Berlin. Cela peut-il changer avec Macron ? C’est à mon avis très improbable.
Angela Merkel et Emmanuel Macron ont-ils une vision similaire de l’Europe ? La France et l’Allemagne vont-elles travailler ensemble au projet européen plus étroitement qu’auparavant ?
Je pense que leurs conceptions sont assez différentes. Les réformes de l’Union proposées par Macron durant sa campagne sont des réformes d’inspiration intégrationniste, presque fédéraliste. Il a proposé un ministre des Finances de la zone euro, un budget fédéral, un Parlement de l’euro…. mais les Allemands, eux, ne veulent pas de tout ça. Ils sont souverainistes ! Dans ce cadre, ils ne veulent pas d’union de transferts qui les contraindraient, selon une l’expression en vigueur, à « payer pour le Sud ». La situation, pour leur pays, est optimale. Ils bénéficient d’une monnaie sous-évaluée pour eux, au sein d’une union monétaire qui dysfonctionne mais qui, tant qu’on ne leur impose ni budget fédéral ni eurobonds, ne leur coûte pas un sou. Du moins tant que les pays surendettés auxquels ils prêtent de l’argent parviennent encore à rembourser. Pourquoi voudraient-ils qu’elle change ?
Je me permets de citer ici l’extrait d’un article du Bild – qui est un tabloïd et qui ne fait donc pas dans la dentelle – mais qui est énormément lu et qui permet de se faire une idée de l’état d’esprit chez nos voisins. Dans un article récent intitulé « Combien va coûter Macron à l’Allemagne ? », le journal explique : « Pendant la campagne, [Macron] a défendu entre autres les eurobonds, la mutualisation des dettes au sein de l’Union européenne. Il a aussi évoqué un ministre des finances de la zone euro et une assurance chômage commune (…) ce sont des idées qui émanent d’une France très endettée et qui nous poussent, nous Allemands, à tirer la sonnette d’alarme ».
Le président français et la chancelière allemande se sont dit prêts à refonder certains traités européens, pour faire passer un cap à l’Europe. A quoi peut-on s’attendre de leur part ? Emmanuel Macron peut-il refonder les traités européens sans passer par un référendum ?
Merkel et Macron sont tous deux en campagne. Les législatives françaises ont lieu en juin, les législatives allemandes en septembre. La chancelière ne peut ignorer l’immense euroscepticisme qui règne en France actuellement. Il suffit d’avoir additionné les scores des candidats « souverainistes » à l’issue du premier tour de la présidentielle pour l’avoir mesuré. Or Macron était un peu le candidat idéal pour Merkel, surtout lorsqu’il s’est trouvé opposé, au second tour, à Marine Le Pen. Sans doute la chancelière est-elle soucieuse de l’aider à obtenir à l’Assemblée cette majorité qui votera les fameuses « réformes pour regagner la confiance de l’Allemagne ». Elle a donc concédé que les traités européens pourraient être modifiés « là ou c’est nécessaire », histoire de se montrer agréable et d’encourager son interlocuteur.
A vrai dire, ça ne mange pas de pain. Elle peut toujours concéder, il faut l’unanimité pour modifier les traités, et dans certains pays, le référendum est obligatoire. Il est donc hautement improbable qu’une telle chose advienne.
De surcroît, Angela Merkel est, au sein de l’exécutif allemand, la préposée au rôle de « good cop ». Elle arrondit les angles avec diplomatie. Mais elle a auprès d’elle un « bad cop » très efficace en la personne de Wolfgang Schäuble, son ministre des Finances. Lui a déjà fait savoir dans un entretien au journal italien La Repubblica qu’il goûtait peu les projets de Macron. Il a même formulé une contre-proposition, celle de réformer la zone euro en donnant davantage de pourvoir au MES, le mécanisme européen de stabilité dont le rôle est… de prêter de l’argent aux pays du Sud en difficulté. Et qui est dirigé par un Allemand, Klaus Regling.
Le MES est un organisme européen ad hoc, qui n’a été créé que dans l’urgence et pour faire face à la crise. Le renforcer serait renoncer au surcroît d’intégration fédérale souhaité par Macron et faire la part belle à la méthode intergouvernementale. Ce n’est pas si étonnant de la part de Schäuble quand on se souvient qu’il disait au Financial times il y a quelques mois : « l’idée fédérale n’a pas disparu, mais actuellement elle n’a aucune chance de se réaliser. Nous devons donc améliorer … nos méthodes intergouvernementales ».
Au risque de me répéter, je maintiens que l’Allemagne n’est pas (plus ?) fédéraliste. Elle est souverainiste. Elle veut bien des réformes, mais des réformes de type austéritaire, et prioritairement chez ses voisins, afin d’être assurée de n’avoir jamais à payer pour les autres….. •
Coralie Delaume est essayiste. Elle a publié Europe, les États désunis (Michalon, 2014) et, avec David Cayla, La fin de l’Union européenne (Michalon 2017). Elle anime depuis 2011 le blog L’arène nue, consacré au projet européen.
Somme toute, la France est nue ! Et de plus en plus nue (à supposer que cela soit possible), car sa nudité ne date pas d’aujourd’hui. Alors que sa situation économique et budgétaire la place depuis des années (grâce à Jacques Chirac qui a commencé à laisser tout aller pour avoir la paix avec les syndicats) à la remorque de l’Allemagne qui, heureusement a encore quelque estime et respect pour les beaux restes de la « Grande Nation », notre nouveau président se paie de mots en espérant recueillir une oreille attentive et intéressée auprès de Mme Merkel. Il lui raconte ainsi une belle histoire européenne pour un futur merveilleux : un parlement de l’euro, un ministre des finances de la zone euro, un budget européen, la mutualisation des dettes en Europe, des eurobonds, un nouveau traité européen tout beau tout neuf, etc.
Pour les allemands, et on ne peut pas leur donner tort, il ne s’agit que d’une tentative de notre nouveau président de noyer le poisson de nos milliards de dettes publiques comme on jette une bassine d’eau sale dans un grand lac en espérant que personne ne verra la malpropreté initiale dans la bassine. Tout changer pour que rien ne change. Mais, pour terminer sur une note d’espérance et comme le pire n’est jamais sûr, attendons de voir si notre nouveau président et son gouvernement sauront enfin peut-être vraiment redresser le pays et commencer de le tirer de son ornière de décadence heureuse (pour certains).