par Louis-Joseph Delanglade
La littérature a très vite été partie prenante de la genèse de la nation française, au point qu’aujourd’hui encore les deux se confondent dans notre inconscient collectif. De façon plus explicite, et à titre d’exemples, une universitaire américaine, Mme Ferguson, a pu écrire un petit pavé de trois cents pages intitulé « La France, nation littéraire » et M. Rouart, académicien, souligner publiquement (Pékin, décembre 2014) « l’importance que revêt pour elle la littérature au cœur même de l’État ».
Il est vrai que les premiers présidents de notre Ve République étaient des hommes de lettres. De Gaulle, quoique militaire de formation, restera dans l’Histoire comme un politique parfois controversé mais aussi (et surtout ?) comme un mémorialiste de haut vol. Pompidou, agrégé de lettres, est pour les connaisseurs l’auteur d’une remarquable Anthologie de la poésie française. Descendons une marche : MM. Giscard d’Estaing et Mitterrand auront eu au moins le mérite d’afficher une préférence, Giscard pour Maupassant, Mitterrand pour Chardonne ; dans Une histoire de la littérature française Kléber Haedens qualifiait le premier de « bon petit réaliste » et disait du second qu’il « aima par-dessus tout la belle prose »… Puis, quelques marches plus bas, rien ou presque, concernant MM. Chirac, Sarkozy et Hollande – sauf peut-être les propos consternants de M. Sarkozy sur La Princesse de Clèves.
Or, sur la photo officielle de M. Macron, on voit un livre ouvert à sa droite : ce sont les Mémoires de guerre du général de Gaulle. On apprend par ailleurs dans la presse que deux autres livres (Stendhal, Le Rouge et le Noir ; Gide, Les Nourritures terrestres) sont posés sur sa gauche mais fermés. Ces trois ouvrages dans la prestigieuse collection de La Pléiade. Précision qui n’est pas anodine car, au delà de la simple communication, cette photo est aussi un acte politique. La primauté donnée à un De Gaulle ouvert et à main droite constitue une sorte de « métaphore visuelle » de la filiation politique dans laquelle semble vouloir s’inscrire M. Macron. Après tout, peut-être lui aussi s’est-il fait toute sa vie « une certaine idée de la France » – ce qui serait d’ailleurs plutôt rassurant : mieux vaut De Gaulle que Robespierre.
Le choix de Gide et Stendhal mérite qu’on s’y arrête davantage. Les deux ouvrages, quoique très différents dans la forme (un roman et une sorte de long poème en prose agrémenté de passages versifiés) ont pu être en leur temps considérés comme des oeuvres quelque peu « subversives ». C’est ce qui a dû séduire M. Macron. Sans doute s’est-il, après tant d’autres, reconnu dans le héros stendhalien, Julien Sorel, ce jeune plébéien ambitieux et énergique… Mais il ne devrait pas oublier que la destinée de Julien est tragique puisqu’elle le conduit à l’échafaud. Peut-être aussi a-t-il lu le livre de Gide, au titre si évocateur, comme le bréviaire de toutes les remises en cause sociétales visant à la libération de l’individu. Mais il ne devrait pas oublier non plus qu’aujourd’hui, la destruction de la règle étant devenue une règle, c’est la société tout entière qui est en voie de décomposition.
Pas si inutile que cela donc, la littérature. Et même parfois très utile. Elle est « l’utile inutile » comme la définit si bien Claude Roy dans son dernier chapitre de Défense de la Littérature. •
Et la pendule derrière le bras, elle est à.m ou p.m ?
«Peut-être aussi a-t-il lu le livre de Gide, au titre si évocateur, comme le bréviaire de toutes les remises en cause sociétales visant à la libération de l’individu. Mais il ne devrait pas oublier non plus qu’aujourd’hui, la destruction de la règle étant devenue une règle… » écrivez-vous si bien…
Au point que justement, la littérature elle-même est de plus en plus concernée tandis que d’aucuns ne la considèrent plus ou si peu ou alors se réclament d’elle non sans en étirer la conception selon leur propre prisme.