Par François Marcilhac
Emmanuel Macron a-t-il le sens de la mesure ? Saura-t-il ne pas aller trop loin ? Son discours de Versailles, devant le Congrès, n’a pas eu l’effet escompté : la presse oligarchique elle-même, qui a pourtant fait en grande partie son élection mais envers laquelle il se montre désormais ingrat, la tenant à distance de ses déplacements ou la privant de 14-Juillet, a moqué un discours « stratosphérique
» (Le Figaro) marqué par « le flou et la forme
» (Libération). Celui, bien trop long, d’un télévangéliste sans talent, tant, très vite, le propos, prononcé sur un ton uniformément surjoué, comme pour en dissimuler la vacuité, a suscité l’ennui. Tel un potache qui croit impressionner son correcteur de philo en accumulant des phrases aussi prétentieuses que vagues, ce qui lui coûte la moyenne, Emmanuel Macron, qui croit dur comme fer que les Français sont, tout autant que lui, persuadés de son génie « complexe
», semble surtout s’être plus écouté parler qu’avoir convaincu son auditoire, du moins quand celui-ci a réussi à suivre jusqu’au bout un discours verbeux, accumulant les platitudes, agrémenté ici ou là de quelques formules creuses. Telle cette « liberté forte
» qui risque de n’être aux libertés réelles que ce que les valeurs de la République sont au « vivre-ensemble
» : une duperie cachant, en l’occurrence, la brutalité croissante de la division entre ceux qui « réussissent
» – les gagnants de la mondialisation – et ceux qui, aux yeux du chef de l’État lui-même, ne seraient « rien
». Sans oublier un ton paternaliste à l’égard du chef du gouvernement, définitivement humilié à la veille de son discours de politique générale, et hautain envers les parlementaires, auxquels il semblait donner une leçon d’éthique politique au mépris de la séparation des pouvoirs…
Outre un plaidoyer sans originalité pour l’« Europe
», des mesures en matière institutionnelle ont certes été annoncées. Elles visent notamment à améliorer la représentativité politique de l’Assemblée par l’introduction d’une dose de proportionnelle, à donner un semblant de participation au peuple souverain via un droit de pétition qui n’engage à rien et qui permet surtout d’enterrer définitivement le référendum d’initiative populaire ou, surtout, à rationaliser davantage encore le travail parlementaire : diminution d’un tiers du nombre des députés, sénateurs et membres du Conseil économique, social et environnemental, simplification de la navette des textes entre le Sénat et l’Assemblée ou vote de certaines lois non plus en séance publique mais au sein des commissions, ce qui serait une remise en cause radicale de la mission même de député, qui se verrait ainsi privé de son droit individuel d’amendement et dont la fonction technique effacerait la fonction politique.
Ce qui est intéressant, c’est la lecture très particulière que Macron fait de la Constitution. « Le président de la République doit fixer le sens du quinquennat et c’est ce que je suis venu faire devant vous. Il revient au Premier ministre qui dirige l’action du gouvernement de lui donner corps
» On sait que la Constitution est plus précise, qui stipule (article 20) que le Gouvernement « détermine et conduit la politique de la nation
», tandis que le président de la République « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État
» (article 5). Le vague de son propos permet à Macron d’échapper à la lettre – et à l’esprit ? – de la Constitution en installant une hyperprésidence de fait. Certes, nous ne serons pas plus républicains que Marianne V et ne défendrons pas outre mesure une Constitution qui n’a duré que parce qu’elle a su épouser des pratiques différentes. De plus, partisans que nous sommes d’une monarchie effective, un président qui gouvernerait ne serait pas pour nous effrayer, nous qui n’avons jamais cru en l’artificielle dichotomie entre « régner
» et « gouverner
», inventée en janvier 1830 par le libéral de gauche Adolphe Thiers, afin de mieux délégitimer l’action de Charles X – « le roi règne mais ne gouverne pas
» : la formule n’est pas exactement celle de Thiers, mais le sens y est –, ce qui a permis de préparer les esprits au renversement du dernier frère de Louis XVI. En revanche, nous ne sommes pas certains d’accepter volontiers l’établissement d’un pouvoir personnel qui, caricaturant la fonction royale, laisserait les mains libres à Emmanuel Macron pour mieux asseoir sa volonté de « transformer
» la France – puisque celle-ci ne serait pas « réformable
». Aussi son projet à l’automne d’instaurer un état d’urgence permanent en le faisant entrer dans le droit commun n’est-il pas sans nous inquiéter.
Faire advenir une France nouvelle
Car le principal de son discours est là : dans cette volonté de s’appuyer, pour « faire advenir
» une « France nouvelle
», sur la « nouveauté radicale
» de sa majorité. En effet, l’élection de celle-ci traduirait l’« impatience
» de « notre peuple
» à « emprunter une voie radicalement nouvelle
». Pardon aux lecteurs pour ce condensé de la prose présidentielle. Mais elle révèle combien, pour son auteur, notre pays est une terre vierge, ou, ce qui revient au même, encore sauvage, qu’il s’agit de faire naître à son destin. On a remarqué son incompréhension de l’histoire de France : on s’en étonnerait moins si on avait fait sa juste part à son aliénation au mode de penser américain, qui a forgé en lui la conviction qu’il devait être pour la France ce que Thomas Jefferson a été pour les États-Unis naissants : un fondateur. À ses yeux, l’histoire de France n’est que la préhistoire de notre pays. Un nouveau Jefferson nous est né, venu fonder cette « république contractuelle
», dont le tryptique, très américain, lui aussi, « efficacité, représentativité, responsabilité
», est destiné à remplacer le vieux tryptique républicain, « liberté, égalité, fraternité
», la liberté (forte ?) étant, précisément, « ce qui réconcilie liberté et égalité, justice et efficacité
» (sic). Ne va-t-il pas jusqu’à prétendre que, « ce qui nous est demandé par le peuple français, c’est de renouer avec l’esprit de conquête qui l’a fait, pour enfin le réconcilier avec lui-même
» ? Quel « esprit de conquête
», quelle mentalité de Far-West ont jamais présidé à la construction patiente, par les Capétiens, du pré carré français ? Faute de le connaître, faute d’y appartenir, le regardant du Touquet comme de Sirius, Macron invente un peuple français qui n’existe que dans son imagination aliénée. Mais il est à ce point convaincu du caractère quasi divin de sa mission qu’il l’est également d’appartenir au camp du Bien et qu’il prévient : « les forces adverses continuent d’être puissantes
», principalement « dans les têtes
».
Le vernis présidentiel s’effrite
Oui, elles continuent d’être puissantes et pourraient bien, le moment de sidération passée et avant que Macron ne réussisse à imposer un lavage orwellien de nos cerveaux, faire éclater ce qui pourrait bientôt se révéler comme une simple baudruche – que l’oligarchie a d’autant plus facilement gonflée qu’elle a su utiliser son narcissisme. Maxime Tandonnet remarque que « l’hyper-présidence, fondée sur une forme d’idolâtrie médiatique, à la fois fragile et superficielle, risque à tout moment de basculer dans le rejet et le lynchage d’un président devenu bouc émissaire et d’engendrer ainsi une crise de confiance
» (Le Figaro du 3 juillet). Espérons surtout que le sens du ridicule, qui distingue le pays réel, fasse rapidement son office. À Versailles, le vernis présidentiel a commencé à craquer. C’est d’un roi que les Français ont besoin, pas d’un M. Jourdain de la politique aspirant à devenir le Grand Mamamouchi d’une France nouvelle. •
L’Action Française 2000, 6 Juillet 2017.
Vous êtes bien sévère, Monsieur Marcilhac, pour le nouveau président tout juste élu. Vous lui reprocher ses phrases creuses mais vous n’ignorez pas que lorsqu’un chef de l’Etat est trop précis dans ses discours, tout le monde lui tombe dessus. J’irai jusqu’à prétendre que le ronron tranquille du discours d’un président peut les rassurer en laissant leur esprit vaquer et se reposer comme ils peuvent le ressentir en écoutant un sermon morne et ennuyeux à la messe dominicale. En fait, tout est question de circonstances et la critique sérieuse et fondée ne gagne rien à dénigrer. Ainsi va la France. Selon vous, un roi en France doit non seulement régner mais aussi gouverner. Si le mouvement royaliste adoptait dans sa majorité cette position, il y a toute chance qu’un roi ne règnera plus jamais en France, sauf catastrophe absolue que personne ne souhaite. Les Français sont en profondeur royalistes de cœur (c’est ma conviction) en souvenir de la longue histoire de la France et du respect que la figure royale leur a toujours inspirée mais vouloir les priver du droit d’être gouvernés de façon démocratique par des élus qu’ils peuvent librement choisir, réélire ou rejeter par des scrutins périodiques me semble constituer une erreur d’analyse au vu de l’histoire politique de ce pays depuis de multiples décennies.
Je trouve moi aussi cet article trop raide, trop peu nuancé, quoique pas faux.
En revanche, je ne crois pas, comme je l’ai entendu dire par feu le Comte de Paris à Amboise, en 1987, que les Français, désormais habitués aux institutions de la Ve République, se satisferaient d’un roi, qui se contenterait de régner.,
Telle n’est pas la tradition française monarchique comme républicaine depuis l’expérience gaulliènne