Par Mathieu Bock-Côté
Cette méditation qui intéresse et émeut a été donnée dans le Journal de Montréal du 10 juillet 2017. Elle mêle réflexion personnelle, démarche spirituelle et regards sur le monde actuel. Peut-être Mathieu Bock-Côté s’en défendrait-ils, mais nous trouvons ces derniers regards dans la veine des grands antimodernes. Le lecteur avisera. LFAR
J’ai visité aujourd’hui la magnifique co-cathédrale Saint-Jean, à La Valette, à Malte. Elle est époustouflante. Je rêvais de la voir depuis longtemps. Une église comme celle-là est faite pour traverser les siècles. Nous fabriquons aujourd’hui un monde jetable, à l’obsolescence programmée : ce qui dure nous effraie, on s’y sent prisonnier, même si, par ailleurs, l’homme moderne cherche partout des ruines qui parlent au cœur. Il y a dans le cœur humain un désir de transcendance. Qu’on me permette de citer Saint-Exupéry, dans Citadelle : « vous les voyez, les hommes de toutes les contrées du monde, courir à la recherche de ces réussites de pierre que vous ne fabriquez plus. Ces greniers pour l’âme et le cœur. Où avez-vous vu l’homme éprouver le besoin de courir le monde pour visiter des entrepôts ? » L’homme n’est pas qu’une créature prosaïque et il cherche peut-être moins dans ce qui reste du passé un exotisme à bon marché que des traces d’éternité.
Qu’on me permette aussi de citer Daniel-Rops, dans L’Église de la cathédrale et de la croisade qui m’accompagne ces jours-ci dans mes bagages : « Si, avec le Claudel du Soulier de Satin, on se demande « ce qui leur a pris, à ces croquants, à ces manants, à ces grippe-sous, à ces cul-terreux », pour dresser par le monde tant de merveilles, la seule réponse tient en deux mots : ils croyaient ». L’homme a besoin de croire à quelque chose d’autre que lui-même pour révéler tout son génie. C’est souvent parce qu’il croit au ciel qu’il peut embellir la terre. Inversement, l’homme enfermé en lui-même et moqueur devant le sacré, quelle qu’en soit la forme, a bien des chances de se condamner à l’assèchement existentiel. On ne gagne rien à voir dans la religion une simple manifestation d’irrationalité. Je ne dis pas qu’il faut avoir la foi, elle ne se commande pas, et même lorsqu’elle se présente, il suffit souvent de chercher à la saisir pour qu’elle se dissipe. Je dis qu’il faut au moins comprendre quelles aspirations de l’âme humaine elle révèle. Quant à moi, j’aime savoir que dans le monde, des hommes et des femmes prient pour nous. Et cela, même si je ne suis pas certain de comprendre à quoi ils croient.
Pourtant, je confesserai cela : à aucun moment, aujourd’hui, dans cette magnifique église, je n’ai senti le besoin de me recueillir. Peut-être était-ce parce que nous étions des milliers de touristes à l’occuper ? C’est possible. Rien n’est plus étranger au silence de la prière que se sentir plongé dans une masse humaine qui flâne. Je ne suis jamais vraiment parvenu à me recueillir à la basilique Notre-Dame non plus. Mais au fond de moi, je sens que ce n’est pas que cela. « À défaut de savoir prier », pour le dire avec Dominique de Roux, je sais toutefois quand j’ai un besoin intime de m’agenouiller devant la croix, même si je me sens ridicule dès que je me relève en me demandant à quel théâtre mystique je viens de me livrer. Et c’est moins dans les églises majestueuses que dans de toutes petites églises, sans prétention, comme on aime dire : elles témoignent moins de la puissance de l’homme que de son humilité devant un monde qui se présente à lui comme un mystère. Le génie du christianisme est aussi un génie de la faiblesse comme beauté. Je suis aussi bouleversé par la beauté de ces croix plantées ici et là, comme on en trouve dans plusieurs régions du Québec : comment ne pas y voir une marque de la plus belle espérance ?
Qu’on ne voit pas dans cette petite confession une marque d’hostilité à l’endroit des belles et grandes cathédrales. Elles peuvent aussi nous hypnotiser. Je me souviens d’avoir passé une ou deux heures (j’avais perdu un peu le sens du temps) devant la cathédrale de Strasbourg. Je ne parvenais pas à m’y arracher. Je ne bougeais pas. Je la regardais et j’étais soufflé par tant de beauté. Il s’agit en fait de trouver les endroits les plus susceptibles d’amener l’homme à entrer dans une méditation silencieuse où il peut s’arracher pour quelques instants aux contingences de ce monde et plonger en lui-même pour accéder à ce qu’il peut souhaiter être sa part éternelle. Chacun y va selon sa nature, probablement. Je ne sais plus qui disait qu’il y a une géographie du sacré mais cette intuition me semble féconde. Il y a certainement des lieux qui nous poussent davantage à la prière que d’autres et je constate simplement que d’une ville à l’autre, je les cherche confusément, et je suis chaque fois ému de les découvrir. •
Merci pour. Ce texte magnifique d’honnêteté et d’humilité.