Par Laurence Daziano
Depuis la fin de la Guerre froide, les relations entre l’Europe et la Russie demeurent tendues. Dans cette tribune publiée par Figarovox [11.08] Laurence Daziano, montre comment dans le contexte international actuel l’intérêt de l’Europe est de retrouver le chemin de l’entente avec Moscou. Lafautearousseau partage ce point de vue. En revanche, nous n’avons pas la même confiance que Laurence Daziano dans la solidité – retrouvée grâce à l’élection d’Emmanuel Macron ? – du couple franco-allemand. Ceci en raison des disparités qui n’ont cessé de se creuser entre les deux partenaires et de fortes oppositions d’intérêt. De même la vision très européenne si ce n’est européiste de Laurence Daziano pour réaliser l’entente euro-russe à juste titre proposée ici, nous paraît irréaliste. Et pas très gaullienne, non plus, comme en témoigne la référence à Jean Monnet. Si ce rapprochement doit évidemment entraîner l’ensemble européen, à commencer par l’Allemagne, peut-être devrait-il revenir à la France d’en prendre l’initiative, d’y avoir un rôle moteur et déclenchant. Une politique euro-russe à la française, d’initiative française, que la rencontre de Versailles, au lieu de n’être qu’un symbole, aurait préfigurée et qui, alors, prendrait un vrai sens. Qu’attend Macron pour aller à Moscou ? LFAR
Depuis près de dix ans, l’accroissement des tensions géopolitiques fait peser une épée de Damoclès sur l’Union européenne : crise financière de 2008, crise migratoire, conflit ukrainien, Brexit, élection de Donald Trump à la Maison Blanche qui achève de faire diverger les vues de Washington et de Bruxelles sur de nombreux dossiers. Ce retour en force du fait géopolitique s’est également concrétisé dans une montée inédite des tensions entre les Occidentaux et la Russie depuis la fin de la Guerre froide.
Cependant, une conjonction de trois facteurs pourrait permettre aux Européens de retrouver, positivement, le chemin d’un destin propre, en quelque sorte une « voie gaulliste » entre l’Ouest et l’Est. D’abord, les « révolutions atlantiques » de Washington et Londres redonnent aux Européens la maîtrise de leur propre destin, y compris en termes sécuritaires. Ensuite, l’élection d’Emmanuel Macron à l’Elysée, qui a stoppé la vague populiste en Europe, ainsi que la probable réélection d’Angela Merkel à la chancellerie, en septembre 2017, redonnent à l’Europe le moteur qui lui manquait : un couple franco-allemand solide. Enfin, la Russie, qui est arrivée à garantir ses objectifs stratégiques en Ukraine et en Syrie, comprend désormais qu’une politique extérieure forte doit également reposer sur une croissance économique solide, à la veille des élections présidentielles de 2018.
En mai dernier, Angela Merkel ne disait pas autre chose en déclarant, au lendemain du sommet du G7 de Taormina : « Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus. Nous, les Européens, nous devons vraiment prendre en main notre propre destin ». L’élection d’Emmanuel Macron a également consacré une nouvelle impulsion en Europe, en lançant des réformes tant attendues par Berlin et en recevant Vladimir Poutine à Versailles pour discuter, à nouveau, avec notre partenaire russe.
Inversement, la promulgation le 2 août dernier des sanctions américaines contre la Russie a convaincu les Européens qu’il fallait définir une nouvelle voie stratégique. Washington vient de prendre, contre l’avis de Bruxelles, une série de sanctions qui pourraient toucher les entreprises européennes. Ces nouvelles sanctions, contre la Russie notamment, permettraient à Washington de prononcer des amendes, des restrictions bancaires et l’exclusion des appels d’offres outre-Atlantique à l’encontre des sociétés européennes qui participeraient à la construction de pipelines russes ou qui utiliseraient le dollar comme monnaie de transaction avec la Russie. De facto, ces sanctions interdiraient aux entreprises européennes, engagées dans des projets d’infrastructures en Russie, de poursuivre leur activité aux Etats-Unis.
La France, déjà échaudée par les sanctions contre BNP Paribas, qui avait dû payer 9 milliards d’euros au Trésor américain en 2014 pour échapper à des poursuites judiciaires, a des intérêts à défendre. Washington utilise les sanctions comme une législation extraterritoriale au détriment des entreprises européennes et au profit des intérêts américains. Ces nouvelles sanctions visent de nombreuses entreprises énergétiques européennes ainsi que les projets de gazoduc à l’instar de Nord Stream 2. Financé en partie par Engie, Nord Stream 2 doit acheminer du gaz russe en Europe via l’Allemagne, alors que les Américains projettent d’exporter leur gaz de schiste, à un coût supérieur, en Europe.
Dans ce contexte, l’Union européenne, sous l’impulsion du couple franco-allemand, devrait retrouver le chemin d’un dialogue franc et constructif avec Moscou, avec qui nous partageons de nombreux intérêts politiques, économiques, commerciaux et énergétiques, et faciliter les initiatives en ce sens.
Dans un premier temps, la reprise de ce dialogue pourrait se dérouler à l’occasion d’un sommet «E – Russie » qui adopterait une feuille de route autour de projets concrets pour créer, comme l’avait déclaré en son temps Jean Monnet, des solidarités de fait. Ces solidarités « de fait » concerneraient la réalisation des projets énergétiques communs, mais également les coopérations des industries agro-alimentaires et l’industrie spatiale. Dans ce cadre, l’UE devrait être favorable aux coopérations commerciales en cours, comme Nord Stream 2 et Yamal, et non subordonner leur réalisation à des considérations exclusivement politiques.
Dans un second temps, les relations russo-européennes pourraient être approfondies à l’occasion de la tenue d’une nouvelle Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) qui, en 1975, fut à l’origine de la détente et de la perestroïka. Cette conférence, qui pourrait se tenir à Helsinki comme la première, pourrait aborder la question d’un accord commercial de libre-échange UE – Russie, ainsi que la coopération sécuritaire. Bruxelles et Moscou pourraient signer un nouvel Acte final d’Helsinki, permettant de parachever une détente sécuritaire et l’édification de solidarités concrètes dans un espace géographique commun qui se dresserait de Brest à Vladivostok. •
Maître de conférences en économie à Sciences Po, Membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).