Le roi Mohamed VI et Monsieur Moncef Marzouki, président de la république tunisienne
Par Péroncel-Hugoz
Notre confrère Péroncel-Hugoz, longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, a publié plusieurs essais sur l’Islam, et il travaille maintenant à Casablanca pour le 360, l’un des principaux titres de la presse francophone en ligne au Royaume chérifien. Il tient aussi son Journal d’un royaliste français au Maroc, dont la Nouvelle Revue Universelle a déjà donné des extraits. Nous en faisons autant, depuis janvier 2016, en publiant chaque semaine, généralement le jeudi, des passages inédits de ce Journal. LFAR •
Jeudi 3 février 2011, Casa
Ce que ne savent pas les journalistes parisiens ou les eurocrates de Bruxelles qui congratulent à longueur d’année le Maroc pour ses « réformes sociétales » – essentiellement le Code de la Famille qui complique la polygamie, facilite le divorce et met théoriquement sur le même pied père et mère pour la direction de la famille -, c’est que lesdites réformes sont impopulaires parmi les sujets de Mohamed VI, sexes et âges confondus. Cela ressort des sondages, des reportages, des conversations. Dans les tribunaux, les juges accordent généralement les dispenses d’âge aux filles de moins de 18 ans désireuses de se marier. On se demande si le législateur marocain auteur de l’élévation de l’âge du mariage n’a jamais regardé les filles de 14-15 ans à la sortie des écoles ou travaillant dans les champs et qui sont déjà, la plupart du temps, de vraies petites femmes. En outre, Mahomet, le Modèle parfait aux yeux de ses fidèles, épousa Aicha à 6 ans et consomma cette union quand elle en eut 9. C’est ce que relatent les sira, biographies autorisées du prophète de l’Islam.
La chaîne états-unienne de Nefaste-food, Mc Do, organise un concours, placardé partout au Maroc, dont le gros lot est « une semaine en Egypte » … L’Egypte en pleine révolte armée… Il est vrai que le tourisme de guerre fut lancé en 1973 par des voyagistes israéliens, qui amenèrent sur les bords du canal de Suez – j’y étais et je les vis – des individus morbidement avides de voir des champs de bataille encore chauds…
Mon auteur tunisien, le prof de médecine Moncef Marzouki, dont en 1987 je publiai en France le livre-choc Arabes si vous parliez… où il disait ce qu’aucun musulman n’avait encore dit, est rentré ces jours-ci de son long exil européen et a annoncé illico sa candidature à la présidence. Cependant, peu après, déambulant parmi la foule tunisoise il s’est fait traiter de « mécréant » (kafer) et certains passants lui ont lancé : « Retourne d’où tu viens » Il faut dire que Marzouki n’y va pas de plume morte. Voici ce que j’avais retenu, en 1983, d’un autre de ses livres, dans mon Radeau de Mahomet : « L’Arabe se méprise, méprise son réel, parce qu’il sait que ce réel est un tissu de contrevérités. Mensonges de la politique, de l’information, des intellectuels, […} Que les slogans meurent pour que vive l’homme arabe ! »
Remontant dans le temps, Marzouki ne craignit pas même durant la décennie 1980 de s’en prendre aux quatre califes « bien dirigés », successeurs de Mahomet, que tout le monde arabe, des maîtres d’école aux prédicateurs de mosquée, est généralement d’accord pour révérer sans nuance, bien que trois de ces « souverains pontifes » aient fini assassinés au sein de confuses intrigues : « Notre passé était une série de complots et de guerres. Ça a commencé par l’assassinat d’Omar, en passant par ceux d’Osman, d’Ali, d’Hussein […]. C’était une période d’esclavagisme et de tyrannie. […]. Nous ignorons presque tout de ceux qui ont été opprimés, crucifiés et tués pour que la face de la vérité ne soit pas dévoilée. »
Cet homme au franc-parler peu commun dans la société arabe actuelle s’attaque même aux tabous les plus solides. Il est d’avis de ne plus dissimuler ce que les Arabes doivent, sur le plan de la civilisation, aux Hindous, aux Perses ou aux Grecs. Il envoie promener la pieuse légende d’un Occident redevable de sa Renaissance aux Arabes : « L’Occident a fait des progrès grâce à son génie propre et cela s’est parfois réalisé par le refus du patrimoine arabo-musulman et son dépassement. » Aucun « sacrilège » ne le faisant reculer, Marzouki va jusqu’à reconnaître que la « situation des [Arabes] n’a pas empiré avec la colonisation. » Au contraire, estime-t-il, car elle a donné un coup de fouet à des peuples avachis qui se sont relevés pour récupérer leur indépendance.
Aujourd’hui, leur énergie, un moment recouvrée, est retombée face au défi du sous-développement, dont les Arabes rendent responsables « la colonisation, l’impérialisme et le destin », alors que les coupables sont d’abord « la pensée, la religion, la politique, l’homme arabe lui-même. » • (Suite et fin)
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