Une fidèle copte en prière à la cathédrale Saint-Marc du Caire durant la messe de Noël. La minorité chrétienne égyptienne est animée par une grande piété.
PAR PÉRONCEL-HUGOZ
Depuis la conquête de l’Égypte par des musulmans d’Arabie, après la mort de Mahomet, et jusqu’à nos jours, des historiens ont calculé que quasi toutes les générations de chrétiens nilotiques ont été traitées comme des inférieurs, les dhimmis de l’Islam.
L’essayiste copto-italien du XXe siècle, Georges Henein, par ailleurs agnostique, voyait dans les coptes, la « conscience de l’Égypte ». L’orientaliste français islamophile Louis Massignon, catholique doloriste, confiait au père Pierre du Bourguet, jésuite coptisant : « Les coptes sont des victimes. C’est par eux que l’Égypte sera sauvée » . . . Mais en attendant, autant qu’on sache, il n’entreprit aucune démarche sérieuse auprès de ses nombreuses relations musulmanes pour que l’Islam adoucisse un peu le sort des dhimmis, ces sujets ou citoyens non mahométans de seconde zone, théoriquement « protégés» par l’État musulman mais, à l’occasion, maltraités voire persécutés, ce qu’ont presque toujours été les coptes, de jure ou de facto, depuis l’islamisation de leur pays ; et jusqu’à nos jours où Daech a intensifié ses sanglantes attaques, en particulier contre femmes et enfants coptes. L’historien francophone égypto-libanais Jacques Tagher, qui vivait pourtant à la fin du meilleur régime jamais connu par les coptes depuis l’Islam, à savoir la dynastie francophile de souche anatolienne de Méhémet-Ali et ses descendants (1805-1953), a écrit un ouvrage en français, Coptes et musulmans, paru au Caire en 1952 (et réédité au XXe siècle en arabe au Canada), qui reste capital pour la connaissance de la dhimmitude en Égypte.
De nos jours, les claires et inédites incitations du maréchal Sissi à un aggiornamento de certains textes de base musulmans — non encore suivies d’effets concrets — ont été accueillies sans excès de bienveillance par nombre de mahométans restés attachés à la lettre du Coran, laquelle rend parfois difficiles les rapports entre « vrais croyants» et « protégés » : «Ne prenez pas pour amis les juifs ou les chrétiens, sinon vous deviendrez comme eux ! » ordonne, par exemple, Allah a ses adeptes dans la sourate de la Table servie (V, 51). Aujourd’hui comme hier, « les coptes représentent la partie la plus vulnérable de la population égyptienne : Ils n’ont pas de défenses, ne sont pas armés et sont ainsi une cible facile » (Jean Maher, président de l’Organisation franco-égyptienne pour les Droits de l’Homme, à Valeurs actuelles du 15 juin 2017). Un cadre copte catholique de la vie associative égyptienne, Fahim Amine, est allé jusqu’à parler d’un « génocide lent », depuis des siècles, pour ses coreligionnaires coptes orthodoxes.
UN ENFANT MÂLE DE MAHOMET
Pourtant les contre-arguments en faveur de ces chrétiens africains, regardés de haut par l’Islam, ne manquent pas de poids : les coptes de son époque fournirent ainsi à Mahomet celle de ses femmes, Marie la Copte, qui donna au fondateur de l’Islam le seul de ses enfants mâles qui vécut un peu (4 ans) : Ibrahim. Un hadith — dit ou acte de Mahomet, rapporté par la Sunna, ensemble de six recueils principaux — constate : « Comme ils sont bons les coptes d’Égypte ! » S’appuyant plutôt sur la conception universelle moderne des droits humains, en 1992, un musulman moderniste mesuré, en vue dans la société égyptienne, Farag Foda, osa dire tout haut, initiative sans précédent sur les bords du Nil, que les coptes étaient « discriminés » sur leur sol ancestral et natal. Peu après, un commando islamiste abattit Foda, qualifié de « renégat », et vite oublié… Pourtant, la victime n’avait fait que décrire la réalité : sait-on, ainsi, que le plus brillant diplomate moderne du monde arabe, l’Égyptien copte, Boutros Boutros-Ghali (1922-2016), futur secrétaire général des Nations-Unies puis de la Francophonie, ne put jamais être ministre à part entière des Affaires étrangères au Caire, et cela en tant que non-musulman… Le rang de « ministre d’État », atteint par Boutros-Ghali, équivaut en Égypte à celui de simple « secrétaire d’État » … En 2017, le journaliste Fahmi Howeidi, dans le quotidien indépendant cairote Al Shourouk (28 mai) a imité Foda, mutatis mutandis, et depuis lors on est inquiet pour lui, car il a parlé de « témoignages sur la souffrance quotidienne de certains coptes au travail, à l’école, dans l’espace public ».
LE PATRONAGE DE BOUTROS-GHALI
C’est le « grand copte » Boutros-Ghali qui a parrainé le gros travail (en trois volumes, dont le deuxième est paru en 2017) où un couple d’égyptologues copto-français, Ashraf et Bernadette Sadek, établi à Limoges et animant la revue française Le Monde copte (fondée en 1976 par Pierre de Bogdanoff), a entrepris d’exposer, sur les plans culturels et historiques, la réalité copte, sans traiter des attentats anti-chrétiens contemporains menés en Égypte et en Libye par Daech ou d’autres organisations islamistes. À l’heure où nous écrivons cet article, la dernière tuerie de masse, visant une trentaine de coptes, surtout des mères avec leurs enfants, remonte au 26 mai ; les victimes refusèrent toutes de sauver leur vie en se convertissant sur le champ à l’islam, tandis que la police armée, présente à proximité, arrivait trop tard, selon une attitude plusieurs fois constatée dans des circonstances similaires…
Ashraf et Bernadette Sadek ont donc réuni, dans l’épais volume constituant le tome II, récemment édité, un grand nombre de textes et d’illustrations, anciennes ou récentes, sous le titre poétique mais peut-être un peu énigmatique, Un fleuve d’eau vive; il y a là, à peu près tout ce qui mérite d’être mis à la disposition du public francophone cultivé, à propos de la Fuite en Égypte de la Sainte Famille, épisode rapporté par les Écritures chrétiennes et qui, on peut l’imaginer, tient une place éminente dans la Chrétienté nilotique, notamment à l’occasion de pèlerinages populaires très fréquentés. Le travail de recherche, présentation et explication accompli par le couple d’égyptologues, est unique au XXIe siècle en français, et nous dévoile tout un pan, très peu connu en Occident, de la vie chrétienne en Égypte.
Les coptes actuels – majoritairement composés de gens modestes, en ville ou dans les campagnes, même si la fratrie des milliardaires coptes Sawiris est célèbre dans les cercles économiques mondialisés —, sont saisis, en cet ouvrage, dans leur quotidienneté religieuse ou profane, donnant par ricochet, encore plus d’épaisseur à un soubassement historique déjà fort consistant. L’ensemble est captivant ! •
Les obsèques, en février 2016, de Boutros Boutros-Ghali, ministre et diplomate emblématique issu de la communauté copte, qui fut secrétaire général de l’ONU, en présence du patriarche copte.
PÉRONCEL-HUGOZ – Correspondant du Monde au Caire à l’époque de Sadate, notre chroniqueur a souvent écrit sur le sort des chrétiens d’Orient, dont les coptes d’Égypte, en ses articles, notamment dans La NRH depuis 2003, ainsi que dans l’un de ses premiers essais : Le Radeau de Mahomet (1983).
Repris de la NRH – Septembre-octobre 2017
Merci à Monsieur Péroncel-Hugoz pour cet éclairage historique et actuel sur les coptes d’Egypte et d’ailleurs.