Carles Puigdemont hier soir devant le Parlement catalan
S’il faut rechercher les sources et les responsabilités les plus déterminantes dans les graves événements d’Espagne, il serait léger de ne voir que les apparences. Peut-être un peu de recul n’est-t-il pas de trop et permettrait de les mieux comprendre.
Ce qui se produit en Catalogne est grave parce qu’une Espagne en ébullition, en convulsion, rejouant les scénarios des années 30 mais dans le contexte postmoderne, n’empoisonnerait pas que sa propre existence. De sérieuses conséquences en résulteraient en France et en Europe. De nombreux et d’importants équilibres nationaux et transnationaux s’en trouveraient rompus. On ne sait jamais jusqu’où, ni jusqu’à quelles situations, sans-doute troublées pour la longtemps.
L’unité de l’Espagne, on le sait, ne date pas d’hier. Elle est constante au fil des cinq derniers siècles, à compter du mariage d’isabelle la Catholique, reine de Castille, et de Ferdinand d’Aragon, les rois sous le règne desquels l’Espagne acheva de se libérer de l’occupation arabe en prenant Grenade, dernier royaume maure de la Péninsule [1492| ; et où Colomb, cherchant à atteindre les Indes par l’Ouest, découvrit l’Amérique. S’ouvrait ainsi, après le règne de Jeanne la folle, unique et malheureuse héritière des Rois Catholiques mariée à un prince flamand, le règne de Charles Quint, lui-même prince Habsbourg de naissance flamande, sur les terres duquel, après la découverte de Colomb, le soleil ne se couchait pas. Le règne suivant, celui de Philippe II, marque l’apogée de la puissance de l’Espagne et de la dynastie Habsbourg qui y règnera jusqu’au tout début du XVIIIe siècle. Ces règnes couvrent deux premiers siècles d’unité espagnole, et, malgré de multiples conflits et convulsions, deux brèves républiques, dont la seconde sera sanglante et conduira à la Guerre Civile puis au long épisode franquiste, l’unité de l’Espagne, sous le règne rarement glorieux des Bourbons, ne fut jamais vraiment brisée les trois siècles suivants, jusqu’à l’actuel roi Philippe VI.
Mais si elle fut sans conteste toujours maintenue au cours de cette longue période de cinq ou six siècles, l’unité de l’Espagne, surtout pour un regard français, ne fut non plus jamais tout à fait acquise, tout à fait accomplie. Et si la monarchie a toujours incarné l’unité, la république, effective ou fantasmée, a toujours signifié la division de l’Espagne. Ainsi aussitôt qu’en avril 1931, la seconde république fut instaurée à Madrid, l’Espagne, de fait, en connut deux, l’une à Madrid et l’autre à Barcelone. Ce que vit l’Espagne d’aujourd’hui, l’Espagne d’hier l’a déjà connu.
L’Histoire – le passé – mais aussi la géographie, liées l’une à l’autre, y ont conservé un poids, une présence, inconnus chez nous. L’Espagne n’a pas vraiment vécu d’épisode jacobin …
Bainville a raison, hier comme aujourd’hui, lorsqu’il observe que la péninsule ibérique se divise d’Est en Ouest en trois bandes verticales, définissant trois « nationalités » qui sont aussi zones linguistiques : la catalane, la castillane et la portugaise. Curieusement, le Portugal accroché au flanc Ouest de l’Espagne n’a jamais pu lui être durablement rattaché. Partout ailleurs, les particularismes sont restés vivants, jusqu’à, parfois, l’agressivité et la haine, comme on l’a vu au Pays Basque et comme on le voit encore en Catalogne.
De ces particularismes, la langue est le premier ciment ; Dans l’enclave basque, en Catalogne, et, même, dans la lointaine Galice, où l’on parle le galicien en qui se reconnaît l’influence du portugais. Ces langues ne sont pas de culture, ne ressortent pas d’un folklore déclinant à peu près partout, comme chez nous. Elles sont d’usage quotidien et universel, dans les conversations entre soi, au travail comme à l’école, à l’université, dans les actes officiels, la presse, les radios et télévisions, etc. Comme Mistral l’avait vu, ces langues fondent des libertés. Le basque et le catalan sont, mais au sens mistralien, des langues « nationales ». Le catalan, toutefois, est aussi langue des Baléares et, à quelques variantes près, de la région valencienne, jusqu’à Alicante …
A cette liberté linguistique se combine un fort sentiment d’appartenance à des communautés vivantes, vécues comme historiques et populaires, chargées de sens, de mœurs et de traditions particulières très ancrées, parfaitement légitimes et toujours maintenues.
C’est donc non sans motifs que la monarchie post franquiste institua en Espagne 17 « communautés autonomes » ou « autonomies » qui vertèbrent le pays. On célébra partout ces libertés reconnues, transcription contemporaine des antiques « fueros » concept à peu près intraduisible en français, qui signifie à la fois des libertés et des droits reconnus, que les rois de jadis juraient de respecter, sous peine d’illégitimité.
Le mouvement donné instituait un équilibre, fragile comme tous les équilibres, et qu’il eût fallu – avec autorité et vigilance – faire scrupuleusement respecter.
C’est bien ce que Madrid n’a pas fait lorsque les équilibres commencèrent à être rompus en Catalogne. A y regarder de près, le système des partis, des alliances électorales et de gouvernement, n’a fait ici comme ailleurs que susciter et attiser les divisions latentes, tandis qu’à Madrid ce même système jouait en faveur du laisser-faire, autrement dit de l’inaction.
Les choses, contrairement au Pays Basque longtemps ravagé par le terrorisme, se sont passées en Catalogne sans violence mais, on le voit bien aujourd’hui, avec efficacité. Après un temps de renaissance catalane, libre, heureuse de vivre ou revivre, et satisfaite des nouvelles institutions, est venue l’heure des surenchères, de la conquête progressive des pouvoirs de fait par les catalanistes les plus sectaires. Un exemple suffit pour en juger et c’est, depuis bien longtemps déjà, l’interdiction de fait, quasi absolue, de l’espagnol à l’école et à l’université de Catalogne, privant d’ailleurs la jeunesse catalane du privilège du bilinguisme qui était jadis le sien dès la petite enfance. Madrid a laissé faire et plusieurs générations, toute une jeunesse, élèves et professeurs, ont été formées dans la haine de l’Espagne. Il eût certainement fallu interdire cette interdiction, rétablir partout l’espagnol dans ses droits de langue nationale ; c’est tout spécialement par la culture : école, université, médias, univers intellectuel, qu’un petit clan d’indépendantistes s’est progressivement emparé de quasiment tous les pouvoirs en Catalogne. Les anti-indépendantistes qualifient à juste titre leurs menées de coup d’Etat. Mais, ce coup ne s’est pas déroulé en un jour, il s’étale sur plusieurs décennies.
En somme, au long des dites dernières décennies, minée par le jeu délétère des partis, paralysée par sa faiblesse, Madrid a tout laissé faire, tout laissé passer, y compris l’inacceptable, y compris l’installation progressive d’une hostilité envers l’Espagne, qui a gagné une petite moitié des Catalans et coupé la société en deux parties adverses. Du beau travail ! Jusqu’à ce qu’à l’heure des échéances, ne reste plus à Madrid comme solution que l’usage de la force et de la violence. La responsabilité du gouvernement espagnol, ses atermoiements, nous semblent indéniables.
Du côté catalan, les partis révolutionnaires, d’implantation ancienne en Catalogne, ont fait leur travail habituel ; il n’est guère utile de s’en scandaliser. Mais sans-doute est-ce l’engagement indépendantiste des partis de centre-droit qui a rendu possible tout ce à quoi nous sommes en train d’assister.
Si les choses devaient tourner mal Outre-Pyrénées, et cela est bien possible, il ne faudrait pas oublier que – par-delà le légitime traditionalisme catalan – les présidents de centre-droit qui ont longtemps dirigé et président encore la région – Messieurs Jordi Pujol, Artur Mas et Carles Puigdemont, leurs partis et leurs soutiens – y auront une large part de responsabilité. Au détriment de la Catalogne et de l’Espagne, mais aussi de la France et de l’Europe. •
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Vieil adage » si vous donnez la main ils prennent le bras »
Madrid qui a été ferme avec les Basques le sera sans nul doute avec les Catalans . . Le roi s’en tient à la Constitution et ne voit pas d’un bon oeil les atermoiements de Carles Puigdemont , quant à l’Europe elle est franchement hostile.
Merci de votre rappel historique
Nos maîtres (Mistral et Maurras) auraient-ils partagé votre hostilité fiévreuse au « Catalansme » comme vous dites ?
… »catalanisme »
Vous avez mal lu cet article, cher compatriote catalan.
Il n’y a là aucune hostilité envers le vrai traditionalisme catalan. Maiis une crtique de la haine de l’Espagne prégnante dans certains milieux.
Le séparatisme n’a jamais été au programme de Mistral ni d’aucun de nos maîtres.
Merci pour cette leçon d’histoire espagnole qui aide à comprendre les événements actuels dans « les Espagnes ». Au fait, j’emploie cette expression qui me semble correcte pour concevoir des autonomies que nous ignorons en France mais j’ignore aussi quelle en est l’origine…
Certes il y a des torts réciproques. .Il n’en demeure pas moins que la raison et l’intérêt bien compris des deux parties exigent le compromis, les concessions mutuelles, et le dialogue constructif. Sortir de l’Espagne, c’est aussi sortir de l’Europe et donner le branle à la balkanisation de notre continent et à moyen- long terme à son déclin sur la scène internationale..Les conséquences sont trop graves pour être minimisées tout en faisant le jeu des extrémistes de gauche prêts à tout pour dynamiter ce rêve millénaire d’une Europe unie.
Avant que de mettre à mal le rêve européen, fût-il millénaire, l’indépendance de la Catalogne viendrait briser cette réalité précieuse qu’est l’Espagne et son unité.
Cher Monsieur , je me permets de re-copier le petit article que je postais à ce sujet, il y a 2 jours , et, qui, je pense vient compléter le brillant article ci dessus, et répond à l’ allusion que vous faites « aux EspagneS » . Ayant eu le privilège d’ assister en » direct » aux débats préparatoires de la constitution de 1978 , je fus attristé , que ne soit pas rétabli le titre aboli en 1868 (par les libéraux centralistes de l’ époque), de « Roi DES Espagnes » … sans doute cela n’ avait-il même pas effleuré l’ esprit des constituants de l’ époque ? …
« Ce que personne ne semble relever, c’ est que jusqu’ en 1868 les souverains espagnols s’ intitulaient , « Rey de las Espanas » , « Hispaniarum Rex » Roi DES Espagnes . Et cela seul explique l’ inanité de ce qui se passe actuellement en Catalogne. L’ Espagne n’ est pas une « puissance » occupante, mais le nom générique de l’ union des différents royaumes et principautés qui s’ unirent par le mariages de Ferdinand et Isabelle à la fin du XVème siècle. L’ Espagne est de fait le « nom » d’ une fédération … Tout le mal trouve son origine avec l’émergence après 1833 , du libéralisme économique, enfant de la révolution française qui ne supporte aucun état autre que centralisé… Ces même « libéraux » qui de nos jours , veulent tuer leurs vieil enfant « nation » devenu gênant , pour continuer le « travail » vers une Europe fédérale , chemin expérimental vers une « nation » mondiale libérale !!! …. Le séparatisme catalan , risquerait fort d’ être les prémices d’ un « printemps européen » : diviser pour régner … Voulu par qui ? … chacun peut se faire sa petite idée ! …. Depuis 1873, les Rois d’ Espagne ne s’ intitulent plus « Roi des Espagnes » , mais bien « Roi d’ Espagne » … Les assassins ont engendrés leurs victimes… Les utopies n’ ont pas fini de faire couler des larmes et du sang . »
Je remarque surtout une façon d’agir des gouvernants qui avant tout ménagent chèvre et choux. Ce n’est pas la « pedagogie » ni le bien du pays qui les motive mais leur propre gloire .
Puidgemont semble dêcouvrir ce qu’entraine une soudaine indépendance , de son côte Theresa May semble en mauvaise posture et l’Angleterre n’est pas prête à régler ses dettes. Ils oscillent » dans deux directions « en même temps » en utilisant le chantage comme s’ils voulaient n’obtenir d’une nouvelle situation que ses avantages.
Leur responsabilitié est immense , la propagande anti espagnole catastrophique.
La Catalogne ne veut pas payer pour l’Espagne. Fort bien , mais alors paiera-t-elle pour l’Europe quand le moment sera venu? Ils veulent tous les avantages et pas les inconvénients .