« Maxime Rousselle un médecin du bled »
Par Péroncel-Hugoz
Notre confrère Péroncel-Hugoz, longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, a publié plusieurs essais sur l’Islam, et il travaille maintenant à Casablanca pour le 360, l’un des principaux titres de la presse francophone en ligne au Royaume chérifien. Il tient aussi son Journal d’un royaliste français au Maroc, dont la Nouvelle Revue Universelle a déjà donné des extraits. Nous en faisons autant, depuis janvier 2016, en publiant chaque semaine, généralement le jeudi, des passages inédits de ce Journal. LFAR •
Samedi 5 février 2011
Je ne sais pas si la protestation contre la vie chère secouant actuellement nombre de villes arabes, hors Maroc, y est pour quelque chose mais je vois au souk que les tomates du jour au lendemain sont redescendues subitement de 10 dirhams le kilo (environ 8 centimes d’euros) à 5 ou 6 dirhams, presque leur prix habituel de 4 dirhams le kilo…
De même, le gouvernement reparle des « villes sans bidonvilles ». Selon le ministre chérifien de l’Habitat, il ne reste plus que 43 villes avec bidonvilles sur les 85 dans ce cas, listées en 2003, soit, alors 5 millions de bidonvillois (sur 30 millions d’habitants) répartis dans 1000 karyane (nom en francarabe marocain, dérivé de Carrières-Centrales, à Casa, où serait apparu, sous le Protectorat, le premier habitat de ce type, baptisé par les Français « Bidonville » , voulu alors comme un nom propre, vite transformé en nom commun devant la prolifération de ces quartiers de planches et de tôles). Sitôt l’indépendance retrouvée, Mohamed V fit venir en consultation l’abbé Pierre, héraut des mal-logés français de l’époque. L’abbé au béret repartit sidéré par l’ampleur de la tâche et sans donner de recette miracle… Sous Hassan II, Maxime Rousselle un médecin du bled, totalement dévoué depuis des décennies à ses patients de l’Atlas – son livre Toubib du bled, préfacé par Michel Jobert, auto-édité en France en 1990 est un chef-d’œuvre de vraie littérature humaniste -, fut en 1959 bombardé directeur de l’Hygiène à Rabat, par Sa Majesté chérifienne. Il s’attaqua aussitôt aux bidonvilles et pondit un rapport révolutionnaire qui resta quasi lettre morte mais me paraît plus que jamais d’actualité et qu’on peut résumer ainsi : il ne faut pas détruire les karyanes mais les aménager en douceur avec l’accord des habitants qui aiment leurs cabanes, y sont souvent nés, y ont leurs habitudes, leurs commodités, leurs métiers et ne veulent pas s’exiler dans des banlieues lointaines dont les loyers, même « modestes» sont encore trop chers pour leurs revenus.
Rousselle, qui resta à son poste jusqu’en 1975, préconisait donc que le Makhzen – l’Etat marocain – viabilise, draine, assainisse peu à peu les parties communes des bidonvilles, laissant les résidents améliorer eux-mêmes leur habitat personnel. Le peu que ce brave médecin des pauvres réussit à appliquer de sa théorie déclencha bien-sûr l’enthousiasme des bidonvillois. Hélas, sous les injonctions comminatoires des organisations internationales, de l’Europe, des associations tiers-mondistes étrangères, c’est tout le contraire qu’on a fait ensuite et qu’on continue à faire : « Eradiquer l’habitat précaire » à grands frais au lieu de l’améliorer, le transformer, l’humaniser à moindres frais …
Pour ma part, à Salé, Rabat, Casa, Mohamédia, depuis 5 ans je ne vois guère reculer les karyanes, et si l’un disparaît, j’en vois un autre renaître plus loin. J’ai vu également d’ex-bidonvillois désespérés, désorientés se lamentant sur les ruines de leurs cabanes défoncées par les machines de l’Etat et aux prises avec une bureaucratie digne de Kafka, Courteline et Ubu, quand il s’agit de demander à être relogé. Souvent les pauvres gens vivent ensuite des mois, des années – c’est le cas en ce moment au bord de la route Mohamédia-Bouznika – sous des tentes fournies par les services officiels… •
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