« Habemus pontificem !»
Par Péroncel-Hugoz
Avec les siècles écoulés, le Comtat Venaissin, ancienne possession de la papauté en France méridionale, nous apparaît un peu comme un galet unique et bien arrondi, alors qu’il fut un assemblage discontinu de sept territoires, plus Avignon, ville contiguë mais à part, provenant, elle, non d’une cession des rois de France, comme le Comtat, mais d’un achat papal à la reine Jeanne Ire de Naples, comtesse de Provence. Le Comitatus Vindascinus comportait lui-même cinq enclaves en son sein dont la Principauté d’Orange, un moment fief batave. Tous ces découpages et curiosités ont disparu au fil des temps sauf sur un point de résistance qui a fini par imposer à Paris, capitale unificatrice, la toujours nommée « Enclave des Papes ». Elle forme un losange de 125 km2, peuplé de 12 000 âmes, bref un canton de Vaucluse, chef-lieu Valréas, complètement enclavé dans la Drôme qui, longtemps, s’en est plainte en vain…
Passée la brutale surprise du rattachement à la France révolutionnaire d’Avignon et du Comtat, Valréas et ses environs obtinrent, à force de réclamations la reconstitution de l’Enclave dès 1800. En faisant émettre un timbre en 1967 (daté 1968), célébrant le 650e anniversaire de cette singularité administrative, l’État français parut l’avoir définitivement reconnue, bien que ce soit à l’usure… En cette année 2017, le « pays de Valréas » fête avec un éclat sans complexe le septième centenaire de son existence. C’est en effet en 1317 que le Saint-Siège acheta Valréas au Dauphiné, alors indépendant, afin d’arrondir son domaine rhodanien où les papes restèrent quasi un siècle ; même si, dès 1377, le Saint-Père retourna à Rome, un autre pontife élu, l’Espagnol Pedro de Luna alias Benoît XIII, aujourd’hui considéré comme « antipape » par un effet révisionniste ecclésial, siégea plusieurs années en Avignon avant d’aller résister jusqu’à l’âge de 95 ans, en 1423, dans la forteresse maritime de Peniscola, près de Valence d’Espagne, une péripétie haute en couleurs oubliée que Jean Raspail ressuscita avec panache dans son Anneau du Pêcheur (1995).
Depuis des siècles, donc, l’Enclave des Papes est restée fidèle à ses origines, menant un mélange de vie religieuse et agricole; ouvrant sa première école communale en 1410; subissant stoïquement les guerres de Religion dont, en 1562, la bataille de Valréas (1700 tués); subissant trois occupations françaises sous Louis XIV et Louis XV, lors des accès de gallicanisme de Versailles; enfin devenant, à force de toujours vouloir dépasser les cités voisines « non enclavées», la capitale française du carton dès la décennie 1750, sans parler de l’élevage du ver à soie et, de nos jours, les plantes à parfum et la bioagriculture. Un fringuant député du cru, futur ministre sarkozyste, Thierry Mariani, fils d’un maçon italien, fut un temps un «Monsieur Enclave» très visible, qui finit par se faire mal voir à Paris pour sa russophilie (il épousa même une compatriote de M. Poutine) ; ce cursus contrasté a un peu rappelé aux Valréasiens, le brillant cardinal Maury (1746-1817), fils d’un cordonnier de l’Enclave, agent à Rome du futur Louis XVIII avant de se rallier à Napoléon pour devenir archevêque de Paris puis d’être relégué par le pape au château Saint-Ange…
Sic transit gloria mundi. Mais l’Enclave, elle, perdure… •
Lire : Guillaume Mollat, Les Papes d’Avignon (1305-1378), Letouzey et Ané, 1965 ; rééd. BiblioBazaar, 2009. Jean Raspail, L’Anneau du pêcheur, Albin Michel, 1995 ; rééd. Livre de poche, 1997
PÉRONCEL-HUGOZ – Correspondant du Monde au Caire à l’époque de Sadate, notre chroniqueur a souvent écrit sur le sort des chrétiens d’Orient, dont les coptes d’Égypte, en ses articles, notamment dans La NRH depuis 2003, ainsi que dans l’un de ses premiers essais : Le Radeau de Mahomet (1983).
Repris de la NRH – Septembre-octobre 2017