Rien de ce qui se passe en Allemagne n’est sans conséquences pour la France et pour l’Europe. Ce fut le cas dans le passé et l’est toujours aujourd’hui.
La stabilité politique allemande a été telle depuis l’après-guerre, que l’on avait sous-estimé les difficultés qui attendaient Angela Merkel après les élections de septembre en République fédérale, qui ont amené au Bundestag une majorité introuvable. Après 12 ans passés à la chancellerie sans que lui manque jamais le soutien de l’opinion, d’avis quasi unanime Angela Merkel était en bonne position pour égaler la longévité politique d’Helmut Kohl, chancelier pendant seize ans. L’on s’est trompé. L’Allemagne a changé.
Les dernières élections ont modifié la donne, renversé l’équilibre usé établi par la chancelière et débouché sur une de ces crises politiques dont nul ne sait si elle sera rapidement surmontée par l’émergence in extremis d’une nouvelle coalition, voire par de nouvelles élections, ou si elle ira en s’amplifiant.
On sait qu’Angela Merkel (CDU) gouvernait ces quatre dernières années en coalition avec les socialistes du SPD. Et que ces derniers sortant affaiblis des dernières élections – échec qu’ils attribuent à leur cohabitation minoritaire avec la CDU – ont signifié à Angela Merkel leur refus de participer à une nouvelle coalition CDU-SPD.
Quant à la CDU elle-même, qui a réalisé comme le SPD, son plus bas score depuis 1949, elle apparaît désormais en déclin, Merkel en tête.
Les 13% de voix et les 94 sièges au Bundestag obtenus par l’AfD sont surtout importants par la crainte qu’ils inspirent d’une poussée ultérieure de ce parti, et d’une tout autre ampleur. A cet égard l’opinion allemande – et européenne – a en tête des références historiques dont la seule évocation, fût-elle fort anachronique, inquiète le monde politique allemand.
C’est donc avec les Verts écologistes immigrationnistes et avec les Libéraux qui pensent avoir tout à gagner à de nouvelles élections, qu’Angela Merkel a recherché une nouvelle coalition. Faut-il s’étonner qu’elle ait échoué ?
Son échec provisoire ou définitif est en effet plus intéressant dans ses causes que dans ses circonstances. Quelles sont-elles ?
Avec les Libéraux, qui pensent pouvoir amplifier leurs résultats en cas de nouvelles élections, ce sont donc, semble-t-il, surtout des considérations électorales qui ont bloqué les négociations pour une nouvelle coalition. Les libéraux n’en sont pas moins très critiques sur la gestion de la zone euro et très hostiles à tout effort de solidarité financière envers les pays du Sud.
Réticents aux engagements financiers de l’Allemagne en Europe, ils représentent un courant largement répandu Outre-Rhin, qui, en gros, ne veut pas payer pour « les pays du Club Med ». La solidarité européenne n’est pas leur fort. Angela Merkel serait-elle plus généreuse ?
Avec les écologistes, le conflit vient des migrants. Les Verts prônent une politique de large regroupement familial et exigent l’accueil de toujours plus de réfugiés, fussent-ils simplement économiques. Or c’est notoirement de sa politique d’accueil des migrants que provient surtout l’affaiblissement de la CDU comme d’Angela Merkel et l’entrée en force d’AfD au Bundestag … Sans compter que la CSU, l’aile bavaroise conservatrice de la CDU, est-elle aussi très opposée à l’arrivée massive de migrants, dont le land de Bavière a d’ailleurs été le premier à faire l’expérience de première ligne. De première victime.
L’engagement européen d’Angela Merkel a-t-il joué en sa défaveur ?
Après le désastre politique, militaire et moral de 1945, le projet européen a longtemps été pour le peuple allemand un moyen privilégié de réinsertion. Dans sa très grande majorité, ce projet il l’a partagé et l’a fait sien, comme une nécessité et, pour lui, comme une évidence. Les Allemands se sont sentis Européens. D’autant plus aisément d’ailleurs qu’au fur et à mesure que leur sentiment de défaite, voire de culpabilité, s’éloignait, s’estompait, la renaissance puis la nette prééminence de l’économie allemande les y plaçaient de plus en plus en position de supériorité dominante. Comme une revanche sur l’Histoire, par une sorte de victoire économique compensatrice … Ceci à deux remarques près. Primo, l’Allemagne a longtemps été plus atlantiste encore qu’européenne. A l’époque où cela se justifiait, pouvait se comprendre et, peut-être encore aujourd’hui, cela reste à voir. Secundo, elle a su saisir sans complexe l’occasion de précipiter sa réunification et de l’accomplir avec toute sa volonté et toute sa puissance. Son nationalisme ne s’était pas évanoui.
Les choses changent et évoluent aujourd’hui. L’Allemagne est réunifiée et riche de ses colossaux excédents. Mais elle est aussi face à la perspective de ses problèmes et de ses contradictions. Notamment son terrible déclin démographique.
Si l’Europe signifie désormais pour l’Allemagne solidarité financière avec les pays les plus pauvres du continent, elle se retrouvera probablement assez unanime pour mesurer ou refuser son concours. Avec ou sans Angela Merkel, le Bundestag et la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe – en charge de la défense des intérêts du peuple allemand – y veilleront scrupuleusement.
Si l’Europe signifie d’autre part l’accueil et la répartition des migrants, l’unanimité sera moins large car le patronat allemand, petit ou grand, est désormais en difficile recherche de bras pour travailler, de préférence à bon marché. Mais comme en témoigne l’avancée de l’AfD, notamment dans les länder de l’Est, le sentiment anti-immigration grandit en Allemagne et avec lui un nouveau patriotisme décomplexé.
Zemmour a raison d’expliquer qu’avec ou sans Merkel la puissance allemande restera inchangée. Dans l’un ou l’autre cas, l’Allemagne ne cédera rien de ses intérêts. Et si la politique européenne d’Emmanuel Macron persiste à se définir comme un fédéralisme, il nous paraît très probable qu’elle butera contre le mur de la ferme volonté de l’Allemagne de conserver pleine et entière sa souveraineté. •
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Merci, Criton, pour cet article plein de bon sens bainvillien, et qui nous épargne ces coups d’oeil inquiets sur la « mauvaise nouvelle » que serait l’irruption d’une droite décomplexée en Allemagne.
L’Allemagne a depuis 1945 à la différence de la France, réussi un consensus politique et social qui lui a permis sa remarquable réussite économique. Sa démographie chancelante, qui est en partie à l’origine des décisions migratoires de Merkel, a commencé à fragiliser ce consensus, favorisant le retour d’une Droite plus conservatrice, même si elle se donne le nom de libérale. L’antisémitisme virulent d’une partie de l’immigration, notamment turque, pourrait à terme, être de nature à peser sur le débat politique allemand, et faire craindre une nouvelle destruction du consensus. Celui-ci, favorable par construction au bipartisme, par la faible différence de fond entre les interlocuteurs se heurte aujourd’hui à un quadripartisme avec la présence hier appréciée en force d’appoint, aujourd’hui crainte en extrémisme, des verts. L’équation politique revient avec des acteurs différents, à son expression latente qui fut celle de l’entre -deux guerres, et la situation géopolitique de l’Allemagne, est inchangée en maitre du centre de l’Europe, position qui autrefois justifia la politique de Pitt au Royaume Uni. Le Brexit pourrait suggérer le retour de cette politique, mais en pratique les conditions ne sont plus les mêmes, le Royaume Uni n’étant plus aussi puissant qu’il l’était à l’époque. La France de par ses déficits, son économie faible, et sa dette, protégés par l’Allemagne dans l’Euro, n’est plus aujourd’hui un acteur majeur dans la géopolitique de l’Europe, sur les questions relevant de la puissance. Le consensus restant en Allemagne se fait autour de l’économie, elle est le moteur principal de sa stabilité politique, c’est cet élément qu’il faut surveiller pour anticiper un éventuel changement de paradigme dans la conduite de la Politique gouvernementale allemande.
L’Allemagne a aussi profite de « ses défaites » privée d’empire colonial, avec une armée réduite à sa plus simple expression, elle a pu s’enrichir pendant que la France dépensait des fortunes en Indochine, Algérie, plus notre puissance nucléaire. Nos avantages sur notre voisine ne servent pas: droit de véto à l’ONU, arme nucléaire, ,
Tout à fait d’accord : le maintien obstiné de la présence française dans les colonies a été une véritable aberration dont nous payons le prix encore aujourd’hui et pour longtemps. Sait-on que jusqu’à l’inauguration de la première ligne de TGV (aux alentours de 1981), on n’avait pas construit une ligne de chemin de fer en France depuis l’avant-première guerre ? Se rappelle-t-on que nous n’avions pas d’autoroutes ? (la liaison intégrale Paris-Lyon a été inaugurée par le président Pompidou en 1971)… Se souvient-on qu’il fallait plusieurs mois pour obtenir une ligne téléphonique jusque vers la fin des 70′ ?
La force de frappe a eu sa majestueuse utilité ; elle n’est plus aujourd’hui qu’un gadget aux mains des militaires… Ce qui nous menace, ce n’est pas la Russie, c’est la Seine Saint-Denis…