Avec Jean d’Ormesson disparaît cette génération de grands aristocrates libéraux qui a accompagné de son élégance et de son esprit, de son détachement et de ses passions, de sa culture et de ses talents, le déclin de la civilisation franco-européenne.
Tout a été ou sera dit sur Jean d’Ormesson et Aristide Leucate en a donné hier matin sur Boulevard Voltaire une évocation juste, ni trop ni pas assez élogieuse, qui mérite d’être lue. Nous la reprenons ici.
Notre contribution sera plus personnalisée et plus exclusive ; elle appartiendra à notre mémoire de royalistes membres de l’Action Française. Lorsque il y a autour de quarante ans les plus anciens de l’équipe qui réalise aujourd’hui Lafautearousseau publiaient le mensuel Je Suis Français, Pierre Builly et François Davin avaient rencontré Jean d’Ormesson ; il avait accepté le principe d’un entretien pour Je Suis Français et le rendez-vous se tint dans le bureau que Jean d’Ormesson occupait alors à l’UNESCO. La réception fut cordiale, l’entretien intéressant et fort long ; notre royalisme n’était ni un mystère ni un obstacle pour l’auteur d’Au plaisir de Dieu. L’entretien parut aussitôt après dans Je Suis Français.
Le temps de le retranscrire, Lafautearousseau le mettra en ligne sous quelques jours. Ce sera un document d’archives digne de l’intérêt de nos lecteurs et notre façon à nous de saluer la mémoire de Jean d’Ormesson. • Lafautearousseau
Je vais jouer encore mon rôle de mauvais esprit, mais je ne me joindrai pas au choeur de louanges pour « l’aristocrate libéral » qui vient de disparaître. Il était issu d’une famille noble de robe fort ancienne, mais qui, depuis 150 ans avait constamment affiché son soutien aux idées de la révolution ; Le modèle Lafayette en somme. Son père Wladimir disait souvent : »J’admets parfaitement que l’on soit marxiste, mais en aucune façon que l’on soit d’extrême droite. » Quant à Jean, il n’a jamais démenti son soutien inconditionnel au système actuel, et d’autant plus qu’il est davantage discuté aujourd’hui. Face à Zemmour qui mettait en lumière la perte de qualité de vie des français, il s’indigna contre ces affirmations et émit au contraire l’idée que jamais la vie n’avait été aussi agréable qu’aujourd’hui. Il tournait également en ridicule les préoccupations alarmistes des français face à l’immigration, comme si l’invasion actuelle avait toujours existé. Enfin, s’il a reçu « Je suis français » en 79, croyez bien qu’il s’y serait refusé en 2010 ou 2015.
Quelle est la motivation de ce type d’homme? Il y a selon moi essentiellement un esprit de caste perverti. L’aristocrate libéral se dit que pour rester flottant sur l’écume des privilégiés, il faut être dans l’esprit du temps. L’aristocrate libéral est donc le contraire d’un homme libre. Tocqueville eut au moins des doutes sur ses convictions et il eut le courage de les exprimer. D’Ormesson ne les eut pas ou n’eut pas l’audace de les manifester ; pourtant qu’y risquait-il, à son âge et dans sa position? quelques blâmes des journalistes, ou pire encore leur silence. Voyez René Rémond: après avoir été le dieu tutélaire gauchisant de Sciences-po, il eut le cran d’écrire que dans la période de décadence actuelle, la liberté s’était réfugiée aux extrêmes. C’était 3 mois avant sa mort. Une prière politique des agonisants, en quelque sorte. D’ormesson, lui, est mort sans avoir renié sa soumission.
Même si je partage en grande partie le point de vue de Antiquus, je ne peux m’empêcher de revenir sur le talent de D’Ormesson, qui ne méritait sans doute pas la consécration de l’édition en Pléiade, mais qui a permis de belles et bonnes heures de lecture. « La gloire de l’Empire » et « Au plaisir de Dieu », en premier lieu, mais aussi un bel essai consacré à Chateaubriand qui s’appelait « Mon dernier rêve sera pour vous ».
Il y avait d’ailleurs sans doute dans les deux hommes ce qu’on appelle « le goût des ruines », du soleil couchant sur les époques, plus amer chez l’un, plus tendre chez l’autre. Et il est certain que ce goût-là n’est pas ce qui permet les renaissances.
Et puis, parce que la chose est évoquée dans cet article en forme de salut, ce que je me rappelle aussi fort bien de l’entretien que D’Ormesson nous avait accordé en 1979 pour JSF, c’est que, pour je ne sais plus quelle raison, nous étions arrivés en retard à l’UNESCO, Il nous avait dit d’emblée qu’il avait un rendez-vous fort important – peut-être galant ? – mais, malgré tout, c’est avec une exquise courtoisie et, mieux, beaucoup de gentillesse, il nous avait répondu. Et, alors qu’il était visiblement pressé et nous demandait de conclure, il acceptait de répondre encore à une, à deux, à trois de nos questions…
Entièrement d’accord. Cet aristocrate était un bourgeois.
Je nuancerais ce jugement sévère de certains commentaires: comme beaucoup d’aristocrates, qu’ils soient allemands , Baltes Russes et même Français, ( il venait d’une famille très ancienne) il croyait que sa classe survivrait par ses qualités intrinsèques à tous les régimes, quel qu’ils soient, et garderait son lustre. Ce n’est pas tout à fait faux ; on l’a observé par exemple en Europe de l’est. , mais il manque la figure réconciliatrice du Roi , qui seule reste opératoire, La refoulait-il ? . Par jalousie?
. A ce propos, j’ai entendu une belle bêtise à Antenne 2 ce mercredi soir de Bernard Pivot affirmant que » c’était un homme de paradoxe et qu’il était fier de son ancêtre régicide , Le trop fameux Le Pelletier de Saint Fargeau ; justement exécuté par le garde Paris en janvier 1793 et envoyé au Panthéon ? .. Non , il n’en était pas fier, vraiment il n’avait pas de quoi être fier, et ce n’est pas Camus qui me contredirait, simplement cela l’amusait de le rappeler, car il était évidement malicieux. Notons et aussi que la famille de sa mère, si je ne me trompe , très catholique et horrifiée par cet acte , ‘avait sorti- exfiltré – cet ancêtre qui avait dérogé de » la glacière nationale » , le Panthéon , pour lui donner enfin le repos d’ une sépulture chrétienne en terre consacrée, à Saint Fargeau.
. Il faut toute la balourdise de Bernard Pivot pour comprendre ses propos au premier degré,
Jean d’Ormesson a -t-il été victime d’une forme de frivolité ? S’y est-il enseveli ? Il a su aussi être courageux pour les Chrétiens d’Orient, pour Marie-Antoinette, longtemps outragée, comme femme par la république . Laissons lui sa part de mystère qu’il revendiquait et paix à son âme . Quant à son œuvre la postérité en décidera. . .
Les deux Pierre expriment chacun des choses justes. Mais je trouve aussi qu’Henri fait bien de nuancer… Qu’ajouter à ceci ? Antiquus ne peut malgré tout nier l’illustration de la langue française que l’on doit à d’Ormesson; je regrette, comme lui, qu’entre sa mère royaliste et son père républicain, il ait constamment suivi les options politiques du second, et il est vrai qu’il était exaspérant de le voir, dans la déliquescence actuelle, accentuer au contraire ce côté d’ « aristocrate libéral », comparable à ces démolisseurs du XVIIIème siècle, qui vécurent une époque de rêve, et nous laissent aujourd’hui là où nous sommes…
Cependant, malgré cette part sombre, et qu’on le veuille ou non, d’Ormesson a apporté sa pierre – et je dirai, quelle pierre ! – aux Lettres françaises : « Mon dernier rêve sera pour vous » est tout simplement superbe (je sais bien, évidemment, que ce jugement est subjectif). Et puis, il nous reste ce très bon souvenir de l’entretien pour JSF…
Je pense qu’on ne peut distinguer l’Homme privé de l’Hommme public et que ccela forme un ensemble indisociable lorqu’il s’agit de faire un bilan
Si on laisse de coté le style charmeur et mondain la culture et l’intelligence du personnage il a des coins sombres du comportement familial et privé qui laissent pantois tant ils sont éloignés de certaines valeurs morales et affectives. qu’il est censé représenter. .
Mais tous les écrivains artistes et philosophes ont des vies tumultueuses et c’est sans doute ce qui aide leur talent.,
Adieu à un homme d’une civilisation disparue
On doit être reconnaissant à Jean d’Ormesson, ce faux dilettante qui parlait de soi avec un certain détachement masquant (si peu) une fausse modestie, d’avoir tout de même écrit de nombreux ouvrages dont la lecture est un ravissement pour l’esprit, tant par la qualité d’écriture que par la virtuosité d’une vaste culture. Je n’en citerai que deux : « La gloire de l’empire », un pavé éblouissant par le style et la virtuosité du pastiche historique soutenu sur longue distance, même si pas toujours facile à lire, et sa biographie de Chateaubriand « Mon dernier rêve sera pour vous », un livre plein de charme nostalgique. Nostalgie d’un monde passé, d’une aristocratie révolue, d’une civilisation qui disparait sous nos yeux dans notre monde qui retourne à la barbarie, nostalgie désespérée que Jean d’O cachait, avec beaucoup d’élégance d’esprit, sous ce détachement dilettante et cette conversation brillante, dernière manifestation d’un monde dont il savait être l’un des derniers représentants.
Moi aussi, j’ai été choqué d’entendre B Pivot dire que J. d’Ormesson était fier de son ancêtre régicide: ce n’est évidemment pas possible que ce gentilhomme de qualité ait été fier de l’Abomination absolue qu’a représenté le double régicide dans notre Histoire de France pourtant fertile en abominations…
En effet je confirme (pour l’avoir entendu) d’Ormesson a dit être fier de son ancêtre républicain en. ajoutant qu’il était lui-même républicain ce qui en fait n’a rien de choquant dans la mesure où beaucoup de nobles le sont et qu’il est avéré qu’une grande partie d’entre-eux ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis.
Il me semble impossible que pour un homme de qualité on soit fier d’un ancêtre régicide, acte qui soulève le coeur. Maintenant Jean d’Ormesson se disait fier de son ancêtre, parce qu’il était républicain. soit Maintenant je me demande s’il ne pratiquait pas un peu vis à vis des républicains, cette exquise politesse d’Ancien Régime, qui est de flatter un peu ses interlocuteurs, tout en les méprisant un peu…. Quand au fond du problème, royauté ou république, il devait s’en « foutre » un peu tant qu’il pouvait se consacrer , à ce qu’il considérait comme les choses sérieuses, à sa véritable maitresse : la littérature. Il y a un coté personnage de Proust chez Jean d’Ormesson, je pense au Duc de Guermantes, qui oublie de s’enquérir du cancer de Swann tellement il est obnubilé par son bal masqué . Chez lui, c’était Chateaubriand sa madeleine. un autre niveau, Il fait aussi penser un peu à un personnage d’Anouilh pour le coté mondain avec cette grâce théâtrale qu’il affectait.
En toute honnêteté je dois reconnaitre que l’hommage rendu par E. Macron à Jean d’Ormesson est de qualité, pour une fois sans fausse notes. Pour deux raisons à mon avis:
La première entre funambules on se comprend, et l’empathie de Macron pour l’Académicien est visible et réussie
Ensuite, cet hommage est resté sur le strict plan littéraire sans la moindre allusion politique, qui aurait tout gâché ( Macron a même pris le risque d’ appeler Paul Morand l’écrivain à la rescousse.) Ce qui prouve que le véritable jardin secret de notre Président est le monde de la littérature et du théâtre, où manifestement il se sent à l’aise.
Évidement le monde de la politique est plus cruel et il y a aussi une autre littérature plus ancré dans le réel; celle de quelques géants…. russes par exemple.
Dans son discours la formule du président disant en substance que
d’Ormesson était un égoïste qui s’intéressait aux autres , me semble bien qu’un peu réductrice assez proche de la réalité.
Plus « profond » dans ses vieux jours que dans sa jeunesse,gâtée ce personnage charmeur êtait avant tout un conteur de salon. Il est reconnu que tous ses livres n’ont pas la même valeur littéraire mais certains resisteront peut-être au temps gràce à la pléïade et il ne s’y était pas trompé.
Macron et d’Ormesson s’étaient rencontrés et au cours de la conversation filmée ce dernier avait comparé le futur président à la chauve-souris des fables de Lafontaine .. L’avenir lui a donné raison.