par Louis-Joseph Delanglade
Certains énarques parisiens devaient penser benoîtement qu’une nouvelle réforme purement administrative permettrait d’entrevoir un début de solution en Corse.
Deux tours de scrutin plus tard, on voit qu’il n’en est rien puisque la nouvelle collectivité territoriale unique est largement dominée par la coalition des indépendantistes et des autonomistes qui a obtenu la majorité absolue des sièges : à ceux-là la présidence de l’Assemblée de Corse (M. Talamoni), à ceux-ci celle du conseil exécutif de Corse (M. Simeoni). Les premières déclarations ont le mérite de la clarté, chacun des deux coalisés réaffirmant son credo : l’indépendantiste assumé parle de la France comme d’un « pays ami » et l’autonomiste raisonnable revendique « le double drapeau, corse et français ».
Le pouvoir parisien paraît pourtant peu audible. Le déplacement à Ajaccio, vendredi dernier, de Mme Gourault (ministre déjà surnommée, sans doute par antiphrase, « Madame Corse ») aura été purement « technique », destiné qu’il était à préparer la réception des deux dirigeants nationalistes à Matignon (prévue pour le 22 janvier) ; or, le Premier ministre s’est d’ores-et-déjà dit opposé à des revendications qui ne seraient pas conformes « au cadre constitutionnel ». Quant au chef de l’Etat, il viendra bien dans l’île, mais ce sera le 6 février pour y commémorer le vingtième anniversaire de l’assassinat du préfet Erignac… Malgré leur impatience, purement verbale, MM. Simeoni et Talamoni devraient donc, sans doute, attendre encore pour obtenir un « geste fort du gouvernement ».
Dans ce contexte, grand moment politique, mardi 2 au 7/9 de M. Demorand (sur France Inter) grâce à M. Simeoni. Discours clair, apaisé, argumenté et sans place aucune pour la fanfaronnade ou la langue de bois. Se montrant tout à la fois conciliant et réaliste sur l’essentiel (« Notre identité inclut de façon naturelle la langue et la culture françaises »), M. Simeoni a voulu surtout justifier le bien-fondé des trois attentes de la Corse : la co-officialité de la langue corse, le statut de résident corse et l’amnistie pour « les prisonniers politiques ». Personne ne peut trouver quoi que ce soit à lui objecter sur l’utilisation de la langue corse, « de façon naturelle y compris dans les échanges publics ». Il trouve pour la défendre des accents de Frédéric Mistral et de Charles Maurras. « La langue corse est l’âme de ce peuple » (Mistral voyait dans la langue d’un peuple « la clé qui de ses chaînes le délivre ») et sa co-officialité est « le seul moyen d’empêcher le corse de disparaître » (voilà qui rappelle furieusement le « politique d’abord » de Maurras). Les deux autres points font davantage appel au bon sens : on comprend sans peine que le statut de « résident corse » permettrait, face à un foncier de plus en plus rare et de plus en plus cher à cause de la spéculation, de mettre un frein à la dépossession de fait pour les natifs. On comprend aussi, même si certains renâcleront, que pour « tourner la page d’une situation conflictuelle », le pouvoir dispose de l’amnistie – moyen souvent utilisé dans le passé, y compris en France. Et si cette amnistie n’est pas totale, qu’on applique « le droit positif », c’est-à-dire, par exemple, le rapprochement des prisonniers.
M. Simeoni, c’est à noter, parle toujours pour désigner l’interlocuteur, de « l’Etat» ou de la « République ». En réponse à M. Philippe, il lui rappelle une vérité d’évidence : « On ne peut pas traiter la Corse uniquement par la réaffirmation de principe de dogmes républicains […] Si une constitution ne permet pas de reconnaître un peuple, c’est à la Constitution de changer, pas au peuple de disparaître ». Qui dit mieux ? Mais ces paroles peuvent-elles être entendues par un Etat central englué dans son idéologie jacobine. On peut malheureusement craindre que l’Etat français, sous sa forme républicaine, ne soit tout simplement incapable d’admettre qu’existe sur le territoire national métropolitain une vie locale sui generis. Et n’aille jusqu’à l’absurde et à la catastrophe (rappelons-nous l’affaire algérienne où, après avoir traité par le mépris les élites musulmanes francisées, Paris a perdu en rase campagne la bataille politique contre les jusqu’au-boutistes de l’indépendance).
On peut aussi (on le doit) espérer que la Corse sera la dernière et irréductible des provinces de France à résister au rouleau compresseur parisien, c’est-à-dire à bénéficier d’un statut largement justifié par sa nature et sa situation. Et qu’il en résultera peut-être une impulsion régénératrice pour le reste du pays. •
Excellentes observations. LJD rompt heureusement avec ce « jacobinisme blanc » qui, repoussant les mesures salvatrices des identités régionales après la restauration de la monarchie, forçait les traditionalistes français à se résigner à l’indifférenciation sans retour dans l’Hexagone. Même si parmi les nationalistes corses, on trouve beaucoup d’idées détestables, cela ne nous dispense pas d’analyses nuancées.
Tout à fait d’accord avec l’analyse de Louis-Joseph Delanglade ; mieux vaut dialoguer et accompagner que s’obstiner puis céder . Du reste , il faut compter sur la lucidité des corses pour concevoir que l’Isle ne serait pas viable sans aucune attache avec le continent sauf à se transformer en paradis bancaire ou maxi-Monaco ou Costa Brava de luxe et totalement se dénaturer.
Excellente analyse, tout à fait dans la ligne de ce qu’ont écrit depuis longtemps les royalistes provençaux dans « L’Ordre Provençal « ou « Je suis Français ». La Corse a toujours été l’épine dans le soulier de la République.
Il n’est pas sûr que la République soit structurellement capable d’une autre politique que jacobine. Par là, c’est elle qui nourrit l’indépendantisme. Ce sera elle qui pourrait bien finir par donner la victoire à Talamoni sur Simeoni. Triste paradoxe. C’est l’histoire du pavé de l’ours, qui n’est pas très malin.
Etrange raisonnement qui consiste à dire: « si la république n’est pas capable d’être autre chose que jacobine, il faut la laisser l’être ». Je dirais plutôt « cassons la république ».
La Corse a-t-elle quoi que ce soit de français ? Cela fait trente deux ans que je me pose des questions là-dessus, après y avoir vécu – en y étant très malheureux – pendant deux ans. Quelquefois je me dis qu’il n’est pas concevable que cette île si proche qui a donné tant de gens formidables à la France soit étrangère ; mais le plus souvent je considère la Corse comme je considère – aujourd’hui – l’Algérie dite « française » : il y a en Corse comme il y avait en Algérie des gens qui aimaient passionnément la France : mais c’est presque tout : des bâchages qui portaient fièrement des nappes de décorations gagnées lors des deux guerres ; des patriotes de plus en plus vieux venant aux monuments aux morts dire leur fierté d’être des nôtres… Mais être « nous » ? C’est autre chose…
Il est indubitable qu’il y’a un « peuple corse » ; un peuple différent du peuple français, lui-même f abonné à partir des différents peuples – bretons, basques, arvernes,allobroges, burgondes – qui se sont réunis sur notre belle terre de France et dont les singularités ont été heureusement fusionnées par l’action centralisatrice et étatiste de nos Rois, puis de nos Républiques : ce creuset admirable a permis l’émergence d’une Nation « la plus belle qu’on ait vue sous le ciel » qui a synthétisé les qualités et les défauts de toutes ces peuplades qui sans l’État, ne seraient que des tribus.
Que des associations folkloriques puissent trouver plaisir à pratiquer leurs patois, idiomes et dialectes n’est pas antipathique, pas davantage que la pelote basque, la boule lyonnaise, ou le javelot picard. Mais qu’on puisse vouloir mettre en face de l’-universelle et merveilleuse langue française ces momeries d’un autre temps me navre, me désole et m’accable…
« l’universelle et merveilleuse langue française », dis-tu? Mais le problème est qu’à force de devenir universelle, (au sens d’aujourd’hui), la langue française devient de moins en moins merveilleuse, de plus en plus vague, abâtardie, relâchée. Nous n’avons nullement besoin de cet universel-là. Au contraire, nous avons besoin d’idiomes qui nous rappellent à nous-mêmes.
Excellente idée, Antiquus ! De cette façon, le Nisard ne pourra plus comprendre l’Arlésien ni le Gavot, le Bigouden n’entravera rien au parler du Trégorrois.
Nous serons revenus au Moyen-Âge, repartirons pour la croisade et mangerons des racines bio.
Plutôt que de nous battre pour la langue française…
D’accord Antiquus.