Par Bernard Lugan
Dans les pays du nord où priment l’économique et l’idéologie, l’analyse de la situation africaine est désespérément simple, pour ne pas dire simpliste : si le continent est sinistré, c’est par manque de développement. Voilà pourquoi, durant plus d’un demi-siècle, des sommes considérables y furent déversées. En vain.
L’échec des politiques de développement étant évident, le marasme africain fut ensuite attribué à l’absence de démocratie. Le continent se vit alors imposer la suppression du parti unique qui maintenait un semblant de cohésion des mosaïques ethniques locales. La conséquence d’une telle politique hors sol se lit aujourd’hui à travers l’émiettement politico-ethnique, l’ethno-mathématique et l’anarchie.
Toujours imbus de leurs principes démocratiques et porteurs de l’arrogant néo-colonialisme des « droits de l’homme » archétypiquement incarné par la CPI, les idéologues des pays du nord, ne voient pas qu’une révolution a commencé au sud du Sahara. Et qu’elle se fait précisément au nom de la contestation de leurs dogmes. Nous sommes en effet en présence de la première véritable tentative de décolonisation en profondeur du continent à travers le rejet global de l’universalisme des Lumières et du contrat social. Contrairement à ce que veulent nous faire croire la plupart des intellectuels africains installés en Europe ou aux Amériques et qui sont tout à la fois des déserteurs du développement et de modernes « Oncles Tom » n’ayant que les mots de démocratie et de développement à la bouche, leur continent d’origine n’accepte en effet plus la doxa occidentale.
Mais une fois la greffe politico-morale européo-américaine rejetée, les Afriques n’entreront pas pour autant dans le cycle des félicités. Les futures élites africaines devront en effet trouver des solutions urgentes au suicide démographique continental tout en définissant de nouveaux rapports politiques entre les diverses composantes ethniques de leurs pays respectifs.
A cet égard, la situation du Sahel résume les problèmes du continent. Ici, à partir de la révolution néolithique, les sédentaires sudistes ont vécu dans la terreur des raids lancés contre leurs villages par les nomades nordistes, qu’il s’agisse, d’ouest en est, des Maures, des Touareg, des Toubou ou encore des Zaghawa. La colonisation libéra les premiers, puis elle inversa le rapport des forces en leur faveur.
Avec les indépendances, l’espace sahélo saharien fut ensuite cloisonné par des frontières artificielles. Pris au piège de l’Etat-nation, sudistes et nordistes furent alors forcés de vivre ensemble. Le traumatisme fut d’autant plus fort qu’après la fin du parti unique, la démocratie électorale ethno-mathématique donna le pouvoir aux plus nombreux, c’est-à-dire aux sudistes qui n’ont pas boudé leur revanche historique. Voilà qui explique d’abord les évènements actuels de cette région, et non le manque de développement ou le « déficit démocratique ». •
Le rejet du modèle occidental, autrefois tant imité et souvent désiré de part le monde, pour sa capacité de création de richesses, est devenu politique et civilisationnel, précisément en raison de son incapacité, à en faire bénéficier les pays pudiquement nommés en développement. Ce rejet est également né d’une invention de l’Occident, largement diffusée dans le monde pour des raisons de profits : L’information et les outils de communication pour s’en servir. Les peuples qui n’avaient jamais eu droit à la parole se sont mis à communiquer, de surcroit en dehors des canaux officiels, surtout dans les pays peu structurés, Ainsi est née une conscience du sous-développement, renforcé par la contemplation de l’eldorado publicitaire promu par le monde développé, qui s’est révélée idéale pour l’exploitation par les pays en expansion, et dirigés de manière centralisée, comme la Chine, qui évitent le débat interne sur les objectifs et les moyens, pour remplacer un Occident, désormais vu comme un prédateur affaibli. La nature a horreur du vide, et la politique horreur de ceux qui l’ont créé par veulerie et cupidité. Il n’y a rien d’étonnant à ce que des pays se tournent vers de nouveaux fournisseurs, organisateurs, et financiers quand les anciens se sont tant comportés comme des seigneurs pillards. même s’il est tout à fait probable que les nouveaux n’apportent guère finalement autre chose que les précédents. Les peuples le savent probablement, et leurs dirigeant encore mieux, mais tous se disent que ce n’est pas une raison pour ne rien faire., et que le changement de méthodes de prédation créera bien des opportunités d’évolutions supérieures à l’immobilisme paternaliste en place depuis trop longtemps, et que n’importe quoi, est devenu mieux que de rester en l’état, question de survie.