Par François Marcilhac
Le président de la République a donc fini par adresser ses vœux aux Français le soir du 31 décembre. Il avait laissé planer le doute sur ses intentions, mais il s’est tout de même plié à cette tradition républicaine, de son bureau de l’Élysée. Des vœux, toutefois, dont la longueur inhabituelle a pu indisposer les Français, qui, s’interrompant dans les derniers préparatifs du réveillon pour l’écouter, ont pu ressentir comme une impolitesse cette volonté indiscrète de s’imposer. Une innovation, tout de même – il en fallait bien une : des vœux de deux minutes adressés aux jeunes sur les réseaux sociaux – Macron les pense-t-il incapables de suivre ses verbeux développements ? Des premiers vœux en tout cas moins suivis que ceux de Sarkozy en 2007 ou de Hollande en 2012 : signe que sa récente embellie sondagière ne traduit aucune attente réelle, seulement un attentisme, devant l’effet des projets dont les Français n’ont pas encore pu mesurer l’impact sur leur pouvoir d’achat. Le Conseil constitutionnel a ainsi validé la baisse progressive de la taxe d’habitation pour 80 % d’entre eux, dans l’attente de sa disparition – pour tous ? –, bien que cette mesure, qui va à l’encontre du principe constitutionnel de l’égalité desFrançais devant l’impôt, soit un piège pour les communes… Mais manifestement les “sages” de la rue de Montpensier continuent de voter Macron en favorisant ses entreprises.
Tel Protée dans la mythologie
Mais, à travers ces vœux dépourvus de toute annonce, il a surtout cherché à modifier son image de président arrogant, déconnecté des Français. Aussi ne pouvions-nous nous empêcher de songer à ce que Pierre-André Taguieff disait de lui dans un entretien au Figaro le 17 septembre dernier : « Macron s’adapte à chaque public en lui offrant ce qu’il attend, dans un contexte donné. C’est pourquoi il enfonce si souvent des portes ouvertes, et donne, “sans rien céder” (l’une de ses formules figées), dans les clichés ou les lieux communs.
» Le public, ce soir-là, c’était « celles et ceux
» qui le regardaient, appartenant, « chacune et chacun
», à toutes les couches de la société française : tel Protée qui, dans la mythologie grecque, avait le don de se métamorphoser sur l’instant, ou, comme le soulignait encore Taguieff de manière moins poétique, tel un caméléon, épousant « les valeurs de ses interlocuteurs
», il est apparu, exercice oblige, en même temps comme un superpatriote, croyant de manière presque hystérique dans le destin de la « nation française
», dont il nous a resservi l’ « esprit de conquête
», comme à Versailles en juillet dernier, un président à la fibre sociale particulièrement développée et un humaniste, pour lequel il n’y avait plus ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien, mais qui, subitement, se pose la question du sens même de la réussite. Le tout pour introduire des banalités sur la valeur-travail, la formation-tout-au-long-de-la-vie, la cohésion de la nation et l’école, qui doit en être le « creuset
» – mot ordinairement employé en français pour traduire l’américain melting-pot –, et, bien sûr, les sans-abris – quel président de la République ne pense pas à eux un 31 décembre au soir depuis plus de vingt ans ? Sans oublier « la fraternité
», sur laquelle il veut « miser
» – comme au casino ? –, puisque, réécrivant l’histoire – son élection n’a correspondu à aucun enthousiasme populaire –, il continuera de « faire ce pour quoi vous m’avez élu
», le tout, évidemment… « sans rien céder
», « malgré les voix discordantes
». Et de conclure, comme le jeune président Kennedy l’avait fait lors de son discours d’investiture : « demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour votre pays
»… On est tenté de lui retourner la question…
Mais, derrière cette entreprise de communication, il y a surtout le fond d’un discours qui ne fait que reprendre les thèmes habituels. Et le premier d’entre eux : l’Europe. Macron est allé jusqu’à s’adresser, par-delà les Français, à ses « chers concitoyens européens
» (sic) : « 2018 est une année toute particulière et j’aurai besoin cette année de vous
», a-t-il déclaré, avant d’expliquer que des « consultations citoyennes
» (resic) seraient organisées en Europe « pour que les projets politiques s’adaptent aux aspirations des citoyens
» et, surtout, d’insister d’une manière particulièrement pesante, au risque de froisser les autres États membres de l’Union européenne, sur un couple franco-allemand auquel il semble réduire la dynamique européenne, si tant est qu’une telle dynamique existe encore… On comprend pourquoi, le président voulant retrouver « l’ambition européenne
» et « dessiner un grand projet
» pour l’Europe, il désigne de nouveau, comme chaque fois qu’il prend la parole, ceux à qui il ne veut « rien céder
» : « J’ai besoin qu’ensemble, nous ne cédions rien, ni aux nationalistes, ni aux sceptiques.
» Ce qui relativise le ton outrancièrement patriotique de son propos général, et correspond mieux à la nouvelle charte de la République en Marche adoptée à l’automne, où les mots « nation
» et « France
» ne figurent pas, au bénéfice d’une « Europe
» à laquelle se réduit le projet de nos marcheurs…
Les mots ont-il encore un sens ?
De même, reprenant le mot d’un autre mort – Rocard –, s’il prévient que « nous ne pouvons pas accueillir tout le monde
», c’est pour, en même temps, donner une étrange définition du droit d’asile : la France serait la « patrie
» des réfugiés, alors qu’elle ne devrait être que leur… refuge, par définition temporaire, si les mots ont encore un sens, d’autant qu’il veut promouvoir une « grammaire de la paix
». « C’est un devoir moral, politique
» et, bien sûr… « je ne céderai rien
». On sait que Collomb, le ministre de l’Intérieur, a, lui, commencé de céder devant les exigences des associations immigrationnistes en matière de contrôle des clandestins…
Ces vœux ont été une illustration particulièrement frappante du « en même temps
» macronien, lequel ressemble de plus en plus à un numéro d’équilibriste. Car Macron est en même temps patriote et européiste, en même temps immigrationniste et favorable à une politique d’asile apparemment restrictive, en même temps adepte d’un discours social et, dans les faits, défavorable aux classes populaires et aux classes moyennes, qui s’en apercevront dès l’année prochaine, en même temps désireux de libérer les énergies et inventeur d’un prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu qui, à la fois, sera une usine à gaz pour les TPE et PME et attentera à la vie privée des salariés – ce qui ne sera pas sans peser sur les relations à l’intérieur des entreprises, sans que les patrons, qui ne veulent pas de cette réforme, y soient pour quelque chose…
Une société douce et honnête
Les Français seront, n’en doutons pas, moins nombreux d’ici quelques mois, voire quelques semaines, à accorder leur soutien à l’exécutif et à la majorité. Que de temps perdu, d’occasions manquées et de reculs mettant à mal notre place dans le monde ! C’est pourquoi, à l’aube d’une nouvelle année qui sera riche, n’en doutons pas, en déceptions pour ceux de nos compatriotes qui croient encore dans la capacité du régime à préserver l’essentiel et à se réformer, il nous faut redoubler d’énergie. Nous la trouvons dans la présence même de la famille de France, toujours fidèle à elle-même, au long de cette histoire qui la lie indéfectiblement aux Français dans ce que Louis XIV appelait une « société douce et honnête
». Alors que la famille de France, qui incarne notre espérance, traverse un deuil cruel avec le décès du prince François, l’Action française adresse à Mgr le comte de Paris, duc de France, et au dauphin Jean, ses vœux les plus sincères, qui se confondent avec ceux qu’elle forme pour la France. •
L’Action Française 2000 du 4 janvier 2018