par Louis-Joseph Delanglade
M. Macron avait sans doute raison de chercher à profiter du sommet de Davos pour réunir, en guise d’introduction, quelque cent-quarante patrons de grands groupes internationaux à Versailles, lieu hautement symbolique de la grandeur française. Il a cependant commis une faute grave en privilégiant la langue anglaise (« Choose France») portant ainsi un coup très dur à une langue, le français, pour laquelle on avait cru comprendre précédemment qu’il ambitionnait un bel avenir. Parler anglais à Versailles pour mieux intégrer le club forcément anglo-saxon de la mondialisation, constitue un acte d’allégeance linguistique, reniement qui pourra coûter cher sur le plan politique – beaucoup plus que les résultats purement comptables d’un show qui restent très limités.
On pouvait donc attendre le pire à Davos, devant un public par avance sous son charme. Surprise : après une vingtaine de minutes en anglais et un « France is back » hollywoodien, M. Macron s’est exprimé une demi-heure en français pour sa leçon du jour. Notre président, ce « libéral, partisan de l’économie de marché, de la désinflation réglementaire et de la limitation de la pression fiscale » (M. Guetta, France Inter, 25 janvier), explique donc aux maîtres du monde que le processus actuel dit de « mondialisation » va à l’échec, parce qu’il génère chaos, misère et révolte, et qu’il faut donc en modifier la nature, c’est-à-dire cesser de pratiquer un dumping social et fiscal. Et M. Macron d’affirmer, avec des accents dignes d’un Victor Hugo, que « le défi est maintenant de savoir si l’on sait refonder un vrai contrat mondial […] autour du devoir d’investir, du devoir de partager et du devoir de protéger ».
Si on est un croyant, on peut se lever, applaudir, tomber dans les bras les uns des autres en pleurant à l’évocation de l’avenir radieux qui attend(rait) l’humanité libérale. Mais, et M. Macron est trop intelligent pour l’ignorer, sa mise en garde, étant donné la nature des choses, constitue plutôt une analyse des raisons de l’échec humain programmé de la globalisation. Ceux à qui profite la situation n’ont aucune raison de changer. Mme Merkel a redit à Davos son attachement au libre-échange. On la comprend, la balance commerciale allemande étant excédentaire d’environ deux cent cinquante milliards d’euros. Ceux à qui la situation est préjudiciable prennent les mesures qu‘ils peuvent. Les Etats-Unis, champions du monde du déficit avec cinq cents milliards de dollars, ont à leur disposition la planche à billets et les mesures protectionnistes de M. Trump (« Je ferai toujours passer l’Amérique en premier » a-t-il d’ailleurs indirectement répondu à M. Macron).
M. Macron ne peut pas raisonnablement penser que son appel sera entendu. Ce sont en effet les déséquilibres qu’il dénonce qui permettent aux gagnants de s’enrichir au détriment des perdants. Il est donc naïf de croire qu’oligarchies et Etats bénéficiaires renonceront à ce qui est devenu leur raison même d’exister. N’en déplaise donc à M. Macron, en tout cas à rebours de son idéologie, nous pensons que son discours est porteur d’une leçon réaliste : le paradis sur terre libéral n’existe(ra) pas et il convient d’en tirer les conclusions qui s’imposent. •