Paul-François Paoli a donné au Figaro, le 1er février. la tribune qui suit, parfaitement pertinente et éclairante. Que Tariq Ramadan soit placé en garde à vue puis en détention à la suite d’une plainte pour viol relève, expose-t-il, de la chronique judiciaire. Le véritable scandale est qu’un islamiste aussi radical ait pu tenir si longtemps le haut du pavé dans le débat sur l’islam. Il a raison. En un sens très clair, c’est le procès de la République qu’il ouvre ici. Son analyse est à lire ! LFAR
Pourquoi et comment Tariq Ramadan a-t-il pu devenir une sorte d’autorité dans notre pays, sinon que moult Français nullement extrémistes l’y ont aidé ? Voilà la question que nous devrions nous poser, plutôt que de nous passionner pour des affaires de mœurs qui en disent toutefois long sur le personnage, si les faits qu’évoquent les plaignants sont avérés. Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, qu’un prédicateur exhorte les femmes à mener une vie édifiante dont il s’exempte lui-même. « Le pervers est pédagogue » disait Jacques Lacan. Ce mot d’esprit va comme un gant au sieur Ramadan, homme très sourcilleux quant à la vêture des femmes musulmanes à la piscine ou dans la rue.
Mais au-delà de cette scabreuse histoire, la véritable affaire est ailleurs. Ramadan, que Pasqua avait voulu faire expulser en 1994, n’a pas pu devenir le phare de tant de dévots et le compagnon de route respecté d’une certaine galaxie islamosphérique si son discours n’avait été en phase avec le multiculturalisme ambiant et implicite de certaines élites françaises. Quand Franz-Olivier Giesbert dans un édito incendiaire contre Plenel (Le Point du 16 novembre) qualifie Ramadan d’intégriste, il a tort. Ramadan n’est pas un intégriste mais un multiculturaliste à l’anglo-saxonne, autrement dit quelqu’un qui a les mêmes idées que Justin Trudeau qu’affectionnent tant nos libéraux. Mathieu Bock-Coté a parfaitement défini le multiculturalisme : c’est un système où tous les référents religieux et culturels s’équivalent dans un espace prétendument commun. L’intégriste est totalitaire, il veut convertir son entourage non musulman à l’islam. Le multiculturaliste est libéral qui demande aux musulmans de vivre comme dans un pays musulman en respectant des procédures communes.
Quand Jacques Attali affirme que la France est d’ores et déjà un pays musulman puisque des millions de musulmans y vivent, que dit-il d’autre ? Pourquoi fermer les yeux ? Le libéralisme qui promeut le marché et le Droit comme référents ultimes de nos « sociétés d’individus » est le cheval de Troie du multiculturalisme, ni plus ni moins. Le débat tabou sur le multiculturalisme n’a pas eu lieu en France, parce que nous sommes attachés à la doxa républicaine. Mais cette doxa, on le sait, vaut surtout pour les catholiques. C’est à eux que Mélenchon, Plenel et d’autres rappellent qu’il ne faut pas manifester leur foi dans l’espace public quand ils décorent une crèche dans une mairie, tout en se gardant de stigmatiser les prières de rues islamiques. Les laïcards en France gonflent leurs muscles pour combattre une catholicité qu’ils aiment détester, mais ils sont pétris d’inhibition devant les barbus des cités.
La République est comme la ligne Maginot : elle n’arrête que ceux qui ne sont pas décidés à la contourner. Dans La Revue deux Mondes de décembre 2015, au cours d’un dialogue musclé avec Jean Paul Brighelli, Tariq Ramadan affirmait que si la police n’interpellait pas les femmes en burqa c’est qu’il faudrait aussi le faire sur les Champs Élysées et que les femmes des pays du golfe rapportaient des devises. Et il est aujourd’hui défendu par un avocat payé par le Qatar. Dans un article du Nouvel Observateur consacré à « l’inquiétant exode des Juifs de Seine-Saint-Denis » (16 novembre), une habitante de Saint-Denis qui a quitté son quartier évoque la situation de ces Juifs qui doivent cacher leurs kippas dans des rues où circulent des femmes en burqa. « À Saint-Denis, la kippa n’est pas acceptée, un Juif qui la porte risque d’être lynché. Mais la burqa y est autorisée à cent pour cent. Des femmes fantômes tout en noir, avec même des mains gantées. Tout le monde trouve ça normal…» dit-elle.
En niant cet état de fait, Edgar Morin fait figure d’idiot utile idéal. Mais est-il le seul à le nier ? N’est-ce pas le cas de la gauche mélenchoniste et des macronistes ? Sans cette affaire de mœurs, allez savoir si Ramadan n’aurait pas obtenu la nationalité française qu’il réclame, lui qui se prétend si républicain. Gageons qu’il la demandera après son procès rien que pour mesurer l’étendue de notre lâcheté. Dans leur dernier livre intitulé L’urgence et l’essentiel, vers un nouvel humanisme (Don Quichotte éditions), une modestie qui les honore, Morin et Ramadan souscrivent aux idéaux de fraternité. Un livre qu’il faut parcourir pour mesurer la vacuité d’une réflexion aussi floue que pétrie de bonnes intentions, et qui ne devient consistante que lorsqu’il s’agit d’accabler Israël. La vraie leçon de l’affaire Ramadan est la suivante : les élites de gauche mais aussi libérales sont responsables d’une situation qui a permis à un Tariq Ramadan d’exister. Elles ont délégitimé l’idée même d’une culture française à laquelle les musulmans nés en France devaient s’identifier pour devenir Français, notamment à travers l’école.
Ce ne sont pas les musulmans qu’il faut accabler et qui sont sûrement las d’être l’enjeu d’une permanente controverse. Pourquoi leur faire grief de ne pas s’acculturer à un pays qui ne sait plus se décliner autrement que sur le mode des « valeurs républicaines », notion floue dont n’usaient ni De Gaulle, ni Pompidou, ni Giscard ? Macron n’a-t-il pas contesté la notion même de « culture française » ? C’est nous qui avons permis à Ramadan, vrai idéologue et faux penseur, de monter en puissance. Nous sommes le pays des lignes Maginot imaginaires que franchissent en ricanant ceux qui les défient. Plutôt que de stigmatiser une gauche radicale dont il n’est plus à démontrer qu’elle est collaborationniste dans l’âme – souvenons-nous des trotskistes qui levaient leurs crosses en l’air en 1940 pour ne pas tirer sur les prolétaires allemands incorporés dans la Wehrmacht, ou des porteurs de valises du FLN – les Français devraient s’interroger sur la responsabilité de ceux qu’ils élisent depuis des années. N’est-ce pas Chirac qui affirmait que les racines de l’Europe étaient musulmanes ? N’est-ce pas Macron qui soutient que l’islam est un monothéisme tout ce qu’il y a de plus pacifique ? N’est-ce pas Hollande qui postule que la France est une idée – ce qui suppose que les Français qui ne partagent pas son idée sont des étrangers en France ? « Heureux comme un Juif en France », vraiment ? Le dicton a bien vieilli. « Heureux comme un islamiste en France » serait plus idoine aujourd’hui. •
Paul-François Paoli est essayiste et chroniqueur littéraire au Figaro. Il est l’auteur de Quand la gauche agonise (éd. du Rocher, 2016).
Les responsabilités sont bien délimitées. Agir ou ne pas agir.
« nous sommes attachés à la doxa républicaine »? Ben non, pas nous. « La France n’est pas la république »? On espère bien que non. L’article en question mériterait d’être réécrit pour s’adresser à des royalistes.
» heureux comme un juif en France »
L’expression » heureux comme Dieu en France » semble plus usitée .