PAR JACQUES TRÉMOLET DE VILLERS
Le lundi 20 novembre, le barreau de Paris honorait quelques-uns de ses illustres membres dont la réputation méritée se voyait accorder la Médaille du barreau de Paris. Le bâtonnier de Paris, Maître Frédéric Sicard, et le vice-bâtonnier, Maître Basile Ader, présidaient cette cérémonie. Notre ami Jacques Trémolet de Villers était parmi les récipiendaires. C’est justice ; c’est le cas de le dire. Nous lui adressons les félicitations de Politique magazine et de Lafautearousseau … . À l’heure où l’antique palais de justice va déménager – en partie – porte de Clichy, dans un immeuble de verre et d’acier de 160 mètres de hauteur, notre ami et chroniqueur habituel nous a fait parvenir un billet d’humeur et d’humour.
Le 20 novembre dernier, le Barreau de Paris honorait ses Anciens. J’aurais pu écrire, comme Cicéron, « les Vieillards », mais le terme si rempli d’honneur, il y a quelques deux mille ans, a, aujourd’hui, une connotation péjorative qui entraine l’incompréhension.
Nous étions donc quelques-uns, dans la haute salle de la Bibliothèque de l’Ordre en ce palais de l’Île de la Cité que nous allons quitter, à recevoir, pour nos cinquante et, voire, soixante ans d’exercice, la médaille des vieux travailleurs.
Je n’aime pas beaucoup les décorations. Sans doute est-ce pour cela que je n’en ai aucune. Mais cette médaille du Barreau de Paris, délivrée à l’ancienneté, comme les autres promotions, m’a rempli de doux souvenirs et de sereines méditations.
Parmi les plus anciens – les vrais vieux qui nous dominent d’une décennie –, nous distinguons Henri Leclerc, dont tout le monde sait, en dehors de son talent, son engagement à gauche, et François Gibault, dont l’allure cavalière et aristocratique dit qu’il se situe, de façon quasi génétique, à l’opposé. Mais ces opinions passagères ne comptent pas ici, quand la seule passion de la Défense unit les hommes dont une même robe habille les paroles et les sentiments. À côté des hommes célèbres, de moins connus, de plus obscurs, non pourtant dénués de talent, recevaient aussi le prix de leur persévérance. Et le Barreau de Paris apparaissait ainsi toujours le même dans ses apparentes oppositions. Mais n’est-ce pas notre grâce particulière d’être, à la fois, tous les jours, adversaires et confrères ? L’escrime du procès est notre quotidien et la courtoisie des armes notre façon d’être. Retrouver des confrères, c’est retrouver des contradicteurs. Chaque souvenir est une bataille, gagnée, perdue,… indécise.
Le Bâtonnier, d’une voix forte, a dit à chacun son mérite et, tous ensemble, nous avons posé pour la « photo souvenir », sous les armes du Barreau de Paris « d’un temps qui était moins démocratique que le nôtre », a dit le Chef de notre Ordre, devant ces nuages où les anges portent les fleurs de Lys.
Demain, nous serons dans une tour dont je ne sais combien elle a d’étages, en béton, fer et vitres, aux Batignolles, près du périphérique. Nos salles d’honneur ne s’appelleront plus Saint-Louis, Berryer, d’Aguesseau ou Tronchet, mais Badinter et Simone Veil. Petites anicroches concédées au temps qui passe. Quel temps long durera cette tour de fer et de verre ? Et qui saura, dans deux siècles, qui étaient Robert Badinter et Simone Veil ? Les célébrités de l’instant s’évanouiront avec lui. Le marbre et les pierres conservent plus sûrement les gloires temporelles et si une nouvelle et provisoire Cité judiciaire abritera notre Tribunal parisien, le vrai Palais de Justice, où siègent la Cour d’Appel et la Cour de Cassation, sera toujours au cœur de la Cité.
Paris est une ville royale et notre justice, quand elle fête ses anciens, ne peut pas oublier ses fleurs de lys. Elles sont partout.
Un éphémère Président de la Cour de Cassation avait bien essayé, dans le hall d’entrée de la juridiction qu’il présidait de nous imposer des petites pyramides entourant des obélisques lumineuses. Son successeur a fait rapidement enlever ces objets amusants, mais saugrenus, qui encombraient l’entrée de la Galerie Saint-Louis. Je ne suis pas cependant assez naïf pour ne pas imaginer que l’effort de déchristianisation de nos symboles qui est aussi une œuvre de défrancisation –car les deux vont ensemble, comme pour nous rappeler, si nous l’avions oublié, que France et Chrétienté marchent d’un même pas –, s’arrêtera-là. Nous devrons subir encore d’autres assauts. Mais chaque génération qui arrive revêt la robe, prête serment à la Première chambre de la Cour d’Appel dont la tapisserie montre la gloire de Daniel face aux mauvais juges qui accusaient la chaste Suzanne, et les cérémonies qui les accompagnent ne peuvent pas omettre que c’est à Philippe Auguste et à saint Louis que le Barreau doit d’être ce qu’il est. Les permanences sont d’autant plus ressenties que l’époque les a revêtues d’un aspect presqu’insolite. On ne va plus vers elles seulement par tradition, mais aussi par désir de renaissance. Elles inspirent le respect et peuvent aussi nourrir l’insolence. Les autorités séculaires sont sources de libertés très modernes. Il suffit d’un peu d’histoire pour le savoir.
Ma médaille de vieux travailleur, porte un seul mot gravé « Justitia ». Il est latin et romain, comme l’effigie qui tient la main de justice, assise dans sa chaire curiale.
Au dos, les lauriers forment une couronne.
Ne manque que celui dont la tête à vocation à ceindre la couronne et la main à tenir la justice. •
Brao,cher Jacques !