Par Marc Rousset
En matière de prévision économique, une bonne dose de prudence s’impose. Bernard Maris disait qu’un économiste est un monsieur qui est capable d’expliquer le lendemain pourquoi il s’est trompé la veille. Une addition de principes de bon-sens et de connaissance des dossiers conduit toutefois à envisager sérieusement ce qui peut attendre nos sociétés dans un avenir plus ou moins proche. C’est l’exercice auquel Marc Rousset se livre ici pour nous au fil d’une analyse documentée qui intéressera ce qu’on appelait jadis les pères de famille aussi bien, d’ailleurs, que les patriotes. La racine est la même ! … LFAR
Bridgewater, le plus grand fonds d’investissement au monde, gère 160 milliards de dollars. Ray Dalio, son fondateur, s’est rarement trompé. En 2007, il avait prophétisé la fin du boom immobilier américain, l’effondrement imminent des banques et l’implosion des marchés du crédit. Selon le Financial Times du dimanche 18 février, Bridgewater est d’avis qu’après le mini-krach récent d’environ 10 %, « une secousse bien plus grande arrive ; les marchés vont entrer dans une nouvelle ère de volatilité ». « La fin de l’argent facile » va déclencher une cascade de ventes et un krach financier.
Les raisons principales sont la peur d’une inflation grandissante, la fin de la politique monétaire d’assouplissement quantitatif et le rendement de presque 3 % des bons du Trésor américain. Les États souverains en quasi-faillite ainsi que les entreprises « zombies » ne supporteront pas le choc à venir de la hausse des taux d’intérêt.
Les prix des actions et des obligations sont au plus haut et les déficits jumeaux commercial et budgétaire des États-Unis vont continuer à se creuser d’une façon abyssale. Lloyd Blankfein, le président de Goldman Sachs, se déclare soucieux que Trump jette du combustible sur le feu pour les dix prochaines années avec une baisse des impôts de 1.500 milliards de dollars, un plan de modernisation des infrastructures de 1.500 milliards de dollars, une relance des dépenses militaires de 1.200 milliards de dollars et 400 milliards de dépenses nouvelles en 2019, ce qui porterait le déficit de l’État fédéral à 984 milliards de dollars. Ce déficit serait le plus important de l’histoire américaine par rapport au PIB, hors périodes de récession et de guerre.
Le PER de Shiller, qui compare la capitalisation boursière du S&P 500 américain à la moyenne des bénéfices réels ajustés en fonction de l’inflation, est à un score historiquement élevé de 32. Il est plus élevé que celui du jeudi noir de 1929 et n’a été dépassé que lors de la bulle Internet en 2000.
Quant au magazine Capital, il craint que le krach de 2018 ne soit pire qu’en 1987. Les systèmes de vente automatiques et les stratégies de protection du portefeuille avaient joué un rôle primordial lors du krach de 1987. Le phénomène pourrait se reproduire en 2018. Mais les autorités, en 1987, avaient des cartouches dont elles sont aujourd’hui démunies. Les pays occidentaux n’ont plus de marges de manœuvre budgétaires, monétaires ou sur les taux, tandis que la BCE n’a même pas encore mis un terme à son programme de rachats d’obligations européennes.
Il n’y a donc plus de prêteur de la dernière chance qui soit prêt à soutenir le système financier mondial. En outre, la Fed est désormais dans l’incapacité légale d’entreprendre les mêmes actions d’urgence qu’en 2008. Le Dodd-Frank Act, adopté à la va-vite sous Obama après la faillite de Lehman Brothers, empêche la Fed de voler à la rescousse de sociétés individuelles en difficultés ou de prêter dans l’urgence à des sociétés non bancaires. La Fed ne peut prêter de l’argent qu’à des institutions assurées, et avec la permission du Trésor.
En 2008, c’est la Fed qui avait sauvé le système financier européen en créant des dollars pour soutenir le marché interbancaire européen. Le 14 octobre 2008, le montant des « swaps » en dollars passa brusquement de 50 milliards de dollars à 580 milliards de dollars.
Le paradoxe, c’est que seule la concurrence mondiale exacerbée, qui a pour conséquence la disparition à terme de toutes les industries occidentales, freine la remontée de l’inflation ! Mais depuis 2008 et Lehman Brothers, la dette mondiale globale est passée de 57 % à 327 % du PIB. Face à la faillite de nombreuses entreprises et de nombreux États, dont la France, suite à la remontée des taux d’intérêt à long terme, on pourrait alors assister à l’éclatement simultané des bulles dans les cinq classes d’actif, les trois plus périlleuses étant les cryptomonnaies, les obligations et les actions, suivies de l’immobilier ainsi que des œuvres d’art, biens réels gardant toujours une valeur substantielle si l’on se réfère à la crise hyperinflationniste de 1923 en Allemagne. •
Économiste
Ancien haut dirigeant d’entreprise