Nous poursuivons la publication d’une série qui devrait faire date ; qui forme un ensemble à lire en entier : une étude de Pierre Debray parue en novembre 1985 dans le mensuel Je Suis Français, sous le titre Une politique pour l’an 2000. Nous sommes ici dans la 2ème partie de cette étude. La lecture de ces textes expliquera aux lecteurs qui ne l’ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l’Action Française dans les années 1950-2000. Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd’hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l’action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies. LFAR
2ème partie : Une révolution copernicienne
LE RÈGNE DE LA QUANTITÉ S’ACHÈVE
En réalité, ce qui importe c’est l’évolution structurelle de la consommation des ménages en fonction de celle des revenus. Tout le monde reconnaît que la part des dépenses alimentaires n’a cessé de diminuer tandis qu’augmentait la productivité de l’agriculture. D’où l’idée, universellement admise, que le nombre des paysans doit continuer de décroître. Ce qui est vrai en valeur relative l’est-il nécessairement en valeur absolue ? Il existe une demande de produits de qualité. Les Français boivent de moins en moins de vin et de plus en plus de bon vin. Deux mouvements contradictoires poussent dans ce sens. Le souci d’entretenir leur corps pousse nos contemporains à rechercher des aliments sains. La campagne contre le veau aux hormones a prouvé qu’ils consentiraient à payer plus cher une viande dont ils seraient assurés que ce serait celle d’un veau sous la mère. En même temps, le succès des guides gastronomiques témoigne d’un souci de bonne chère. Un marchand de livres par correspondance vient d’ajouter à son commerce celui des vins.
L’avenir appartient à l’agriculture biologique, moins soucieuse de rendement que d’amélioration de la qualité des produits. Le nombre des paysans devrait donc à tout le moins se stabiliser et même augmenter dans la mesure où se multiplieraient les petites exploitations, vendant directement ou par l’intermédiaire de commerçants faisant connaître l’origine des produits. On visite bien les caves. Pourquoi pas l’étable où sont élevées les bêtes que l’on mange ? Le lien entre le producteur, le commerçant et le consommateur tend à se renouer. L’Etat devrait, par le biais de la fiscalité encourager une évolution, que contrarie le système européen des quotas quantitatifs, en favorisant les catégories de la population les plus évoluées culturellement. L’ingénieur ou le professeur s’intéressent davantage à la qualité de ce qu’ils mangent et boivent que le manœuvre. Le choix de la nourriture reste inégalitaire. Même si cela contrarie la justice sociale, il faut en jouer, si l’on veut éviter la désertification des campagnes. Maintenir le paysan à la terre, en lui donnant les moyens d’en vivre et lui rendant le plaisir d’en tirer le meilleur parti n’est-ce pas supprimer des chômeurs potentiels et empêcher le retour de la friche ? Alors qu’il y a une décennie ou deux, les sociologues prédisaient la disparition de la paysannerie remplacée par une agriculture industrialisée, exploitant intensivement des champs qui ne représenteraient plus qu’un outil de travail, l’évolution se renverse.
De même, au contraire de ce que l’on affirme trop souvent, à l’étourdi, les chances de l’industrie de pointe sont liées à une répartition plus inégalitaire des revenus. Plus ceux-ci augmentent, plus le choix tend à se porter sur les modèles haut de gamme, la voiture de sport ou la chaîne hi-fi, ceux qui continueront d’incorporer le plus de travail. Il en va de même pour le prêt-à-porter. Désormais l’informatique permet de fabriquer de petites séries, dont chaque élément peut être adapté au goût du client, totalement personnalisé. Il y a plus. Une industrie de pointe ne se développe que si elle est capable d’imaginer de nouveaux produits. Nous avons vu apparaître au cours des dernières années le magnétoscope, l’ordinateur domestique ou le disque numérique. Tout nouveau produit coûte cher. Les prix ne baissent que progressivement à mesure qu’il se répand. Il convient d’amortir les coûts, toujours élevés, de la conception avant de songer aux investissements à long terme que nécessite la production de masse. Ce qui suppose l’existence d’un marché potentiel assez large qui dispose de moyens financiers suffisants pour satisfaire son goût de l’innovation. C’est le cas au Japon, et aux Etats-Unis. Cela ne l’est pas en France et plus généralement en Europe. Japonais et Américains ne lancent un nouveau produit sur le marché européen qu’après qu’ils soient en mesure, ayant amorti les coûts de conception, de se lancer dans la fabrication en grandes quantités. Nos industriels ne se trouvent en mesure de défendre leur part de marché que s’ils sont solidement implantés aux Etats-Unis, comme le hollandais Philips. Le français Thomson doit se contenter de vendre sous sa marque des appareils japonais. Il ne fabrique que les étiquettes.
Il suffit de considérer le mouvement général de l’innovation. Avant 1914, donc avant l’introduction de l’impôt sur le revenu, la France dominait les deux industries de pointe de l’époque, l’automobile et l’aviation. Dans l’automobile, sa situation n’a cessé de se dégrader. Il en allait de même dans l’aviation jusqu’à ce que Pompidou lance le programme « Concorde ». L’échec, tout conjoncturel, ne fut qu’apparent. Nous avons pu maîtriser les techniques qui provoqueront le succès de l’Airbus. Il a fallu, ce qui est grave, l’intervention directe de l’Etat. L’on m’objectera qu’au Japon et aux Etats-Unis l’impôt sur le revenu existe aussi. Sans doute mais la progressivité seule importe. Chez nous, elle est beaucoup plus rapide. D’ailleurs qu’a fait Reagan, sitôt élu, en 1980 ? Il a réduit ce funeste impôt. • A suivre (A venir : Le règne de la quantité s’achève 2).
Illustration ci-dessus : Pierre Debray au rassemblement royaliste des Baux de Provence [1973-2005]
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Une politique pour l’an 2000 de Pierre Debray