Par Péroncel-Hugoz
« Les frères Tharaud sont appelés grands écrivains alors qu’ils ne sont pas admirables »
Marcel Proust
lettre à G. de Lauris, décembre 1911
Correspondance, Plon, t.x, 1983
J’ignore ce que pensèrent les Tharaud de Proust, ni même s’ils le lurent mais j’ai observé, depuis les années 2000, parmi les sujets francophones du roi Mohamed VI du Maroc, du moins ceux qui lisent, plus de goût pour la littérature orientalisante des deux frères académiciens que pour la Recherche…
Auteurs à succès des années 1910-1950, ayant ensuite peu à peu disparu des librairies voire des dictionnaires, parfois traités anachroniquement de « colonialistes » ou même d’« antisémites », Ernest (1874-1953), dit Jérôme et Charles (1877-1952), dit Jean, sont devenus introuvables sauf chez quelques bouquinistes de Paris ou Rabat, où leurs amateurs nord-africains sont allés les quérir avant que des éditeurs casablancais se mettent à les rééditer.
Je participai moi-même à cette « tendance » en republiant La Nuit de Fez, condensé en cent pages, voulu ainsi en leur temps, par les Tharaud, des chapitres un peu lestes de Fez ou les bourgeois de l’Islam (1930). Si l’oeuvre du duo, étalée de 1898 à 1951, est forte de plus d’une centaine de volumes, cinq d’entre eux seulement ont été inspirés par le Maroc et ce sont ceux-là seuls que traquent les lecteurs marocains, en quête d’un portrait de leur pays, de leurs ancêtres, de leur société dans le regard de l’Autre. Un regard incisif, parfois cru mais en gros plutôt indigénophile et islamophile à la Loti, à la Farrère, à la Lyautey, lequel maréchal et résident de France (1912-1925) au Maroc, fit venir la fratrie en cet Empire chérifien qu’il modernisait tambour battant mais avec doigté, ne s’en prenant pas à l’âme profondément islamisée des Marocains.
L’époque toute en repentance et autodénigrement qui, sous le fouet de quelques intellos parisiens masochistes, a suivi la fin de notre aventure coloniale, s’est évertuée à transformer en « textes stipendiés » par Lyautey le travail des Tharaud sur la Chérifie. De cette accusation, les nouveaux lecteurs maghrébins de Rabat ou les heures marocaines (1918) ou de Marrakech ou les seigneurs de l’Atlas (1920), ne se sont guère émus. Certains d’entre eux, d’ailleurs, ont lu La Preuve par deux. Jérôme et Jean Tharaud**, captivante biographie due à Michel Leymarie, professeur d’Histoire à l’Université Charles-de-Gaulle, à Lille. On voit bien dans ce livre que les Tharaud furent des voyageurs, des narrateurs, des romanciers et non pas des penseurs, des idéologues.
Colonistes sans passion, républicains conservateurs, chrétiens tièdes, dreyfusistes modérés, ils laissèrent sagement le Maroc sultanien les imprégner avant de livrer leurs récits. « Ils sont reposants », nous dit un quadra indigène de Meknès. J’ai eu un peu la même impression en lisant les titres de la fratrie sur l’Albanie, Jérusalem, Séville, la Syrie, Saïgon, la Perse ou l’Afrique noire. Il me semble toutefois que le Maroc occupe une place à part dans le coeur des Tharaud. Ainsi lorsque Jérôme fut élu Quai Conti en 1938, il fit graver sur son épée d’académicien le minaret de la Koutoubia marrakchie à côté de la collégiale Saint-Junien, son berceau limousin. Par leur comportement décontracté, les deux écrivains bourlingueurs relèvent d’un monde englouti, celui où l’Occident s’était mis à croire à la possibilité d’une amitié avec l’Islam, cette amitié qu’Allah, on le découvre avec effroi à notre époque, a proscrite absolument dans la sourate coranique de la Table servie :
« Ne prenez pas pour amis les juifs ou les chrétiens sinon vous serez des leurs ! » (V,51) •
* Collection Bab, la Croisée des Chemins, Casablanca, 2008
** CNRS éditions, 400 p., 2014
Proust ne peut se comparer aux Tharaud..
Proust parle de lui ou des autres par rapport á sa sensibilité.C´est le périodiste de sa propre vie. d´oisif.
Les fréres Tharaud sont d´émérites journalistes voyageurs qui écrivirent pour gagner leur croûte..
Ce qui n´enléve rien á leur qualité d´écrivains -á relire –