Discours de Pierre Debray aux Baux de Provence, en 1973
Nous avons achevé hier la publication de l’étude magistrale de Pierre Debray parue en novembre 1985 dans le mensuel Je Suis Français, sous le titre Une politique pour l’an 2000. On s’y reportera avec profit en utilisant les vingt-six liens ci-dessous. A l’issue de la parution de cette étude, Pierre Debray avait encore donné à Je Suis Français un entretien complémentaire et conclusif. Nous l’avons publié en deux parties, c’est à dire hier mardi et aujourd’hui mercredi. LFAR
Vous êtes sévère pour les socialistes mais moins que pour l’actuelle opposition. Pourquoi ?
Le socialisme debout a sur le socialisme rampant un avantage. Il se montre à découvert. Les Français perçoivent mieux le danger qu’il y a cinq ans.
Vous annoncez, d’ailleurs, la disparition de la démocratie.
La démocratie est fondée sur le quantitatif pur. Est élu qui réunit la plus grande Quantité de suffrages. Or notre société tend à restaurer l’élément qualitatif, et ce par nécessité. Il y a contradiction entre l’évolution sociale et le système politique. En politique nous vivons au XIXe siècle pour les institutions, au XVIIIe pour les idées. Cette contradiction est l’une des causes de la crise.
Vous allez plus loin. Vous soutenez que la crise actuelle est du même ordre que celles qui ont détruit le monde antique au Ve siècle et le monde médiéval au XVe.
Je ne fais qu’appliquer l’empirisme organisateur à l’histoire de la civilisation. Le monde moderne va céder la place à un autre monde aussi différent que le sont de lui le monde antique et surtout le monde médiéval. Que sera ce monde nouveau ? Certainement pas le paradis sur terre. Il serait imprudent de tenter de l’imaginer. Ce que l’on peut dire c’est qu’il se construira en réaction contre le monde que nous nommons moderne. Celui-ci avait pris pour modèle le monde antique. Saint-Just se prenait pour un spartiate. Je crois que cette fois le Moyen-Age fournira la référence.
Un nouveau Moyen-Age ?
Pas plus que la France de 1793 n’était la nouvelle Sparte mais considérez les écologistes. Leur utopie cherche un modèle de type médiéval, les énergies douces, la santé par les plantes. Le succès du thème «moins d’Etat» va dans le même sens. C’est d’ailleurs dangereux. Le passé nous fournit des leçons, pas des solutions toutes faites.
Votre pensée est tournée vers l’avenir. On peut se demander pourquoi vous êtes également un « réactionnaire ». N’est-ce-pas, pour beaucoup, contradictoire ?
C’est l’avenir qui est réactionnaire. Pas moi. Je me contente de constater.
Vous posez pourtant des jugements de valeur. Ainsi vous condamnez la « massification » de la société, ce que vous nommez « l’homme-masse ».
Je suis bien obligé de constater que l’humanité a acquis la capacité de s’auto-détruire.
La bombe atomique ?
Il y a plus grave. Les crises, quand elles mettent en cause la civilisation, ouvrent un temps de troubles. La barbarie revient, comme au VIe siècle, comme au XVe et au XVIe, qui furent terribles. La splendeur esthétique de la Renaissance en masque la cruauté. Sait-on que la population européenne n’a retrouvé qu’au milieu du XIXe siècle le niveau de vie qu’elle avait au XIIIe ?
C’est donc une erreur de réduire la crise au seul domaine de l’économie ?
Bien sûr, encore que j’ai, dans cet essai, surtout insisté sur le problème du chômage, qui inquiète, à juste titre, l’opinion. Il fallait prouver que, dans ce domaine aussi, nous pouvions présenter des solutions. J’aurais pu aussi bien étudier la crise de la culture. Le Tchèque Kundera, un romancier de talent, soutient que « la culture en Europe poursuit la parabole du déclin » et une intellectuelle de gauche, Madame Macciocchi, que « l’Europe, du point de vue culturel est aphasique ». L’art est tombé dans le formalisme, phénomène commun au début des temps barbares. Au VIe siècle le monde antique ne produisait plus que des rhéteurs. Le XVe siècle, l’un des plus noirs de l’Occident, voit triompher les « grands rhétoriqueurs ». Nous n’avons que des scoliastes. Il est significatif que l’on ait accordé le Nobel à M. Simon, un romancier qui n’ayant rien à dire pratique l’art du non-dit.
Ce que Maurras annonçait dans « l’avenir de l’Intelligence ».
Avec en plus l’apparition des «mass média», des moyens de communication de masse. La technique permet la massification de la culture.
Il s’agit de perpétuer « l’homme masse ».
Le rêve des démocrates c’est de constituer une élite de techniciens à haut niveau de vie, qui contrôlerait les ordinateurs, l’augmentation prodigieuse de la productivité permettant de nourrir à ne rien faire des millions d’assistés, qui passeraient leur journée devant la télé. Je pourrais vous citer vingt textes de « futurologues » qui vont dans ce sens. L’identité culturelle du peuple français leur importe peu. La télé diffuserait une « culture mondiale » à base de bandes dessinées, immédiatement assimilable par le Bantou, l’Indien, le Chinois ou l’Européen.
C’est commencé.
Un jeune Français sur quatre est actuellement promis au chômage définitif, chômeur à vie, en quelque sorte. Un homme tel que M. Barre serait favorable à un système de type soviétique mais amélioré par une forte dose de libéralisme économique, destinée à le rendre efficace. Grâce à la massification culturelle, la nomenklatura tiendrait en tutelle les travailleurs chassés par la machine des ateliers et des bureaux. On a connu un système analogue dans les derniers siècles de l’Empire romain.
Panem et circenses.
C’est compter sans l’apparition des « intégrismes religieux ». On songe à l’Islam mais l’hindouisme lui aussi se réveille. Il y a là une réaction de survie de cultures menacées par le projet mondialiste.
Cette réaction se manifeste aussi au sein du catholicisme.
Dans la mesure où le « modernisme » n’a pas totalement gangréné l’Eglise. Celle-ci, pendant trois siècles, avait résisté aux assauts du monde moderne, le sachant anti-chrétien par essence. Elle s’est livrée à lui au moment où il entrait en agonie. Il semble que de nombreux évêques rêvent d’intégrer leur religion, convenablement vidée de la substance, à la culture de masse. C’est le « supplément d’âme » de Bergson. Une vague teinture de religiosité… Il faut, bien sûr, combattre, à l’intérieur de l’Eglise, le modernisme mais dans la perspective d’une espérance surnaturelle. Au plan humain, je suis plus que jamais convaincu de la vérité du « politique d’abord ». Les prochaines décennies seront atroces. Il faut que nous bâtissions l’arche, qui permettrait aux Français de traverser, sans trop souffrir, le déluge des barbaries, l’américaine comme la soviétique ou l’islamique. • FIN
Illustration ci-dessus : Pierre Debray au rassemblement royaliste des Baux de Provence [1973-2005]
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Une politique pour l’an 2000 de Pierre Debray
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