La fin de l’Histoire et le dernier homme selon Francis Fukuyama
par Louis-Joseph Delanglade
Un brin méprisant, M. Guetta semble reprocher à certains pays « de ne pas avoir encore admis de ne plus être ce qu’ils avaient été « (France Inter, 5 avril).
Et de nommer, croyant se montrer convaincant, Hongrie, Turquie et Russie. Ce faisant, il nous incite plutôt à penser le contraire. Qu’en 2018, un petit pays d’Europe centrale ne se résolve toujours pas à l’amputation des deux tiers de son territoire et des trois quarts de sa population, suite au Traité de Trianon du … 4 juin 1920, voilà qui illustre, au rebours de la pensée idéologique du chroniqueur Guetta, la mémoire longue des peuples et des nations. Même constat pour la Russie et a fortiori pour la Turquie, chacune « dépossédée » de son empire multiséculaire, celle-ci au début, celle-là à la fin du siècle dernier. Est donc flagrante ici l’opposition entre deux démarches politiques, l’une fondée sur l’héritage de l’Histoire, l’autre sur l’idéologie, en l’occurrence, et à titre d’exemple, celle qui a présidé au dépeçage de la Double monarchie austro-hongroise.
M. Fukuyama peut bien expliquer dans Le Figaro (6 avril) qu’on s’est mépris sur le sens véritable de son ouvrage La fin de l’histoire et le dernier homme, publié en 1992 au moment de l’effondrement de l’Union soviétique. Il ne fallait pas comprendre qu’il n’y aurait plus d’événements historiques mais qu’existait désormais un type de société satisfaisant pour tous, la société démo-libérale. Peu nous chaut qu’il se soit, ou pas, voulu le prophète d’une « mondialisation heureuse » : tout le monde sait aujourd’hui que cette dernière n’est qu’une utopie de plus, dangereuse comme toutes les utopies. D’ailleurs, même s’il persiste à considérer la démocratie libérale comme le modèle indépassable, « largement préférable à ses principaux concurrents », M. Fukuyama reconnaît son incomplétude essentielle, « liée au confort matériel et à la liberté personnelle dont on profite ». Il cite volontiers l’Europe, en fait l’Union européenne aux fondements mercantiles et financiers. Or, on peut se demander qui sera(it) prêt à mourir pour la grande démocratie libérale qu’est cette Europe « posthistorique », laquelle nie la dimension tragique de l’Histoire et propose à ses « citoyens » le seul bien-être personnel comme philosophie de l’existence.
Volens nolens, M. Fukuyama, loin de prophétiser un monde apaisé, annonce la pire des catastrophes pour une Europe menacée de submersion migratoire alors même qu’elle est anesthésiée par les utopies mortifères de la démocratie libérale. Il rejoint d’une certaine façon, et bien malgré lui sans doute, M. de Benoist (Boulevard Voltaire, 26 mars) qui constate que nous sommes « face à un nouveau tsar en Russie, à un nouvel empereur en Chine, à un nouveau sultan en Turquie, tous trois au summum de leur popularité ». La faiblesse de la démocratie libérale européenne constitue dans le contexte international un handicap que vient cependant dénoncer, même de façon diffuse et inconsciente, la montée des populismes. Réalisme et Histoire contre utopie et idéologie, l’alternative a le mérite d’être claire. Il est clair que la dynamique politique sera de fait toujours du côté des héritiers, quel que soit le jugement de valeur que l’on s’arroge le droit de porter sur eux. Et quand l’héritage est d’une telle valeur, pensons à la France, pensons à toute l’Europe, ceux qui nous en détournent sont soit des traîtres soit des fous furieux. ■
* Aragon, « L’Étrangère »
Cette interprétation de l’histoire de Hongrie est biaisée. Car la Hongrie, à l’époque de l’Empire austro-hongrois,se satisfaisait pleinement de son statut d’autant que l’Empereur était également roi de Hongrie. La situation dans les autres parties de l’Empire était totalement différente. EIles étaient en proie aux revendications pan-slavistes et aspiraient à l’indépendance.. Au demeurant tous ces pays qui ont connu à la fois le nazisme et le communisme n’ont aucune envie d’abriter des réfugiés qu’on sait « inintégrables »pour la plupart.Quant à la Commission, elle n’a aucun droit à exiger des pays de « Visegrad » la réception de milliers de réfugiés ou pseudo réfugiés venus du Moyen-Orient et de l’Afrique.Ces derniers étant majoritairement des migrants économiques.
Si je suis bien d’accord avec la ligne générale de cet article,sur la mémoire des peuples, ça me chagrine quand même un peu de voir que, par trois fois, Fukuyama est appelé « Fuyukama » ! Qui a fait cette faute qui, ainsi répétée, n’est plus un lapsus ? L’auteur ou le réviseur avant publication ?…
Quant à l’empire turc qui a perdu sa partie européenne, ne pas oublier quand même que, s’il l’a eue sous sa coupe pendant cinq siècles, c’était quand même après une conquête militaire qui a souvent été assez sauvage et qu’on comprend que les peuples conquis aient voulu s’en libérer, même si, malheureusement, certains des groupes convertis à l’islam (en Bosnie, en Macédoine, au Kosovo) par cette conquête ont gardé quelques nostalgies de cet empire. Espérons que les manoeuvres d’Erdogan pour y reprendre pied n’iront pas jusqu’à une reconquête. Nous avons suffisamment à faire avec l’islam d’importation plus récente pour sauver ce qui reste de l’identité européenne en dépit de ceux qui nous gouvernent si mal..
Cher Jihème.
Merci d’avoir relevé la coquille répétée que vous nous avez signalée. Vous avez bien-sûr raison. Nous avons corrigé.
Pour le reste, nous sommes naturellement bien d’accord.
Que l’empire ottoman ait perdu sa partie européenne est un fait. Qu’il en ait été heureusement chassé en est un autre.