« La première victime de la guerre, c’est la vérité », disait Kipling. Si toutes les guerres sont par définition même sales et destructrices, celle qui a été livrée à la Syrie, et que certains veulent relancer et porter à son paroxysme aujourd’hui, est particulièrement nauséabonde, injuste et absurde.
Elle restera dans les annales des grands conflits mondiaux, avec néanmoins ce constat hallucinant : si la dernière guerre mondiale a opposé les démocraties aux totalitarismes, les valeurs humanistes à l’abjection nazie, celle dont on parle aujourd’hui a réuni dans une même coalition la barbarie et la civilisation, le monde dit libre aux forces les plus obscurantistes, l’atlantisme à l’islamisme, pour abattre le « régime de Bachar », comme ils disent.
Dans l’euphorie d’un « printemps arabe » qui était dès ses premiers balbutiements en Tunisie un hiver islamo-atlantiste, tout a été implacablement déployé pour déstabiliser un pays qui n‘était sans doute pas un modèle de démocratie, mais qui connaissait depuis juillet 2000 de profondes et graduelles réformes politiques, sociales et économiques, louables et intrinsèquement libérales, de l’aveu même de Nicolas Sarkozy, qui avait invité à l’époque (2008) le jeune Président syrien au défilé du 14 juillet.
Tout a été déployé, y compris cette arme de guerre redoutable et particulièrement détestable, la désinformation, avec son cortège de mensonges éhontés, de manipulations des masses, de subversions des mots. Dans cette diabolisation systématique de l’ennemi et victimisation de l’ami, l’État syrien est ainsi devenu le « régime de Bachar », l’armée arabe syrienne régulière est devenue « milice d’Assad », les terroristes sont devenus les « rebelles » ou l’« armée syrienne libre », Bachar Al-Assad s’est transformé en « tyran sanguinaire qui massacre son peuple », et les hordes islamo-fascistes, d’Al-Qaïda jusqu’à Daech, se sont métamorphosées en « combattants de la liberté » voire même en « défenseurs des droits de l’homme »…
Rien ne pouvait justifier un tel aveuglement. Ni l’idéal démocratique auquel aspire effectivement le peuple syrien. Ni la question des droits de l’homme que le monde libre a certainement le devoir moral de défendre partout où ses droits sont malmenés. Ni le contrat à durée indéterminée entre l’émirat du Qatar et la République sarkozienne ! Ni même les prétendues attaques chimiques syriennes, qui étaient à la diplomatie française et à ses relais médiatiques ce que les armes de destruction massive furent à la propagande anglo-américaine, lors de la croisade messianiste contre l’Irak dont on connaît la tragédie et le chaos depuis. Dans ses mémoires, l’honnête homme Colin Powell, avoue regretter jusqu’à la fin de sa vie son discours devant le Conseil de sécurité des Nations Unies. Un autre discours, devant la même instance onusienne, restera, lui, dans l’Histoire : celui de la France égale à elle-même et fidèle à ses valeurs universelles, magistralement lu par Dominique de Villepin. Son successeur à la tête de la diplomatie française, qui se félicitait du « bon boulot » que le front Al-Nosra faisait en Syrie, ne peut pas en dire autant.
Faute d’une vision stratégique et géopolitique à la hauteur des enjeux cruciaux qui se dessinaient et d’une accélération de l’Histoire qui déroutait, la France sarko-hollandienne a eu une politique autiste, aveugle et inaudible qui ridiculisait le pays de De Gaulle auprès des instances onusiennes et même aux yeux de la puissance américaine qu’elle entendait servir avec encore plus de servitude que la couronne britannique ; une politique qui positionnait la France en ennemi formel d’une amie potentielle – la Russie -, en l’extirpant d’un Moyen-Orient où sa voix portait et son rôle pesait…jadis et naguère. Plus troublant encore, cette politique qui ne manquait pas de machiavélisme suscitait des doutes quant à la volonté réelle du gouvernement français de mener une guerre globale et sans pitié contre l’islamo-terrorisme, qu’il se fasse appeler Daech, Al-Qaïda ou Al-Nosra, rebaptisé pour la circonstance Fatah Al-Sham. À l’inverse de l’ancien chef de la diplomatie française pour lequel « Bachar el-Assad ne mérite pas d’être sur terre » et « Al Nosra fait du bon boulot », Vladimir Poutine a eu le mérite de la cohérence et de la constance : « on ira les buter jusque dans les chiottes », promettait-il en septembre 1999, lorsqu’il n’était encore que le premier ministre de Boris Eltsine. En France, les fichés S sont présupposés innocents jusqu’à leur passage à l’acte !
Le jusqu’au-boutisme droit-de-l’hommiste, l’humanisme à géométrie variable, l’homélie de l’islamisme « modéré », le manichéisme simpliste qui réduit un conflit géostratégique majeur à un affrontement entre le bien (Al-Qaïda et ses métastases) et le mal (le régime de Bachar al-Assad et ses alliés) ne peuvent plus dissimuler l’alliance objective entre le monde dit libre et les hordes barbares de l’obscurantisme islamiste. Contrairement à la propagande politique, la tragédie qui se joue en Syrie n’oppose pas un « animal qui massacre son peuple » -comme vient de le tweeter le très diplomate Trump – à des gladiateurs de la liberté qui n’aspirent qu’à la démocratie, mais un État légal et même légitime, à des hordes sauvages et fanatisées, galvanisées par ceux-là mêmes qui avaient ordonné les plus ignobles actions terroristes dans les capitales européennes. Cette tragédie se joue entre un État reconnu par les Nations Unies, qui entend reconquérir jusqu’à la dernière parcelle de son territoire tombé sous le joug totalitaire et théocratique des « islamistes modérés », et des djihadistes sans scrupule qui se servaient des civils d’Alep, de Ghouta et aujourd’hui de Douma comme de boucliers humains. Pas plus qu’à Al-Ghouta hier, quel intérêt pour le « régime de Bachar » de bombarder aux armes chimiques une ville, Douma en l’occurrence, quasiment libérée des mains criminelles des islamo-fascistes ? Les crimes de guerre imputés à Bachar dans cette ville raisonnent comme le requiem bushéen « Saddam possède des armes de destruction massive » et comme son futur refrain sarkozien, « éviter un bain de sang à Benghazi » !
Comme l’URSS pourtant stalinienne de 1945, la Russie est aujourd’hui du bon côté de l’Histoire. N’en déplaise aux petits stratèges londoniens de l’affaire Skripal et autres russophobes primaires figés dans les eaux glaciales de la guerre froide, Vladimir Poutine a fait les bons choix stratégiques et géopolitiques. Plus insupportable encore pour les avocassiers de la civilisation et les zélotes des droits de l’homme…islamiste, il a été le seul défenseur des valeurs occidentales…en Syrie.
De cette guerre lâche de l’islamo-atlantisme contre la Syrie, la Russie est sortie victorieuse. Même si l’État et le peuple syriens souffriront encore du terrorisme résiduel, comme beaucoup d’autres pays, y compris la France, le pays de Bachar a gagné cette guerre non conventionnelle et par terroristes et mercenaires interposés qu’on lui a livrée huit années durant.
Dans un communiqué officiel de la Maison blanche, c’est-à-dire un tweet matinal, le président américain a menacé la Russie de ses missiles « beaux, nouveaux et intelligents », et d’ajouter dans un second « communiqué » que « notre relation avec la Russie est pire aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été, y compris pendant la Guerre froide ». Pour une fois, Donald Trump a parfaitement raison : la situation actuelle est plus grave que la crise des missiles de Cuba en 1962. Et elle l’est d’autant plus que c’est précisément lui qui gouverne aujourd’hui les USA et non un Kennedy, qui a su trouver à l’époque un modus vivendi avec Khrouchtchev, évitant ainsi pour les deux pays et pour l’humanité le pire.
Plutôt que de céder à l’hybris washingtonien, de s’aligner aveuglément sur l’hyperpuissance américaine, comme la qualifiait Hubert Védrine, de guerroyer avec un Donald Trump imprévisible, volatile et inconscient du chaos qu’il peut provoquer dans la poudrière moyen-orientale, voire d’un conflit mondial, la France doit au contraire répondre à sa vocation de puissance souveraine et modératrice. L’occasion se présente au pays de Macron de reconquérir sa position dans cette partie du monde, de s’affranchir d’une alliance atlantique aux ennemis anachroniques et à la doctrine désuète, de retrouver sa singularité gaullienne. L’avenir de la France au Proche-Orient et dans le monde en général peut se redéployer cette fois-ci avec un sens aigu du pragmatisme, du réalisme et des intérêts mutuels bien compris. Il ne s’agit donc ni d’idéalisme, ni de fraternité, ni d’éthique, ni d’humanisme, ni même de « politique arabe de la France ». Il s’agit essentiellement de realpolitik et d’intérêts réciproques euro-arabes d’une part et euro-russes d’autre part: primo le combat commun contre le terrorisme islamiste qui a saigné la Syrie pour ensuite, tel un boomerang, meurtrir la France ; secundo la relance de l’Europe voulue par les Européens sans la feuille de route américaine et avec un bon voisinage du puissant russe ; tertio la reconstruction d’un pays dévasté, non point par huit années de « guerre civile », mais par une guerre lâche et sans nom, livrée par des mercenaires recrutés des quatre coins du monde, ceux-là mêmes qui se sont retournés contre leurs alliés objectifs et conjoncturels, notamment à Londres, à Barcelone, à Paris, à Nice et récemment dans l’Aude.
Avec la nouvelle géopolitique qui se trame au Proche-Orient et les périls terroristes qui menacent la région et l’ensemble du monde, la nouvelle élite dirigeante française a forcément un rôle à jouer. Parce que ses liens avec la Syrie sont historiques autant que ses relations avec la Russie, la France doit pouvoir encore jouer ce rôle conforme à ses valeurs universelles et compatibles avec ses intérêts nationaux. Et si, à l’instar de Theresa May, qui a besoin de la fuite Skripal pour colmater la brèche du Brexit, et de Donald Trump, qui a toutes ses raisons de provoquer un conflit mondial pour se débarrasser de la vodka russe qui empoisonne sa présidence – la supposée ingérence de Moscou dans les élections américaines -, Emmanuel Macron n’a nul besoin d’impliquer la France dans un conflit qui n’est pas le sien et dont on ne conjecture pas encore les effets planétaires. •
Excellent comme d’habitude cet article de Mezri Haddad; Un seul regret pour moi qui suis un ami de la Tunisie,:qu’il n’ait pas plus de responsabilité dans son pays Il y ferait un excellent président.
Très déçu et non convaincu par cet étrange plaidoyer de Monsieur HADDAD dans lequel tout est mélangé.
Ce qui s’est passé récemment c’est ceci : la France avec ses plus anciens alliés militaires du monde libre (l’Angleterre et les Etats-Unis) a voulu donner une leçon méritée à Bachar El Assad pour son utilisation d’armes chimiques mortelles contre sa population.
Je laisse aux investigateurs passionnés le soin de fouiller dans tous les points de détail de cet épisode qui a eu le mérite de permettre à la France de se repositionner dans l’affaire syrienne.
Mr Claret où sont les preuves de cette attaque chimique ? La priorité n ‘ est pas d ‘ affaiblir le chef d ‘ Etat de la Syrie mais de l ‘ aider à reconquérir son pays et de chercher à stabiliser la région .
De plus , avions – nous un mandat de l ‘ ONU ?
Tout à fait d’accord avec vous et merci à M. Mezri Haddad pour ce commentaire (et non, il n’est pas trop long!) qui pose clairement (si, M. Claret) l’ensemble de la problématique de ce conflit dans lequel la France, une fois de plus, joue à contre-sens de ses intérêts et du rôle qu’elle devrait jouer dans cette partie du monde. JL Mélenchon qui, pour une fois,parlait calmement et sans invectives, a dit dans une vidéo toute récente, des paroles sensées allant dans le même sens que M. Haddad et auxquelles – pour une fois encore – on peut également souscrire.
L’article de M.Haddad est selon moi fort discutable.
La Syrie n’est pas du tout entière derrière Bachar,comme un seul homme.Le « patriotisme »syrien ainsi que sa « soif de démocratie » restent à prouver !
Il s’agit d’une population très bigarrée, faites de chrétiens majoritairement maronites et aussi syriaques d’un coté,et arabo-musulmans maintenant majoritaires,de l’autre,et répondant à plusieurs rites religieux, souvent opposés les uns aux autres.Bachar est alaouite,dissidence du schisme,très peu prisée par le reste de la population musulmane, en Syrie,d’autant que son père,Hafez, s’était comporté comme un véritable dictateur.
La guerre-telle que soutenue de part et d’autre par les grandes puissances -dans un terreau aussi favorable aux luttes intestines-peut hélas durer longtemps si, au surplus l’on y ajoute un aspect passionnel !
Cette guerre ne se réglera sûrement pas sur le papier, nourri d’emphase.
En ce qui concerne la France,elle ne peut pas renoncer à son alliance plus que séculaire avec les Etats-Unis afin de plaire à la Russie-souvent héritière des mauvaises manières soviétiques- ! Mais notre pays doit assurément agir d’abord selon ses propres intérêts, qu’au passage, le régime républicain a toujours du mal à assumer,compte tenu d’un contenu démocratique toujours fluctuant et incertain chez nous, de par la loi du nombre(qui n’est pas nécessairement la voie de la sagesse !)
Quant aux frappes ciblées,elles se justifient pleinement vis-à-vis d’un homme qui assassine régulièrement ses compatriotes, à coups d’armes chimiques prohibées par les conventions internationales.Et on peut espérer que nos dirigeants n’ont pas pris, à l’aveuglette, cette décision-au demeurant non létale.
L’alliance atlantique et l’OTAN ne servent plus à rien d’utile depuis la fion du communisme. Ces organisations sont devenues de simples instruments au service d’un messianisme américain qui cherche à maintenir son leadership en imposant la « société ouverte » mondialisée. Il est urgent que la France quitte ces organisations et retrouve son indépendance. En ce qui concerne Bachar, il est contraire au bon sens et à l’objectivité de lui reprocher d' »assassiner son peuple » alors qu’il fait face à une guerre civile depuis sept ans, malheureusement favorisée par l’occident. Aucune preuve valable de l’utilisation par lui d’armes chimiques – ni d’ailleurs de véritable définition de celles-ci – n’a pu être apportée. Même Clara Del Ponte, juge au tribunal pénal international, l’a reconnu. Il s’agit encore d’un bobard de guerre dont les USA ont la spécialité. S’il veut défendre la puissance américaine, M. Haizet devrait trouver des arguments plus aptes à convaincre des français.
La paix pour le 21eme siècle eût été assurée si la dissolution du pacte de Varsovie avait été couplée avec la dissolution de l OTAN ; il y eût une naïveté russe à ce moment là ; mais , les USA dévoilant leurs batteries risquent d’en subir des conséquences , au moins leurs alliés de second choix : l’Europe continentale – maillon faible – qui recueille déjà les millions de réfugiés de guerre du Moyen Orient et ceux qui se faufilent .
La France ne perdrait rien à s’éloigner .
Les arguments aussi peu convaincants et non étayés que franchement sectaires d’antiquuus (?)-lequel s’abrite par ailleurs sur la malséance trouillarde de l’anonymat, exigent une courte réponse de ma part.
Je constate simplement que mon courageux contradicteur ne connaîtras du tout la Syrie !