Aspects de la France, couverture, numéro spécial en mai 68
Par Jean-Philippe Chauvin
Lorsque Mai 68 éclate, les monarchistes d’AF ont, depuis quelques années, retrouvé quelques couleurs au Quartier latin et ailleurs, même si la défaite de « l’Algérie française » dans laquelle le mouvement maurrassien s’est énormément investi n’a pas encore été totalement digérée.
Les étudiants d’AF disposent d’un mensuel, AF-Université (appelé plus communément AFU), qui répercute leurs campagnes tandis qu’ Aspects de la France, l’hebdomadaire d’Action Française, ronronne un peu, malgré les analyses originales et novatrices de Pierre Debray et l’arrivée de nouvelles et jeunes plumes, comme celle de Gérard Leclerc.
A Nanterre, Patrice Sicard, militant bien connu du mouvement monarchiste, suit la montée en puissance de l’agitation et d’un certain Cohn-Bendit qui, d’ailleurs, s’en prend nommément à lui en l’accusant (à tort) d’être complice des bombardements américains au Nord-Vietnam et d’être le responsable des étudiants d’AF…
Lorsque le Quartier latin s’embrase, les royalistes ne restent pas inactifs, même si leurs marges de manœuvre sont plutôt étroites, coincés entre le pouvoir gaulliste et les contestataires, anarchistes ou gauchistes de toutes tendances… A partir du 13 mai, ils organisent des manifestations quotidiennes « contre la subversion » sur les Champs Elysées et dans le quartier de l’Opéra, et ce jusqu’au 20 mai. Durant ces manifestations, préparées dans les locaux d’Aspects de la France (rue Croix-des-petits-champs, à Paris 1er), les jeunes monarchistes, s’ils brandissent des calicots surtout anticommunistes, développent des arguments un peu différents de ceux de leurs aînés, arguments plus « avancés » et très critiques à l’égard de la Société de consommation, déjà dénoncée par leur « maître spirituel » Pierre Debray. Les affrontements avec le groupe d’extrême-droite et européiste « Occident », qui se joint au bout de quelques jours aux manifestations « contre-révolutionnaires » menées par l’AF, sont parfois violents et montrent clairement la dichotomie entre les stratégies et les idées des deux mouvements, même si quelques ententes fort temporaires peuvent se faire dans quelques facultés. Mais les deux mégaphones de ces manifestations parisiennes restent la propriété de l’AF, tenus solidement par Yvan Aumont et un autre jeune militant, parfois Gérard Leclerc qui harangue ses camarades sur le pavé parisien en vantant le « socialisme de Maurras », socialisme pris dans son sens véritable et non pas idéologique. Contre Marx, Maurras !
Après cette semaine de manifestations, passées malheureusement inaperçues au regard des événements du Quartier latin, les jeunes royalistes retournent dans leurs facultés et lycées, et présentent les idées monarchistes et maurrassiennes à leurs camarades de classe ou d’amphi, malgré les pressions et les provocations gauchistes ou maoïstes. Ainsi, au lycée Berlioz où c’est Patrice Bertin (futur directeur de l’information à « France inter »…) qui organise la « riposte d’AF » en plaçant 5 militants royalistes dans un comité de grève qui compte 11 membres ; ainsi, à la fac de Droit d’Assas où Patrice Sicard tient avec ses amis un stand qui, comme à Sciences-Po, présente un grand portrait de Maurras face à ceux de Lénine et Mao, ce qui fait enrager les gaullistes comme le rapporte un de ceux-ci dans un livre publié ce printemps 2018 ; ainsi, à la Sorbonne, où Pierre Debray présente lui aussi dans un amphi surchauffé les analyses d’AF ; etc.
Dans le même temps, la presse monarchiste d’AF poursuit sa parution, dans des conditions parfois épiques, et multiplie sa diffusion qui atteint en quelques jours des dizaines de milliers d’exemplaires, assurant une nouvelle visibilité près de publics nouveaux, mais qui laissent là encore, au regard des violences et des tendances et idées dominantes, peu de traces dans la mémoire collective, comme le prouvent les multiples publications récentes, articles ou livres, consacrées à Mai 68 et à ses acteurs.
Néanmoins et malgré le fait que les royalistes ne soient pas à l’origine des événements, lorsque le mois de Mai s’achèvera, l’AF aura su tirer parti et profit de son expérience et de sa présence en des terrains difficiles, et son université d’été, le Camp Maxime Real del Sarte, annoncera environ 180 participants en juillet 1968, un record jamais égalé depuis. Ce « printemps royaliste », qui fleurit à l’ombre de Mai 68, n’aura pourtant qu’une brève floraison, avant un hiver long qui n’est pas encore totalement passé… •
Je me souviens de cette période à Aix et à Marseille. Nous vendions l’AF à la criée en interpellant les bourgeois en ces termes: « défends toi, l’ami, au lieu de trembler! » . Et ils achetaient le canard en regardant si quelqu’un les avait vus. Je me rappelle également une grande manifestation de la CGT au cours de laquelle nous avions distribué des tracts….un moment seulement car nous étions douze et la manif groupait 5000 personnes. Vous en souvenez-vous, François, Jacques et Jean-Marie, Gérard et Alain, aujourd’hui disparu? Et les distributions de tracts à la Fac des sciences, où nous devions quelquefois faire retraite devant des hordes déchaînées conduites par Sainte Rose et Joshuah. Et le discours de Jacques dans un lycée occupé par les trotskards et les anars, expliquant à ces égarés: « vous combattez le capitalisme, nous la démocratie, mais en fait nous combattons la même chose. » Nous tous avions vingt ans. Nous l’avons toujours aujourd’hui, dans nos coeurs et nos esprits, sinon dans nos artères.
Oui, bien sûr, Pierre, je m’en souviens ! Et cette retraite, en effet, devant Samuel Joshua et son rasoir, à la Fac des Sciences… Ce jour-là, heureusement pour nous, on a couru plus vite qu’eux ! Mauvais souvenir, que compense la raclée mémorable que nous avons infligé, salle Mazenod, à la même bande du même Joshuah : Pierre Debray avait quitté l’estrade où il parlait pour venir se battre à notre tête. Christian cassait des chaises pour faire de leurs barreaux des genre de manche de pioche, et André balançait de gros cendriers sur ceux qu’on appelait « les bolchos » : c’était le samedi 24 février 1968, à la Salle Mazenod (rue d’Aubagne); le titre de la conférence de Debray était « Défense de l’Occident ».. Quand on est jeune, c’est pour la vie : tu as bien raison de souligner que nous sommes toujours dans la même jeunesse de cœur, d’esprit et d’engagement..