Par Rémi Hugues
Dans le cadre de la sortie de son ouvrage Mai 68 contre lui-même, Rémi Hugues a rédigé pour Lafautearousseau une série dʼarticles qui seront publiés tout au long du mois de mai.
Le point de vue de « Rabi »
Par exemple, quelques mois après Mai 1968, dans la rubrique « Le carnet de route de Rabi » du périodique Information juive, on peut lire ces lignes :
« Après la guerre des Six jours, et surtout après la conférence de presse de qui vous savez, le mécontentement était vif au sein de la communauté juive. Vinrent les événements de mai 1968. Le souci d’Israël fut écarté provisoirement, mis entre parenthèses. […]
II faut maintenant parler des étudiants, sans paternalisme, sans complaisance. II y a un phénomène étudiant. C’est un phénomène mondial, ou semi-mondial. Partout où un mouvement étudiant a été déclenché, les Juifs s’y trouvèrent nombreux. À cela il y a des causes objectives. II faut retenir en effet que si, par exemple aux U.S.A. la classe d’âge nationale comporte 27 % d’étudiants, par contre la classe d’âge juive comporte 80 % d’étudiants. En France, il y a 8 à 10 % d’étudiants dans la classe d’âge nationale (à cause d’un secteur rural et d’un secteur ouvrier importants), mais dans leur classe d’âge, si l’on retient uniquement la masse de la communauté juive, les étudiants juifs sont au moins au nombre de 40 %. C’est pourquoi dans certaines universités ils constituent 10 % au moins de la masse des étudiants. Leurs traditions et leur culture font que ces étudiants juifs sont actifs, généreux, inventifs. Par ailleurs, la société universitaire est le type même de l’open society, ouverte à tous les courants libéraux, universalistes, socialistes. En Amérique du Nord, cette gauche étudiante est qualifiée de New left ; les étudiants qui appartiennent à cette nouvelle gauche (et n’oublions pas que tout le mouvement est parti en 1964 de Berkeley) sont généralement hostiles à tout militarisme. Placés devant le phénomène israélien, ils admettent difficilement le recours d’Israël à la violence, même pour sa défense, l’occupation militaire, les réalités implacables de tout pouvoir, et cette espèce de dichotomie qu’un attachement à Israël provoque inévitablement en eux. Cette nouvelle gauche symbolise le libéralisme messianique qui est devenu l’idéologie de la classe moyenne intellectuelle juive aux U.S.A. Ce sont là des faits que l’on ne peut minimiser, même si l’on est persuadé que nous assistons à la dernière métamorphose de l’aliénation juive. Le danger est grand, à la fois d’une rupture immédiate entre l’ancienne génération, toujours profondément attachée à Israël, et la nouvelle qui s’en écarte et surtout, à plus lointaine échéance, entre la communauté juive des États-Unis et Israël. […]
Venons-en à mai 1968. Les Juifs furent nombreux parmi les cadres. On m’affirme même que certains, anciens membres de lʼHachomer, s’interpellaient en hébreu dans les manifestations, et que dans certains comités le seul Gentil était Sauvageot. Passons sur le folklore inévitable. À les entendre, parler des barricades (en hébreu on dit barrikadim), on dirait parfois déjà des anciens combattants. Cependant, lors d’une récente table ronde, dirigée par Albert Memmi, l’un des participants a parfaitement posé le problème : pour la première fois, je me suis complètement intégré aux débats qui se posent en France. Si le Mouvement réussit, je ne vois aucun sens à mon départ en Israël. Sʼil y a une fascisation du gaullisme ou une prise de pouvoir par le P.C. Français actuel, je lutterais de l’intérieur. Je n’irai en Israël que si toutes les issues sont bouchéesʼʼ (LʼArche, juin-juillet). C’est net. Depuis un siècle, la révolution a constitué l’éternelle fascination du monde juif sorti du ghetto. La révolution marcusienne en constitue le type ultimo et le plus dégradé. Car je comprends parfaitement et j’approuve la jeunesse étudiante de Varsovie, de Prague, de Madrid, de Sao Paulo, de Buenos-Aires, de Berkeley et de Berlin. Partout elle combat pour la liberté. Je ne comprends pas la jeunesse étudiante de Paris : une classe neuve apparaît, qui réclame pour elle des privilèges qu’elle estime insuffisants. Je le dis nettement, au risque de me couper de mes amis : ce combat n’est pas notre combat. »[1] (Dossier à suivre) •
[1] Information juive, n° 186, octobre 1968.
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