Par Rémi Hugues
Dans le cadre de la sortie de son ouvrage Mai 68 contre lui-même, Rémi Hugues a rédigé pour Lafautearousseau une série dʼarticles qui seront publiés tout au long du mois de mai.
Dire à la fois que les mouvements radicaux d’extrême-gauche étaient dirigés par des Juifs et que ce sont ces mouvements qui sont à la source de la révolte étudiante qui déclencha la crise de mai-juin 1968 revient à considérer que le rôle joué par ces jeunes Juifs a été déterminant. Sans eux, il est légitime de se poser la question, Mai 68 aurait-il eu lieu ?
Yaël Auron insiste sur leur rôle majeur dans l’irruption des événements quand il écrit que « Mai 68 revêt des spécificités juives indéniables, authentiques et profondes. Ce sont dans une large mesure des motivations juives qui ont propulsé toute une génération de jeunes juifs dans la lutte révolutionnaire universelle. Elles trouvent leurs fondements dans les événements du passé le plus proche, la Seconde Guerre mondiale et la Shoah »[1]. Pour lui, leur faible nombre était compensé par la position éminente qu’ils occupaient dans les mouvements gauchistes. Ils se trouvaient aux places les plus stratégiques, de direction. En quelque sorte ils en étaient les pivots : « les juifs n’étaient qu’une infime minorité, bien que fortement représentés au sein des instances dirigeantes des groupes contestataires étudiants. »[2]
Outre la J.C.R. de Krivine, Yaël Auron souligne qu’« [i]l en était de même au sein de la direction des autres organisations trotskistes où les juifs représentaient une majorité non négligeable si ce n’est la grande majorité des militants. […] Le mouvement maoïste, la Gauche prolétarienne, avait à sa tête deux juifs, Alain Geismar et Pierre Victor (Benny Lévy). »[3] Sans oublier le plus informel Mouvement-du-22-mars et son leader emblématique Daniel Cohn-Bendit, le plus célèbre des soixante-huitards.
Dans un livre autobiographique ce dernier raconte une expérience qui l’a grandement marquée : « à quinze ans, je suis allé en Israël. J’ai travaillé dans un kibboutz. C’était très joli, tout le monde vivait en communauté, les gens s’entraidaient, solidarité, égalité, etc. Intuitivement, je devais avoir une position sioniste de gauche. […] J’étais à Nanterre lorsque éclata la guerre des Six-Jours. […] Nous n’avions pas conscience réellement du problème d’Israël : nous étions encore sous l’influence de l’idéologie sioniste que nous avions acceptée pendant des années »[4].
Plus loin il développe le raisonnement suivant : « L’extrême-gauche, comme la gauche, a toujours répugné à se poser le problème de l’identité individuelle. Pour définir quelqu’un, on se réfère toujours à son appartenance de classe. Mais notre identité est le fruit de multiples expériences, parmi lesquelles le cadre de vie de notre enfance joue un rôle important. […] Cette société m’impose d’être viril – je suis un garçon, plus tard un homme – juif allemand, rouquin, plus ou moins beau »[5].
Les auteurs de Génération. Les années de rêve, Hervé Hamon et Patrick Rotman, ont dressé une longue liste des protagonistes de Mai 68. Nous reprenons ce qu’ils disent du milieu familial et social de chaque acteur.
Alain Krivine
Commençons par Alain Krivine : « Son père, médecin stomatologue, n’a rien d’un ʽʽencartéʼʼ. Il lit Le Figaro, se proclame antiraciste, vote régulièrement à gauche mais avec la certitude, quand son suffrage se porte sur les communistes, que ces derniers ne prendront jamais le pouvoir. Il est né en France de Juifs russes immigrés, qui ont fui les pogroms avant 1917, et la femme qu’il a rencontrée était de même souche. […] La mère d’Alain, au fond, n’éprouve ni passion politique ni passion religieuse. Elle jeûne à Kippour parce que, dit-elle, face aux antisémites, il est bon de montrer une fois l’an qu’on est juif. »[6]
André Sénik
André Sénik « est né de parents juifs polonais, petits commerçants établis à Paris dans le quartier du Sentier vers 1930, à l’époque où la communauté juive en France – cent cinquante mille âmes – double de volume sous l’afflux des réfugiés de l’Est, dont la moitié provient de Pologne. La culture familiale est teintée de marxisme mais tout autant de sionisme. La première organisation que fréquente le jeune Sénik, le M.A.P.A.M. (le Parti unifié des travailleurs, à la fois sioniste et socialiste), est ainsi orientée : à gauche, et cependant en quête dʼEretz Israël. »[7]
Tiennot Grumbach
Quant à Tiennot Grumbach : « Sa mère est la sœur de Pierre Mendès France et dirige le commerce de vêtements, devenu petite maison de couture, qu’a fondé le grand-père Mendès. [Son] père, il est ʽʽdans les affairesʼʼ, au Brésil, où la Casa Grumbach connaît des hauts et des bas. »[8]
Jean-Paul Ribes
Jean-Paul « Ribes, lui, n’est pas juif pour deux sous. Un Français, vrai de vrai, issu d’une classique famille petite-bourgeoise – le père ingénieur à l’E.D.F., la mère qui ʽʽne travaille pasʼʼ. »[9] (Dossier à suivre) •
[1] Yaël Auron, Les juifs d’extrême gauche en mai 68, Paris, Albin Michel, 1998, p. 39.
[2] Ibid., p. 23.
[3] Idem.
[4] Daniel Cohn-Bendit, Le grand bazar, Paris, Belfond, 1975, p. 10-11.
[5] Idem.
[6] Hervé Hamon, Patrick Rotman, Génération. Les années de rêve, Paris, Seuil, 1987, p. 15-16.
[7] Ibid., p. 20.
[8] Ibid., p. 21-22.
[9] Ibid., p. 22.
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