par Louis-Joseph Delanglade
Mardi 29 mai, M. Macron réussit l’exploit de réunir à Paris les quatre hommes forts d’une Libye en principe libérée et certainement « exsangue » – à savoir les deux potentats de Tripoli et Benghazi et le président de chacune des deux assemblées de Tobrouk et Tripoli -, ainsi qu’une pléiade de représentants des deux douzaines de pays impliqués dans la crise libyenne et des organisations internationales (Onu et Ligue arabe notamment) : cela fait beaucoup de gens pour une discussion sérieuse et un accord solide.
Tout ce beau monde a quand même souscrit, mais sans signer de document et avec quelques réticences pour certains, à l’organisation, le 10 décembre prochain, d’élections présidentielles et législatives « dignes de foi ». Cette espérance démocratique a de quoi laisser sceptique, étant donné l’état actuel d’un pays re-tribalisé et complètement morcelé. M. Macron n’aura eu en cas d’échec probable que le mérite d’essayer. Pour parler net, c’est à coup sûr un excellent « coup de com’ » mais guère plus.
Le lendemain, mercredi 30 mai, il prononce à la tribune de l’OCDE un discours qui tourne vite au plaidoyer utopique et idéologique pour la paix, le multilatéralisme et une mondialisation régulée. On a, presque en même temps, confirmation des nouvelles taxes américaines sur l’acier (25%) et l’aluminium (10%) importés d’Europe mais aussi d’ailleurs. Du coup, l’Union européenne porte plainte auprès de l’OMC et annonce des taxes de rétorsion ciblées et proportionnées – taxes à l’effet improbable -, tandis que Mme Merkel s’inquiète d’une « escalade » dangereuse pour tout le monde, mais surtout pour l’Allemagne dont les Etats-Unis sont le premier partenaire à l’exportation. Et que dit M. Macron ? Que la mesure américaine est « illégale » et que « le nationalisme économique c’est la guerre ». Quelle est donc cette loi qui s’imposerait à la première puissance économique de la planète si celle-ci n’en veut pas et qui a jamais pu croire sérieusement que les relations économiques soient mutatis mutandis autre chose qu’une sorte de paix armée ? Sur ce coup, M. Macron semble faire preuve d’une grande naïveté, de peu de poids face à la froide décision états-unienne.
En revanche, jeudi 24 mai, à St Petersbourg, M. Macron avait su donner un exemple d’opportunisme et de réalisme conjugués. Pas d’effusions, ni illusions ni envolées oratoires, mais une longue discussion (1h de plus que prévu) avec M. Poutine. M. Macron espérait convaincre son hôte d’oeuvrer de concert pour un règlement de paix en Syrie et pour que s’ouvrent des négociations internationales avec l’Iran. Malgré les évidentes divergences que l’on sait entre Paris et Moscou, un accord a été trouvé qui répond aux intérêts des deux parties : concernant la Syrie, on admet que la Russie et ses « alliés » (Turquie et Iran) d’une part, le camp « occidental » (Etats-Unis, France et Grande-Bretagne, Arabie Séoudite et Jordanie) d’autre part sont bien contraints de s’entendre ; concernant l’Iran, on se fixe comme objectif un processus commun devant conduire à des négociations régionales dont le but serait de déterminer, voire de réguler, le rôle reconnu à Téhéran. La France joue là une belle carte diplomatique, tandis que la Russie voit son rôle conforté.
Ainsi, en moins d’une semaine, le chef de l’Etat aura, sur le plan international, montré ses qualités et ses faiblesses. On le voit tout à la fois obnubilé par les mêmes chimères à la mode que ses prédécesseurs immédiats et soucieux, selon le mot de M. Guetta, de « renou[er] avec la volonté d’indépendance gaullo-mitterrandienne ». Ce n’est pas de l’ambiguïté, c’est de la confusion : il lui faudra bien en sortir, si possible par le haut. ■