Pedro Sanchez et Mariano Rajoy aux Cortes
L’Espagne souffre des pires inconvénients de la démocratie dans un contexte qui leur confère une puissance destructrice extraordinaire. Voilà ce qui caractérise le plus clairement la situation espagnole et ses tout derniers rebondissements dont les échos inquiétants nous parviennent de Madrid et de Barcelone.
Ce n’est pas que Mariano Rajoy qui vient d’être renversé, aura été un grand chef de gouvernement. Il quitte le pouvoir accusé de participer des pratiques de corruption qui touchent et discréditent la totalité de la classe politique espagnole, indépendantistes catalans compris. Et même orfèvres en la matière.
Rajoy a affronté la crise catalane avec une apparente rigueur, parfois avec fermeté, mais une fermeté toujours tardive et singulièrement insuffisante. Sa politique s’est limitée à la mise en œuvre des dispositifs légaux et constitutionnels à sa disposition pour faire face aux crises qui se sont succédé à Barcelone, sans jamais en traiter les causes – qui rongent la Catalogne et l’Espagne de longue date et qui les amènent au bord d’une crise majeure.
Est-il permis ou non d’enseigner la haine de l’Espagne à la jeunesse catalane, dès l’école primaire et jusqu’à l’université ? Les maîtres d’école, les professeurs des facultés y sont-ils autorisés ? C’est ce qu’ils font depuis deux ou trois décennies. Les grands moyens de communication ont-ils le droit de marteler la même haine à longueur de temps auprès de la population catalane ? Fallait-il laisser les séparatistes catalans déclarés s’emparer sans contrôle de tous les postes clé de la société catalane, alors qu’ils n’y sont pas majoritaires ? Et même l’eussent-ils été ? Enseignement, administrations, municipalités, moyens de communication : était-il raisonnable qu’ils soient autorisés à les « noyauter » et à les diriger sans partage ? En bref, fallait-il leur reconnaître la liberté de mettre la main sur tous les leviers de commande, à la manière des coups de force des minorités agissantes ? Il ne semble pas que Madrid s’en soit jamais souciée, qu’elle ait jamais prononcé la moindre interdiction, pris la moindre mesure. Elle en a les conséquences.
Et ces conséquences sont celles du jeu démocratique lui-même, règle suprême du système espagnol. Les jeux parlementaires en particulier, car Mariano Rajoy a été renversé par une majorité de députés qui ne se sont trouvés d’accord que pour son éviction. Le jeune Pedro Sanchez qui lui succède à la Moncloa est le chef du parti socialiste, sorti très affaibli des dernières législatives nationales et bien incapable de former à soi seul une majorité. Il lui faudra nouer des alliances. Ce sera sans-doute avec les cryptocommunistes de Podemos, et, comme ça ne suffira pas, ce sera aussi avec les indépendantistes basques et catalans. Et ce sera donc au prix de concessions à eux consenties, dont on ne sait ce qu’elles seront… Ainsi, comme dans les années 30 du siècle dernier, les effets pervers du parlementarisme jouent-ils de façon déterminante contre l’unité de l’Espagne.
Pedro Sanchez succède à Mariano Rajoy le jour même où Quim Torra est investi à Barcelone, place Sant Jaume, en tant que président de la Généralité. Son programme n’est pas de faire reconnaître les droits légitimes du peuple catalan à préserver et développer les riches facettes de son identité historique. Ces droits lui sont déjà largement reconnus et sont amplement exercés. Au delà du raisonnable, sans-doute. Son programme est de conduire la Catalogne vers une impossible indépendance.
L’on sait en Espagne et ailleurs que la Catalogne ne sera très probablement jamais indépendante. Elle ne l’a jamais été dans l’Histoire et Madrid ne l’admettra pas. L’appartenance de la Catalogne à l’Espagne ne dépend pas d’un vote de circonstance qui pourrait être bientôt contredit par un autre. Elle est d’un ordre supérieur. Intangible autant que les choses humaines peuvent l’être.
Voilà ce que pense l’Espagne et que personne n’a eu le courage de dire avec franchise et clarté aux Catalans.
Pas même le roi. L’Espagne souffre en effet de trop peu de monarchie et d’un excès, sinon de démocratie, car le roi est la personnalité politique la plus populaire du royaume, du moins de parlementarisme.
Sachons que ni la France ni l’Europe n’auraient intérêt à ce que l’Espagne, une fois de plus, s’offre le luxe délétère d’entrer dans de nouvelles convulsions. ■
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J’apprécie ce texte sur la situation politique de l’Espagne, notre sœur: je n’aime pas qu’on fasse du mal à notre sœur…Une réserve: « trop peu de monarchie » écrivez-vous…Mais trop de monarchie ne serait- il pas plus dangereux pour la monarchie et pour l’Espagne? Le profil bas mais digne du Roi, garant de la Constitution, symbole de l’unité du pays doit être reconnu, respecté par le maximum de citoyens responsables de toutes les régions et « généralités » du Royaume: il y va de la paix civile à défendre., à préserver coûte que coûte…..
La lecture du livre de Christophe Barret « la guerre de Catalogne » suite à celui cons&cré à « Podemos, pour une autre Europe » fait mieux comprendre la complexité et la singularité espagnole et de la crise catalane qu’il faut éviter de voir à travers un prisme franco-français.
Si vous pensez qu’un roi est fait pour garantir une constitution, l’on ne peut rien pour vous.
Un roi est fait pour garantir la Patrie. C’est tout autre chose.
« La patrie, répondit un jeune combattant de 14-18 au cardinal Mercier, archevêque de Malines, c’est quelque chose qu’on se fait casser la gueule pour »..
On ne se fait pas casser la gueule pour une constitution qui, à bien y regarder, n’est qu’un chiffon de papier. La France en a eu 18 depuis le Révolution.
Le roi incarne la patrie pérenne et vous vous en tenez à du formalisme.
Dommage, vraiment !