Par Mathieu Épinay*
Moyen-orient. Notre président ne croit pas aux souverainetés nationales. Pourtant, elles seules subsistent aujourd’hui. Il lui faudrait penser à une politique française.
Le 14 mai dernier, l’armée israélienne tuait 50 palestiniens pendant les festivités de l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem ; sa reconnaissance comme capitale d’Israël avait pourtant encore été condamnée tacitement le 18 décembre par une résolution du Conseil de sécurité. La France a appelé au « discernement et à la retenue » et désapprouvé « cette décision qui contrevient au droit international et en particulier aux résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations unies. »
ONU ou pas ONU
Un mois plus tôt en totale violation du droit international et des résolutions de ce même Conseil, trois de ses membres permanents, dont la France, bombardaient la Syrie parce que des rumeurs signalaient des odeurs de chlore et des vidéos sur internet suggéraient une attaque chimique syrienne dans une banlieue de Damas. On en attend toujours les preuves. Macron avait ensuite rencontré Trump à Washington avec des démonstrations d’affection aux limites de la décence mais n’avait rien obtenu sur le dossier iranien où il croyait pouvoir peser. Dans un tel contexte, l’appel de la France « à la retenue », suite aux événements de Jérusalem, est totalement inaudible pour beaucoup d’Orientaux.
Jérusalem serait une concession de Trump à la partie sioniste de son « état profond ». Le tropisme juif des évangélistes américains qui le soutiennent n’y est pas non plus étranger. Ils attendent une seconde venue du Christ qui établira le royaume de Dieu sur terre. Dans cette vision apocalyptique, les Juifs doivent rétablir celui de David et reconstruire le temple avant l’affrontement final contre l’Antéchrist et… avant leur conversion. Tout un programme qui coïncide avec l’intervention de deux prédicateurs évangéliques qui firent les vedettes à l’inauguration de l’ambassade américaine.
C’est probablement aussi dans cette ligne que s’inscrit le retrait par Trump de l’accord entériné par le conseil de sécurité en 2015 où l’Iran renonçait à ses recherches dans le nucléaire militaire en contrepartie de la levée d’un embargo. L’Amérique vient ainsi contenter Israël et l’Arabie Saoudite, alliés improbables face à leur ennemi commun. Le but est vraisemblablement de dégager les frontières israéliennes et saoudiennes de la pression des implantations iraniennes.
La question nucléaire
La non-prolifération est l’exercice délicat par lequel des puissances nucléaires essaient d’empêcher les autres de le devenir. Sur le plan du droit international et de la morale, les premières n’ont aucune légitimité véritable à interdire ce qu’elles ont fait plus tôt. L’argument selon lequel ces États seraient terroristes, est un peu court. À ce compte-là, les bombardements de Dresde, Hambourg, Londres et Nagasaki, sans objectif militaire, n’étaient-ils pas terroristes ? C’est alors qu’il faut veiller à rassurer par le respect d’un ordre international auquel tout le monde a droit et qu’il convient de faire prévaloir.
La non-prolifération ne peut donc fonctionner que dans un contexte diplomatique policé, où les États tiennent leurs engagements et où le droit des nations, même des plus faibles, est respecté.
Quand des membres permanents et nucléaires du Conseil de sécurité s’affranchissent de ses avis et se permettent des frappes par missiles de croisière pour d’inavouables raisons de politique intérieure ou pour satisfaire des pulsions idéologiques primaires, alors la course au nucléaire s’accélère. Suite logique. Les fantômes de Saddam Hussein et de Kadhafi hantent toutes les chancelleries ; le sauvetage in extremis d’Assad par les Russes et l’impunité de Kim Jung-un y font réfléchir.
Sans approuver le régime de Téhéran et sans nier de possibles connivences avec le terrorisme où les Saoudiens n’ont pas de leçons à donner, on peut imaginer que le patriote iranien, qui réfléchit, souhaite une défense forte. L’Iran est cerné par deux puissances nucléaires, Israël à l’ouest, le Pakistan à l’Est ; son réflexe le plus légitime dans cet Orient déstabilisé est de se protéger de la même façon, de tout faire pour acquérir sa bombe. En signant l’accord de 2015, il n’y avait probablement pas renoncé ; le retrait américain en mai dernier va le gêner puisqu’il rétablit les sanctions avec une violence inégalée dont le secrétaire d’État Mike Pompeo s’est fait l’interprète, mais il ne change rien sur le fond. En revanche il dégrade la confiance dans les accords conclus, accroît l’instabilité dans la région et stimule donc la prolifération nucléaire.
Enfin il compromet les avancées possibles avec la Corée du Nord qui observe qu’un traité de portée internationale qui aurait pu l’inspirer a été signé par Obama en 2015 puis déchiré sans vergogne par Trump en 2018. Telle est sans doute la raison des décisions contradictoires prises coup sur coup par les partenaires de la rencontre au sommet États-Unis et Corée du Nord.
Le diktat
L’affaire fait ainsi apparaître deux visions, celle des partisans du traité de 2015, la ligne Obama, plutôt internationaliste, et celle que Trump est en train d’adopter, l’unilatéralisme sous influence israélienne. Ici, les récentes déclarations du conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, ne laissent pas d’inquiéter : les nouvelles conditions qu’il veut imposer à l’Iran après la dénonciation du traité de 2015 sont inacceptables par un pays souverain. L’Amérique, poussée par Israël, cherche- t-elle le conflit ? Va-t-elle faire subir à l’Iran le même sort qu’à l’Irak ? il est peu probable que les Russes laissent faire et Trump n’a vraisemblablement pas l’intention de déclencher une guerre. En revanche, il va utiliser tous les moyens possibles pour rétablir des sanctions draconiennes et les imposer aux autres signataires du traité de 2015, en particulier la France, l’Allemagne et l’Union européenne. Or, l’Iran leur vend ses hydrocarbures et constitue en retour un marché considérable pour les entreprises européennes.
L’unanimité affichée par les pays de l’Union au sommet de Sofia n’est pas et ne sera pas suffisante pour contrer le diktat américain. En s’appuyant sur l’utilisation universelle du dollar, Washington s’est arrogé le pouvoir exorbitant d’interdire les échanges commerciaux avec les ennemis qu’il a désignés. Les contrevenants sont poursuivis par la justice américaine et lourdement taxés. En 2014, la BNP avait dû payer une amende de 8 milliards pour ses relations bancaires avec l’Iran. Dans ces conditions, Total, qui avait de grands projets en Iran, jette l’éponge, à cause de ses implications aux États-Unis : pas les moyens de faire face à l’hyper-puissance ! Macron, après quelques coups de menton, laisse entendre qu’il n’ira pas à l’affrontement avec notre « meilleur allié » et Merkel qui exporte beaucoup d’autos en Amérique ne dit rien d’autre et même acceptera encore bien davantage.
Cette crise aura au moins le mérite de souligner l’insupportable dépendance de nos échanges commerciaux libellés en dollars qui confère à la justice américaine un pouvoir dont elle n’a pas manqué de se servir dans le rapt d’Alstom par General Electric. Les Russes et les Chinois ont déjà abandonné le dollar pour certaines transactions. L’Iran propose maintenant à l’Union européenne de commercer en euros. Cela ne sera pas simple ! Et l’Europe n’existe pas souverainement, en dépit des désirs de Macron.
En 2003, après un sursaut d’honneur mémorable de la France au Conseil de sécurité contre l’invasion de l’Irak, les Américains avaient décrété un « french bashing » ; ils ne voulaient plus rien nous acheter : se priver de champagne et de bons vins était dommage ; mais parallèlement se passer du logiciel de conception CATIA de Dassault Système pour développer les sous-marins nucléaires de la NAVY était impossible. La France a donc survécu à cette crise. Après 15 ans d’alignement servile, sommes—nous encore capables d’une telle résistance ? D’abord être fort ! ■