PAR JACQUES TRÉMOLET DE VILLERS
Sur ma table, trois livres arrivés presque le même jour, L’avocat face à l’intelligence artificielle de Bernard Hawadier, Défends ma cause de Loïc Tertrais et Coulisses Judiciaires de Frédéric Valendré.
Justice et modernité
La justice, ses mœurs, ses humeurs et son mystère, n’a pas fini de passionner ceux qui la font autant que ceux qui la subissent. Pourtant, ces méditations savantes – Hawadier – ou plus alertes – Tertrais – ou empreintes d’une lucidité scientifique – Valendré – sont toutes très centrées sur l’institution elle-même.
Sera-t-elle dépassée, éclatée et transformée par la révolution technologique ? Aurons-nous demain une justice de robots ? se demande le premier, avocat expérimenté du Sud de la France ?
Suis-je digne de la mission que je m’efforce d’accomplir ? se demande le jeune Rennais, marqué du signe de la foi ?
Gardons-nous de tirer une conclusion, dit le troisième dont le scepticisme indulgent laisse la porte ouverte à de nombreuses améliorations.
Mais l’actualité impose à notre esprit une autre interrogation : que ferons-nous, judiciairement, contre l’expansion du terrorisme islamiste ?
Justice et terrorisme
Les attentats sauvages, qui rappellent, sans les renouveler strictement, les années anarchistes du début du XXe siècle, posent à notre justice une question moins calme que celle de l’intelligence artificielle ou que les cas de conscience du jeune avocat.
La France a connu, en Indochine, puis, surtout, en Algérie cette forme de guerre, qu’elle a su vaincre, militairement, même, si, politiquement, elle a été vaincue, au point maintenant, de porter la honte des méthodes qu’on lui reproche d’avoir employées.
À l’époque, les esprits s’étaient indignés de voir l’armée qui n’était pas préparée – psychologiquement et philosophiquement – à ce combat, être contrainte de le conduire « par tous les moyens » pour l’emporter. Il devenait évident que nous ne devions pas retomber dans la même impréparation.
Et, pourtant, nous y voici.
La force du terrorisme peut se résumer à trois caractères essentiels.
- Il tue avec des moyens très faibles et une préparation qui peut être quasi inexistante. Par là, il est à la portée de tous et de n’importe qui.
- L’écho de son acte est sans proportion avec sa réalité militaire. L’émotion est immense ; les médias se mettent spontanément à son service. C’est sa victoire.
- Les commentaires qui suivent l’évènement engendrent, pour l’ensemble de la population, deux sentiments antagonistes mais concomitants : la colère à l’égard des assassins et la mauvaise conscience dans l’organisation de la riposte. L’émotion dit : « il faut les tuer », mais la conscience commente : « tuer ou arrêter qui ? et sur quels critères ? » D’où la conclusion « Les démocraties, si elles se respectent en tant que démocraties, sont impuissantes devant le terrorisme… ».
Il faut donc, ou se laisser vaincre, ou renier nos principes pour pouvoir se défendre.
Dans les deux hypothèses, nous sommes vaincus, car celui qui part en guerre en s’avouant à lui-même qu’il n’a pas le droit pour lui, est déjà vaincu.
La solution est politique
On le voit, la solution n’est pas d’abord juridique, ni judiciaire. Elle n’est pas dans une énième réforme de la procédure pénale à l’égard des « fichiers S » ou dans le vote d’une très suspecte « loi des suspects ».
La solution est dans l’État, au sommet, où se décide l’effort de guerre pour la protection de la nation.
La seule manifestation évidente de cette volonté d’État fera plus, à l’égard d’une population très mobile dans ses sentiments, très incertaine et trop sensible à la force, que toutes les opérations de police ou les condamnations à des peines de prison qui serviront de tremplins pour de nouveaux attentats.
La justice n’est pas d’abord dans l’institution judiciaire. Elle est dans le cœur du Prince. La défense, toute proche, loge dans le même organe cordial et royal.
Il faut donc un Prince, et un Prince qui a un cœur.
Alors les robots seront domestiqués et les terroristes terrorisés. •
Il faut un Prince dit la fin de ce bel article. Voici une proposition qui trouve un secours que certains pourront juger inattendu dans ce beau texte :
» La grande valeur, voire l’idée fondamentale de la monarchie, me semble reposer sur ceci que, comme les hommes restent des hommes, il faut en placer un dans une position si élevée, lui donner tant de pouvoir, de richesse, de sécurité et d’absolue inviolabilité, qu’il ne lui reste plus rien à souhaiter, à espérer, à craindre pour lui-même ; de ce fait, l’égoïsme, qui lui est inhérent comme à chacun, se trouve anéanti comme par neutralisation, et il devient désormais apte, comme s’il n’était pas un être humain, à exercer la justice et à ne plus viser son bien-être privé, mais le bien-être public. Voici l’origine de cette présence pour ainsi dire surhumaine qui accompagne toujours la dignité royale et la distingue si profondément de la simple présidence. C’est aussi pourquoi elle doit être héréditaire, c’est-à-dire non élective : en partie pour qu’aucun sujet ne puisse voir sans le roi son égal, en partie pour que le roi ne puisse s’occuper de ses descendants qu’en s’occupant du bien de l’État, lequel bien ne fait qu’un avec le bien de sa famille ». Schopenhauer.
Très intéressant article de Jacques Trémolet de Villers dans sa conclusion en particulier et commentaire très bien vu de Jean de Maistre avec sa citation de Shopenhauer très à propos.
Emmanuel Macron a suscité un grand intérêt dans la population avant et après son élection comme président de la république avec son souci de rappeler l’importance de la grandeur du roi dans les institutions française. Il a tenté par son attitude durant un certain temps depuis son élection de se conformer à un certain idéal royal dans son positionnement et certaine de ses postures. Mais la situation est en train de changer. S’efforcer d’avoir une attitude royal en toutes circonstances lorsque l’on est président élu de la république commence de montrer les limites de l’exercice depuis quelques mois en lisant la presse sérieuse. Affaire à suivre. Les royalistes sont fondés à observer l’évolution des choses sans parti pris ni dénigrement malveillants.
Ceci dit, la question du terrorisme est compliquée et délicate mais encore faut-il avoir une boussole pour bien savoir où l’on veut aller.