Cosaques du Don, 1920
par Dominique Souchet
Comment commémorer plus dignement qu’il n’a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps l’écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l’altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L’horreur révolutionnaire en soi-même d’un siècle l’autre. Du XVIIIe au XXe. Nous avons entrepris dimanche dernier la publication de ce récit qui s’étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l’avoir donné. LFAR
Le récit
LA VENDÉE… FAMILIÈRE DEPUIS L’ENFANCE
En réalité, l’intérêt de Soljenitsyne pour la Vendée et son histoire est ancien. Très ancien même, puisqu’il remonte à son enfance.
C’est sa mère qui, à Rostov-sur-le-Don, lui a donné le goût de la lecture dès l’âge de huit ans, comme il le révélera dans son discours des Lucs, « les récits évoquant le soulèvement de la Vendée, si courageux et désespéré » suscitant, dès cet âge, son « admiration ».
Soljenitsyne est frappé très tôt par la ressemblance entre les soulèvements paysans vendéen et russe contre le « régénération » que l’idéologie révolutionnaire veut imposer. Dans une lettre de 1992, par exemple, il écrit : « Pour moi, la Vendée est un symbole important : c’est l’analogue exact de nos deux grandes révoltes paysannes contre les bolcheviks. »
L’analogie s’étend au déni qui affecte les deux événements. À l’occultation du soulèvement vendéen en France correspond celle qui frappe les soulèvements de populations rurales entières dans la Russie des années 1920. En Russie aussi, il y eut une résistance populaire. Une résistance paysanne qui fut, elle aussi, ardente et finalement vaincue. Et Soljenitsyne enrage qu’elle soit pareillement méconnue et occultée en Occident.
Il confie son exaspération au magazine Le Point qui l’a consacré « homme de l’année » en 1975 : « Vous ignorez et tout le monde ignore, ce qu’a été la résistance des peuples russe et ukrainien. J’écrirai cela. Parce que l’Occident n’a jamais su et ne sait toujours pas : des horizons entiers de paysans armés de fourches, avançant par milliers contre des mitrailleuses. Des entassements de morts, partout. En fait, nous avons été décimés. Le mystère n’est pas dans notre affaissement. Il est dans notre résistance. »
C’est après son passage en Vendée, une fois rentré en Russie et après être allé sur place interroger les descendants des survivants, qu’il réalisera son projet. Il consacre un livre entier, Ego, publié en 1995 — ce sera sa première publication en Russie après son retour —, à l’insurrection paysanne de la région de Tambov en 1920-21, dont le Charette s’appelle Alexandre Antonov. (Photo ci-contre). Un récit particulièrement intense. À trois reprises y surgit l’interrogation : est-ce une nouvelle Vendée ? Et Soljenitsyne conclut : oui, c’est incontestablement une Vendée russe », la plus emblématique peut-être. À une exception près : l’attitude du clergé orthodoxe, dont il déplore la passivité générale, contrastant avec le courage général du clergé catholique qu’il relève en Vendée.
Alexandre Soljenitsyne s’est explicitement et longuement référé dans son discours des Lucs au soulèvement de Tambov : « Nous pouvons en être fiers en notre âme et conscience, nous avons eu notre Vendée, et même plus d’une. Ce sont les grands soulèvements paysans, celui de Tambov, en 1920-21, de la Sibérie occidentale en 1921. » Il anticipe alors sur le récit qu’il fera dans Ego : « Un épisode bien connu : des foules de paysans en chaussures de tille (écorce de tilleul), armés de bâtons et de fourches, ont marché sur Tambov, au son des cloches des églises avoisinantes, pour être fauchées par les mitrailleuses.
Le soulèvement de Tambov s’est prolongé pendant onze mois, bien que les communistes, pour le réprimer, aient employé des chars d’assaut, des trains blindés, des avions, bien qu’ils aient pris en otages les familles des révoltés et qu’ils fussent à deux doigts d’employer des gaz toxiques. Nous avons connu aussi une résistance farouche chez les Cosaques du Don… (Photo ci-contre) étouffée dans des torrents de sang, un véritable génocide. » Nous retrouvons ici le parallèle entre le Don et la Vendée, magnifié par Marina Tsvetaieva.
On voit bien que pour Soljenitsyne, ces soulèvements paysans et cosaques ne sont nullement anecdotiques et que pour lui, ils constituent au contraire une grande page de l’histoire russe et de l’histoire tout court. Il en va de même, à ses yeux, pour la Vendée. Sa venue, il la conçoit comme devant être pour le plus grand nombre possible de Français, un révélateur : « Aujourd’hui, je le pense — c’est ainsi qu’il conclue son grand discours des Lucs — les Français seront de plus en plus nombreux à mieux comprendre, à mieux estimer, à garder avec fierté dans leur mémoire, la résistance et le sacrifice de la Vendée. »
La question du parallèle entre les deux Révolutions et les deux résistances qu’incarnent la Vendée française et les Vendées russes ne cesse de l’habiter. Il avait même rédigé, en 1984, une étude intitulée Les deux Révolutions dans laquelle il souligne les « ressemblances déterminantes » entre les deux Terreurs, leur « ampleur et leur caractère inhumain » et entre les méthodes d’abomination utilisées pour réduire les deux résistances paysannes, la vendéenne et la russe. (Photo ci-contre : les noyades de Nantes). ) Un point qu’il reprendra et développera aux Lucs : « De nombreux procédés cruels de la Révolution française ont été docilement réappliqués sur le corps de la Russie par les communistes léniniens et par les socialistes internationalistes ; seuls leur degré d’organisation et leur caractère systématique ont largement dépassé ceux des Jacobins. » ■
A suivre, demain mercredi.
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bonjour
la vendee est une jolie region pleine d histoire
des gens sympathiques qui aiment la region, , en particulier dans les villages
cordialement
C’est en effet un magnifique récit que vous donnez-là. Il resitue le massacre de la Vendée dans un continuum historique qui englobe le présent. On n’est plus dans un conservatoire mais au centre du destin de notre civilisation. Soljenitsyne garantit contre la médiocrité. Fervent des hautes destinées, lui aussi.
Ce grand homme qu’est Alexandre Soljenitsyne a tout compris notamment que la révolution française est la matrice de tous les totalitarismes. A la différence, certes, que Lénine et ses séides ont perfectionné avec les progrès de la science et de la technologie, les rouages et l’efficacité de la terreur.Au demeurant Vladimir Ilitch Oulianov ne raisonnait qu’en rapport de force, l’idéologie étant une arme d’appoint pour éliminer ses ennemis et asseoir son régime. Ce psychopathe pervers, dont le père fut anobli en raison de ses fonctions de directeur de l’enseignement par le tsar Alexandre II, devint noble par hérédité à l’âge de six ans.. Il est loin d’être le seul exemple d’un traître à sa classe sociale. Rappelons celui du prince Bakounine, héraut de la cause révolutionnaire en Europe du XIXème. Souvenons-nous aussi , hélas! que les extrêmes remportent souvent la partie.Mais, comme le rappelait le grand poète russe Ossip Mandelstam au plus noir de la tyrannie soviétique : » – Vu que l’esclave est libre ayant vaincu la peur, – Et que nous fut à profusion gardé, – Dans les greniers ombreux et les coffres profonds, – Le grain de la foi profonde et parfaite « .. L’aède, mort dans un goulag sibérien, doit se réjouir que c’est finalement la foi qui l’a emporté sur la dictature athéiste marxiste.
Beau commentaire. Vraiment. Bravo et meeci. Mieux qu’un Like allogène !